Les médecins ont rompu un contrat social

L’Association médicale effectue régulièrement des sondages publics afin d’évaluer le seuil de confiance de la population à l’égard des médecins. En dix ans, ce seuil est passé de 85% à 65%.
Photo: iStock L’Association médicale effectue régulièrement des sondages publics afin d’évaluer le seuil de confiance de la population à l’égard des médecins. En dix ans, ce seuil est passé de 85% à 65%.

La profession médicale est-elle tombée de son piédestal ? s’interrogeait Le Devoir mercredi. Ou plutôt, a-t-on retiré ce même piédestal ? En écoutant les débats publics aujourd’hui, force est de constater que oui. Notre profession occupe maintenant une position fragilisée dans la confiance de la population. Le contrat tacite qui nous permettait de jouir de certains privilèges en retour de services accessibles a été rompu. Plusieurs ont cherché à dévier la responsabilité de la situation vers des éléments extérieurs, tels que l’intervention des lois 10 et 20. Cependant, la faute ne peut pas toujours incomber à autrui. Comme médecins, nous sommes partie prenante de la problématique et de la solution.

C’est donc une crise de confiance profonde qui frappe le système de santé québécois. La société, bâilleuse de fonds, en a assez de payer pour des résultats en deçà de ses attentes et exige une plus grande reddition de comptes. Résultat : des secteurs et des acteurs qui occupent un espace budgétaire important sont exposés, parmi lesquels les médecins et leur salaire. Ce que souhaite la population du Québec, ce sont des résultats concrets. Considérant que du total des sommes octroyées aux soins de santé (32,85 milliards de dollars), 7,3 milliards de dollars (22 %) sont consacrés aux salaires des médecins, il est facile de comprendre la sensibilité de la population à l’égard du rapport entre le salaire des médecins et les résultats attendus.

L’Association médicale effectue régulièrement des sondages publics afin d’évaluer le seuil de confiance de la population à l’égard des médecins. En dix ans, ce seuil est passé de 85 % à 65 %. Un problème profond existe donc réellement. Défendre la position contraire relève de l’aveuglement volontaire. À cet effet, la profession médicale doit éviter le double piège de l’idéalisation d’un passé où elle jouissait de tous ses privilèges sans transparence, et de la recherche d’un bouc émissaire pour le présent.

Avec toutes les critiques qu’elle a essuyées, la profession médicale doit se poser une question fondamentale : qu’a-t-elle fait, collectivement, pour résoudre les problèmes du système de santé au cours des dernières années ? Il y a certes eu plusieurs luttes pour améliorer la condition de vie des médecins, mais rien de significatif pour le réseau de la santé. Aujourd’hui, nous vivons les conséquences de la rupture de notre contrat social, qui exige de notre part un investissement dans les solutions.

Comme médecins, nous avons manqué de perspective collective dans la question du professionnalisme médical. Parce que nous étions concentrés sur d’autres enjeux que la transformation du système, nous avons raté des occasions d’être engagés dans ladite transformation du réseau et de jouer un rôle de premier plan pour la collectivité, et non pas seulement pour l’individu. En guise de résultat, d’autres acteurs ont pris la place que nous aurions dû occuper. Une place pour laquelle la population nous accordait pourtant sa confiance.

Puisque nous avons la connaissance intime des besoins de nos patients et que nous avons la capacité d’organiser les services en fonction de la disponibilité des ressources, nous aurions dû nous investir à l’avantage de tous depuis longtemps déjà. La bonne nouvelle, c’est qu’il n’est pas trop tard. En effet, le contexte actuel nous offre l’occasion de participer à la transformation du réseau. Nous avons toujours notre crédibilité professionnelle. De plus, la population s’attend à ce que nous jouions un rôle actif dans cette transformation. Avec une attitude d’ouverture au changement et le désir de montrer l’exemple, nous sommes en mesure d’effectuer le virage attendu par la population et de regagner la confiance perdue.

Regard critique

 

Pour ce faire, la profession médicale doit commencer par accepter de porter sur elle-même un regard critique. Le 18 novembre, les médecins de l’Alberta ont pris conscience de leur place dans le système de santé albertain. Malgré un poids budgétaire inférieur à celui des médecins québécois (10 % du budget des soins de santé), ils ont mis à risque leur rémunération en garantie d’une amélioration notable de l’état de leur système de santé. Ils ont choisi de s’investir dans un système durable et dans leur professionnalisme, afin de pouvoir répondre aux besoins du présent, sans toutefois négliger la réponse aux besoins futurs.

À l’instar de nos collègues de l’Alberta, nous devons remettre en question notre rôle dans le système de santé et l’effet de nos actions. La profession médicale doit prendre l’initiative et convaincre notre gouvernement qu’elle peut faire une différence appréciable non seulement dans sa rémunération, mais aussi et surtout dans les domaines de la pertinence clinique et de la formation de sa relève. Nous devons accepter un partage du risque et vouloir une responsabilité accrue dans la façon dont le système de santé sera géré.

En résumé, oui, le professionnalisme médical est toujours vivant. Les médecins du Québec doivent cependant se rendre à l’évidence que leur rôle de professionnel exige de prendre en considération l’ensemble de la population, et pas uniquement l’individu.

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