La garde partagée sous toutes ses formes est en train de devenir la nouvelle norme

Depuis le début des années 2000, la garde partagée gagne en popularité.
Photo: Barbara Sax Agence France-Presse Depuis le début des années 2000, la garde partagée gagne en popularité.

La souplesse du congé parental et l’existence du congé de paternité ont transformé les modèles de garde des enfants lors d’une séparation conjugale. Le père québécois, qui s’implique davantage auprès de ses enfants, continue à le faire en cas de séparation. La garde partagée est en train de devenir… la nouvelle norme.

Lorsqu’ils se sont séparés, Nancy et Éric ont choisi de faire une transition en douceur pour leurs enfants de 13 et 11 ans. Ils ont conservé la maison. Ils y demeurent à tour de rôle avec les enfants, une semaine sur deux. L’autre parent se rend dans un appartement loué, non loin de là. « Ça laisse le nid aux enfants et ce sont les parents qui sortent, dit Nancy, 48 ans, qui souligne que ce fut une solution temporaire. L’adaptation à la nouvelle situation est plus facile pour eux… et pour nous ! »

Jean-Philippe, 28 ans, et son ex-conjointe ont pris le même arrangement lorsqu’ils ont décidé de se séparer. « La petite avait trois mois, dit-il, et notre garçon, pas tout à fait deux ans. À tour de rôle, nous allons vivre chez nos parents, sous un horaire de deux jours/deux jours/trois jours. Pour le moment, c’est l’idéal pour les enfants. Et financièrement, ça nous aide. »

À l’instar de Nancy, Éric et Jean-Philippe, des milliers de couples québécois choisissent aujourd’hui différentes formes de garde partagée. L’époque du père qui prend ses enfants une fin de semaine sur deux est révolue ! C’est le constat des chercheuses Émilie Biland et Gabrielle Schütz. Dans une grande analyse des dossiers judiciaires de séparation au Québec (2013), elles ont déterminé que les formes de garde étaient en pleine transformation. En dix ans, soit entre 1998 et 2008, la garde exclusive à la mère est passée de 79 % à 60,5 % et celle aux pères a bondi de 5,4 % à 13,5 %. La garde partagée est de plus en plus privilégiée : elle concerne 19,7 % des ordonnances en 2008 comparativement à 8,1 % en 1998.

La garde partagée plus populaire

 

Pour l’avocat en droit de la famille Michel Tétrault, il est clair que l’implication grandissante des pères auprès de leurs enfants change les règles. « Au début des années 1980, dans 90 % des cas, l’enfant était confié à la mère, raconte-t-il. Le père avait un droit d’accès un week-end sur deux, deux semaines à l’été et quelques jours à Noël. C’était ça, le modèle. Et les dossiers de garde se réglaient rapidement ! » Selon Me Tétrault, qui pratique depuis 33 ans à l’aide juridique, au début des années 1990, le modèle se raffine : les pères réclament plus de temps avec leurs enfants.

C’est au début des années 2000 que la garde partagée gagne en popularité. « Sur le plan sociétal, on était rendus là, explique Me Tétrault. Les mères ont envahi le marché du travail, donc le modèle du père pourvoyeur et de la mère qui prend soin des enfants ne tient plus. Le père s’implique, il est disponible et il veut rester près de ses enfants. Par ailleurs, en cour, on reconnaît qu’il est dans l’intérêt de l’enfant de conserver un maximum de liens avec les deux parents, dans la majorité des cas. »

Vers 2004-2005, l’avocat constate qu’il y a une « présomption favorable à la garde partagée ». Il croit que, très bientôt, les ordonnances de garde partagée seront plus nombreuses que toute autre forme. « Ce n’est pas écrit dans la loi, mais, dans les faits, on voit que la garde partagée gagne du terrain. C’est une tendance lourde », dit-il.

Autant de modèles que de familles

 

Pour l’avocate de la famille Valérie Laberge, qui pratique depuis six ans, les « vieux modèles » sont résolument désuets. « Il y a 365 jours dans l’année et il y a 365 façons de faire une garde partagée », dit celle qui a rédigé la thèse Pour une présomption légale simple de garde alternée au Québec, UQAM, 2013. Selon Me Laberge, les gardes s’adaptent aux besoins des parents et des enfants. « La forme sept jours avec l’un et sept jours avec l’autre, parfois entrecoupée d’une nuit au milieu de la semaine, est encore majoritaire, mais toutes les formes sont possibles : un père qui prend les enfants toutes les fins de semaine, un horaire deux jours/cinq jours, une mère qui prend les enfants tout l’été, etc. »

Selon elle, lorsqu’il est question de trancher sur l’obtention d’une garde partagée, certains critères prévalent aux yeux du juge : l’intérêt de l’enfant (il s’agit d’ailleurs du seul critère légal, tel qu’indiqué à l’article 33 du Code civil), la stabilité des parents, la capacité parentale, la capacité de communication entre les deux ex-conjoints lorsqu’il est question de l’enfant, l’absence de conflits, la proximité des résidences, la présence d’une contre-indication (par exemple, dans le cas d’un enfant aux besoins particuliers), le désir de l’enfant (surtout à partir de l’âge de 8-10 ans) et l’aspect financier. « Ce que je constate, dans ma pratique, c’est que plus les ex-conjoints s’entendent bien, plus il y a de chances que la garde partagée soit demandée et accordée », souligne l’avocate.

La route vers la garde partagée

 

Mais encore faut-il que le père présente une demande de garde… Selon l’étude de Biland et Schütz, lorsqu’un seul des deux parents fait une demande de garde, dans 69 % des cas il s’agit de la mère. De plus, dans plus d’un dossier sur deux, le père ne présente pas de demande de garde. Diane Dubeau, chercheuse au Département de psychoéducation et de psychologie à l’Université du Québec en Outaouais, s’intéresse à la réalité des pères québécois depuis vingt-cinq ans, notamment à leur engagement et à leur implication. « Il faut se demander pourquoi les pères ne présentent pas de demande, souligne-t-elle. Parmi les hypothèses de réponses, il y a le fait qu’il existe des pères déserteurs, qui quittent le tableau lorsque la relation se termine. Il y a certains avocats qui découragent les pères de faire une demande de garde. Et finalement, puisque dans 70 à 80 % des cas de séparation ce sont les mères qui demandent la séparation, les pères, en choc, ne sont pas à la même étape du processus de deuil que les mères. Ils ne sont pas prêts et elles, oui. »

Pères séparés

 

À l’organisme Pères séparés, le nombre d’appels est passé de 850 en 2009 à 1500 en 2015. Dans 80 % des cas, il s’agit de pères qui vivent des problèmes liés aux jugements de cour, aux droits d’accès ou aux ententes conclues avec leur ex-conjointe.

C’est ce qui est arrivé à Karl, 45 ans. Père d’une fillette de cinq ans et d’un garçon de deux ans, il a été quitté par sa conjointe… qui lui a avoué que cela faisait « deux ans » qu’elle y pensait. Et donc, s’y préparait. « Je trouve ça injuste, dit-il. C’est injuste quand l’un des deux accumule de l’argent, planifie ses affaires, bref, qu’il met plus d’énergie à sortir de la relation qu’à la faire fonctionner… » Neuf ans plus tard, Karl est serein par rapport à sa séparation. « Ça se passe bien surtout depuis qu’on a compris le concept d’équipe parentale. On s’est entendus sur le fait qu’on était des parents pour la vie et qu’il fallait travailler ensemble. Même lors de désaccords, on ne sabote pas l’autre ni la situation pour nos besoins ou nos opinions. »

Baptiste, 25 ans, a lui aussi tenu à ne pas compromettre sa relation avec son ex-conjointe. Il a obtenu la garde de sa fille de deux ans. Et même si la mère a « abandonné » son enfant, lorsqu’elle est revenue et s’est montrée disponible, quelques mois plus tard, il lui a « fait de la place ». « Ce n’est pas toujours facile, confie-t-il, mais nous sommes en bons termes. Je me fais regarder partout où je vais, on semble penser : “Oh, il est si jeune, est-il capable de s’en occuper tout seul ?” On essaie de me faire sentir incompétent. » Il réfléchit et ajoute : « Mais moi, je me trouve chanceux. Je suis très près de ma fille et j’aurais manqué quelque chose si cela avait été différent… » 


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Pourquoi croyez-vous que la garde partagée de vos enfants fonctionne bien?

« Nous avons une bonne communication, mon ex et moi. Nous sommes sur la même longueur d’onde, nous ne parlons pas dans le dos de l’autre et nous nous centrons sur les besoins des enfants. » — Mélanie, 42 ans, séparée depuis deux ans et demi, mère de trois garçons de 17, 14 et 12 ans

« J’habite Sherbrooke et lui, Plessisville. Il prend les enfants la fin de semaine, mais cela fait beaucoup de route, presque six heures en tout pour les allers et retours. J’ai décidé de déménager plus près de chez lui l’été prochain. C’est intense… mais je vois à quel point les enfants sont heureux de le voir. » — Amélie, 30 ans, séparée depuis sept mois, mère de trois enfants de 7, 5 et 2 ans

« Communication. Flexibilité. Générosité, envers toi-même et envers l’autre parent. Si tu es égoïste, tout le monde va s’en ressentir. » — Karl, 45 ans, séparé depuis neuf ans, père de deux enfants de 14 et 11 ans

« Il faut beaucoup de respect et des règles claires. La communication est essentielle, tout comme le fait d’avoir le même schéma d’intervention auprès des enfants. Et il ne faut pas hésiter à se faire des plans de match, à s’adapter et à s’ajuster. » — Jean-Philippe, 28 ans, séparé depuis un an, père de deux enfants de 1 an et 2 ans

« Une garde partagée réussie, ça nécessite de prioriser les besoins des enfants, tout en ne s’oubliant pas. » — Nancy, 48 ans, séparée depuis un an et demi, mère de deux enfants de 13 et 11 ans


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