Un système en retard sur son temps

Les temps changent, et le contrat social qui lie les médecins et la population se doit d’évoluer aussi. Présentement, près de 70 % des nouveaux diplômés en médecine familiale sont des femmes, proportion inverse à la situation des générations précédentes. Les femmes représentent 60 % des médecins âgés de 40 ans et moins. La féminisation de la médecine, ainsi que la volonté générationnelle des hommes d’être plus présents pour leur famille forment la base d’une révolution dans un milieu conservateur. C’est l’occasion d’apporter des améliorations au système de santé au bénéfice des patients.
Les médecins changent. Les patients aussi. Ceux-ci se considèrent de plus en plus comme des consommateurs de soins. Ils s’informent, se font une idée quant à leurs symptômes, arrivent souvent devant le médecin avec des hypothèses et des solutions. Cela crée des attentes légitimes. S’ils ne sont pas satisfaisants, ils demandent un deuxième avis.
On revendique une flexibilité et une disponibilité toujours plus importantes de la part des professionnels. La population vit plus longtemps et souffre de multiples conditions médicales à la fois, ce qui augmente le nombre de consultations et le temps nécessaire chaque fois. En d’autres termes, la demande en soins est toujours plus grande mais l’offre est restreinte par le budget du Québec, de même que par la quantité de professionnels de la santé formés chaque année.
La profession médicale requiert beaucoup de temps et d’énergie, souvent au détriment de la vie personnelle et familiale. La moyenne d’heures passées au travail par les médecins de famille québécois est de 47 heures par semaine, sans compter les gardes. Bref, plus que la norme habituelle d’un poste à temps plein.
L’aspect vocationnel de la pratique médicale est toujours présent, mais s’absenter de la maison pour travailler systématiquement 70 heures et plus par semaine n’est plus la norme. Dorénavant, ce n’est plus seulement le travail qui fonde l’identité de la plupart des jeunes médecins. À l’instar de bien des membres de leur génération.
Comment arriver à concilier cette nouvelle réalité avec une offre de service respectant le budget du Québec ? Comme l’affirme l’Association médicale du Québec, nous nous devons de rédiger un nouveau contrat social. Pour y arriver, la transition devra s’opérer sur plusieurs axes.
Le système de santé doit s’éloigner du modèle hospitalo-centriste et médicalo-centriste. Les soins doivent devenir plus accessibles en dehors des hôpitaux, notamment à domicile et dans les différents lieux d’hébergement. Ceci n’implique pas de diminuer les ressources des hôpitaux déjà surchargés, mais plutôt en ajouter de nouvelles en première ligne.
Bureaucratie médicale
La prévalence des maladies chroniques nous oblige à revoir nos priorités, afin de fournir les soins via des équipes interdisciplinaires et un usage optimal de la technologie. Il faut préserver et valoriser la polyvalence des médecins de famille travaillant à l’hôpital et dans la communauté. Refuser d’aller dans cette direction augmentera les coûts totaux de notre système, sans augmenter l’accès. Le retour du balancier doit s’opérer par la valorisation du généralisme, autant en omnipratique qu’en spécialité.
Les médecins ne sont pas prêts à négocier la qualité de la relation qui les lie à leurs patients. Il s’agit là du coeur de l’exercice de la médecine. Exiger des médecins un débit déterminé en fonction des calculs ministériels, sans égard à la particularité et à la vulnérabilité des patients, conduira à une impasse pour tous. Les règles et calculs bureaucratiques deviennent rapidement désuets en regard de la réalité des patients et ralentissent la prestation des soins.
La population, de son côté, souhaite de manière légitime avoir voix au chapitre afin de déterminer de quelle façon les deniers publics sont dépensés. Plusieurs exigent que le mode de rémunération des médecins soit révisé. Nous croyons à des modes de rémunération mixtes ajustés selon le type de travail effectué par chaque médecin, et à une grille de facturation simplifiée.
Nous croyons surtout que les médecins souhaitent d’abord améliorer leurs conditions de travail, grâce à un environnement permettant de donner des soins efficacement. Le médecin québécois, à l’instar des autres professionnels de la santé, risque l’épuisement à force de travailler dans un environnement souvent dysfonctionnel et sous pression. Malheureusement, le gouvernement actuel répond à tout ceci essentiellement en réduisant les coûts et en révisant le panier de services.
Les médecins souhaitent avoir les mêmes privilèges et obligations que les autres professionnels travailleurs autonomes. La confiance se doit d’être rétablie entre tous les acteurs du système. Tous doivent contribuer à créer un espace de dialogue sain et fructueux. Notre système est à la croisée des chemins. Il ne reste plus beaucoup de temps.