Quelle portée pour la liberté d’expression humoristique ?

La Cour d’appel a accepté d’entendre l’humoriste Mike Ward, qui souhaite faire infirmer la décision du Tribunal des droits de la personne le condamnant à indemniser Jérémy Gabriel pour avoir tenu des propos discriminatoires sur la base de son handicap.

Rappelons que le tribunal a jugé cet été que l’humoriste a porté atteinte de façon discriminatoire à la réputation de Jérémy Gabriel. Il en est arrivé à cette conclusion en appliquant les dispositions de la Charte québécoise des droits et libertés qui protègent les personnes contre les propos discriminatoires.

La décision du Tribunal des droits a eu recours aux dispositions de la Charte des droits qui prohibent ce que l’on désigne par « injures discriminatoires », c’est-à-dire le fait de lancer à une personne qu’elle est exclue (ou congédiée, ou qu’on refuse de lui accorder ce qui est disponible à tous) ou quelle est moins valable qu’une autre en raison de son sexe, son handicap, sa religion, etc. La question que soulève Ward devant la Cour d’appel est celle de savoir si des propos relatifs au handicap d’une personne prononcés lors d’un spectacle, donc dans un contexte qui n’implique pas d’exclure ou de congédier une personne ou ne comportant pas de relation de pouvoir, sont également visés par ces dispositions prohibant les injures discriminatoires.

Il est prévisible que la Cour d’appel apporte des éclairages sur le champ d’application des dispositions en vertu desquelles l’humoriste a été condamné. Il s’agit des mêmes dispositions qui permettent de punir une personne, un employeur, un voisin qui s’aviserait de prononcer des propos injurieux à l’endroit d’une personne en lien avec l’un ou l’autre des motifs pour lesquels il est interdit de discriminer. Cela inclut, par exemple, la race, la couleur de la peau, le sexe, l’orientation sexuelle, le handicap, l’état civil, les convictions politiques, la condition sociale, la religion, etc.

Le Tribunal des droits de la personne expliquait dans son jugement que les propos de Ward ont été tenus dans le cadre d’un numéro dans lequel plusieurs autres personnalités publiques sont écorchées sur la base de leur apparence physique. Il retient que les propos portant sur Jérémy sont liés à son handicap ou à l’utilisation d’un moyen afin de pallier son handicap. Comme les propos de l’humoriste sont liés au handicap de Jérémy, il y a discrimination.

À ce jour, les tribunaux d’appel ont affirmé que dans une société démocratique, la liberté d’expression doit faire place aux discours exposant des groupes de personnes au ridicule. En particulier, la Cour suprême du Canada a écrit que les propos qui rabaissent un groupe minoritaire ou qui portent atteinte à sa dignité par des blagues, railleries ou injures peuvent être blessants. Mais la Cour suprême a souvent averti que le seul fait que des idées soient offensantes ne justifie pas en soi une atteinte à la liberté d’expression.

Mais est-ce que la liberté de se moquer des personnes appartenant à un groupe minoritaire va jusqu’à cibler un individu ? Dans cette affaire, c’est Jérémy comme individu qui est visé par le propos discriminatoire. Selon le Tribunal des droits, le principe selon lequel les atteintes à la liberté d’expression sont injustifiées lorsqu’un groupe de personnes est visé ne trouverait plus application lorsque c’est un individu qui est visé.

Comme le propos visé est un propos discriminatoire, la décision du tribunal applique la méthode qui prévaut lorsqu’une personne est victime de discrimination. On ne tient pas compte de l’intention de discriminer qui aurait pu animer l’humoriste. Conformément aux règles prévalant en matière de discrimination, ce facteur n’est pas pertinent lorsqu’il s’agit d’apprécier le caractère discriminatoire du propos.

La Cour d’appel aura ici une occasion de nous éclairer sur la question de savoir si une telle approche tient suffisamment compte de la liberté d’expression, notamment lorsqu’il s’agit de propos publics exprimés en dehors de situations pouvant mener à poser effectivement des gestes d’exclusion.

Pour l’heure, il demeure très difficile de savoir qu’un propos humoristique visant une personnalité publique sera blessant pour une personne en raison de son handicap ou d’une autre caractéristique protégée contre la discrimination. Est-ce que le seul fait qu’un propos visant une personnalité publique soit blessant est un motif suffisant pour le rendre punissable ?

L’éclairage de la Cour d’appel pourra se révéler très éclairant pour tous ceux qui estiment important de mieux situer l’étendue de la liberté d’expression de ceux qui donnent dans le discours humoristique.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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