Cultiver sa communauté

Des citoyens engagés s’approprient trottoirs et façades urbaines pour favoriser l’alimentation de proximité et encourager le libre accès, à travers diverses initiatives de production : création de jardins comestibles où l’on intègre des arbustes fruitiers, de vergers, de platebandes fruitières, de potagers-forestiers, autour desquels on greffe activités sociales et ateliers pédagogiques. D’autres se concentrent sur les ressources existantes, à commencer par les collectifs de cueillette de fruits, qui sont apparus depuis peu à Montréal et qui font des pas de géant.
« Le phénomène est global. On en trouve à Londres, aux États-Unis, à Vancouver. Ils viennent récupérer, transformer et réveiller le cycle urbain et font prendre conscience de l’importance de la ressource », explique Éric Duchemin, professeur associé et chargé de cours à l’Institut des sciences de l’environnement de l’UQAM et expert en agriculture urbaine.
Les Fruits défendus
Dans la métropole, les récoltes du collectif Les Fruits défendus ont atteint 2,5 tonnes en 2013. Fondé en 2011 par des bénévoles de l’organisme Santropol roulant, ce collectif se lance cette année dans plusieurs nouvelles actions. « On va donner du soutien logistique à des sous-groupes dans d’autres arrondissements, et je sais que des groupes indépendants voient le jour », dit Évelyne Boissonneault, membre active du collectif et étudiante à la maîtrise en sciences de l’environnement de l’UQAM. Le ramassage se fait dans les propriétés privées du Plateau et du Mile-End, mais le collectif souhaite approcher les arrondissements pour agir sur le domaine public.
Des dizaines de petits projets prolifèrent dans plusieurs métropoles québécoises et chacun se distingue sur le plan humain en favorisant l’esprit communautaire, l’entraide et le rapprochement entre voisins. Ils revendiquent l’espace public, privilégient la biodiversité et obligent à aborder différemment le verdissement dans le développement urbain et immobilier. « On réfléchit autrement sur les espèces, au lieu de chercher seulement la résistance et le minimum d’entretien. On pense esthétisme et alimentaire. Les critères d’aménagement changent. »
Des fruits et des hommes
Au calendrier de Vergers de chez nous, un groupe de 25 volontaires qui oeuvre dans l’Ouest-de-l’île, on prévoit ramasser près de 1200 livres (550 kilos) de fruits. « En me promenant, j’ai remarqué qu’il y avait tellement d’arbres dont les fruits pourrissaient au sol. Je me suis renseignée et j’ai vu qu’il existe des projets partout au monde et au Canada. L’idée n’était pas si folle », se souvient Geneviève Lussier, la fondatrice qui a démarché les propriétaires de jardin privé un à un. « On leur demande de nous dire quand les fruits sont prêts, mais on doit leur montrer comment s’y prendre, car ils ne s’y connaissent pas nécessairement. La première année, ils étaient contents de se débarrasser des fruits, mais, depuis 2013, ils sont plus curieux et veulent savoir comment les consommer. » Dévouée, elle a également approché les municipalités de Beaconsfield et Pointe-Claire pour cueillir les fruits du domaine public et répertorie les arbres dans le site fallingfruit.org, à défaut d’avoir une carte en ligne comme Les Fruits défendus. Comme dans le cas de ce dernier, un tiers des récoltes est remis aux propriétaires, un tiers est offert à des organismes à but non lucratif et un tiers est distribué aux bénévoles. Mais, étant donné l’étendue du territoire, le parcours se fait en voiture plutôt qu’à vélo.
Nourriture à partager
S’approprier l’espace urbain pour faire pousser des légumes est une idée qui a germé en 2013 chez Transition NDG, un groupe d’action établi à Notre-Dame-de-Grâce qui, inspiré du mouvement mondial des villes en transition, vise à appliquer des solutions durables et équitables aux problèmes issus des changements climatiques. Toutefois, la première tentative effectuée rue Sherbrooke Ouest, entre Oxford et Royal, n’a pas été un grand succès. « L’an dernier, on a recyclé des seaux en plastique et on a approché les marchands pour les faire participer et leur demander s’ils voulaient en placer devant leurs commerces. On a planté des tomates, mais on s’était pris trop tard et elles n’ont pas bien passé l’été », explique Jane Barr, membre de soutien et membre des Incredible Edibles NDG, le sous-groupe formé pour s’occuper du projet.
L’expérience est différente cette année : on a pris soin de semer plus tôt et de diversifier les variétés, de construire des bacs en bois, en plus de faire équipe avec d’autres organismes, comme l’Éco-Quartier NDG, le Dépôt alimentaire NDG et Action Comuniterre. « On a également travaillé avec Jardin sans frontières pour la création d’un jardin en forme de spirale, avec les principes de la permaculture, à l’angle des rues Draper et Sherbrooke. » Trois parcelles de nourriture à partager ont donc été aménagées sur la façade d’un immeuble à condos qui a accepté d’accueillir le jardin. Le tout sans aucun budget ; les bénévoles ont puisé dans les ressources disponibles, notamment des dons des serres de l’Université Concordia et d’Urban Seedling. Le défi sera d’entretenir et de continuer la sensibilisation avec des ateliers et des activités. « On va organiser une marche, récolter les légumes et faire un repas ensemble. »
Des potagers en libre-service
« Avant de mettre sur pied le potager, on a obtenu la permission d’Elsie Lefebvre, conseillère municipale pour Villeray, et des directeurs d’urbanisme de l’arrondissement. On voulait connaître les paramètres juridiques de ce qu’on avait le droit de faire », raconte l’un des bénévoles, Richard Archambault, horticulteur et homme engagé (il est aussi l’un des instigateurs des Incroyables Comestibles Montréal). Car l’aménagement des Potagers mange-trottoir (au moment d’écrire ces lignes, le nom était à l’étude), situés à l’angle des rues Drolet et de Castelnau, est bel et bien une initiative citoyenne, à laquelle ont participé des résidants du quartier. Des bacs de 10 pouces (25 cm) de hauteur ont été construits pour éviter que les trois saillies soient envahies par les animaux, et les principes de la permaculture ont été appliqués avec une variété de végétaux et une plantation en lasagne.
Pour l’entretien, la page Facebook annonce les corvées et sert à recruter les volontaires comme pour les échanges. « On a un noyau fort d’une douzaine de personnes, mais le but est que la communauté s’approprie le projet et crée un sentiment d’appartenance. » Considérée comme un projet-pilote (on veut plus de plantes permanentes et de légumes vivaces), l’initiative est déjà bien accueillie : une garderie s’occupera d’une des parcelles et l’administration municipale s’y est intéressée.
On le retrouve dans Facebook sous le nom de « Projet d’aménagement comestible en permaculture urbaine dans Villeray ».
Au coin de ma rue, Une forêt qui nourrit
Niché à Québec et composé de quelques bénévoles, Au coin de ma rue, Une forêt qui nourrit a pour mission de favoriser la gestion des espaces verts par la communauté, de promouvoir les potagers-forestiers collectifs de proximité et de soutenir les actions citoyennes dans ce sens. « C’est un type de jardinage basé sur le modèle des forêts naturelles, qui intègre toutes les strates de végétaux pour créer un équilibre d’écosystème », explique Caroline Dufour-L’Arrivée, bénévole du comité, agronome et biologiste (elle est aussi étudiante à la maîtrise en agroforesterie de l’Université Laval). Après seulement quelques mois d’existence, le groupe collabore avec des organismes pour des projets urbains de biodiversité comestible. Parmi eux, on compte l’aménagement d’une forêt nourricière dans une partie du terrain des Moissonneurs solidaires à Lotbinière. C’est cette dernière initiative qui lui a permis de recevoir une subvention de 4000 $ d’Arbres Canada. « On avait besoin de la signature d’un propriétaire pour obtenir le financement qui va servir à se procurer des végétaux. On pourra les multiplier et les utiliser pour d’autres plantations. Ça nous donne de la crédibilité et de la notoriété. » Voilà qui constitue un bon départ pour la réalisation du projet initial, car l’équipe poursuit le démarchage auprès des décideurs. « Certains arbres ont parfois besoin de 15 ans avant de produire. Si on veut donner accès à des potagers-forestiers collectifs, on doit s’assurer que les sites seront légués pour longtemps. C’est de cette façon qu’on prépare le terrain pour la communauté métropolitaine. »