Un bolide pour enflammer une classe

Fermement convaincu que l'apprentissage doit se conjuguer au plaisir, un professeur de 6e année a ensorcelé ses élèves avec la construction de superbolides. Beau, pas beau, rapide ou bringuebalant, les véhicules les ont tous accrochés dans leur réalisation, en plus de leur faire goûter en douce aux joies du français, des stats et des pourcentages, de la géométrie, du cinéma, de l'informatique, des mystères de la Bourse et de l'électricité!
Mercredi soir au Gala Super Bolide, qui culminait avec la graduation des élèves de 6e année de l'école Lalande, à Roxboro, le professeur Stéphane Côté n'a pu réprimer sur scène un sanglot étranglé dans la voix. «Monsieur Stéphane», comme ses élèves l'appellent, savait qu'il succomberait à l'émotion. La veille, déjà, à regarder ses grands du primaire s'agiter avec enthousiasme pour mettre la dernière touche au projet, l'émoi commençait à l'envahir.Fin d'année. Primaire bouclé pour ces jeunes qui fouleront le seuil d'une école secondaire en septembre. Mais surtout, grande fierté de les avoir vu évoluer à travers un seul projet, une idée un peu «folle», comme le dit lui-même le prof, dont l'audace a bien dû en déranger quelques-uns au passage.
Stéphane Côté a décidé de prendre la réforme, celle des fameuses «compétences transversales», par les... cornes. «La réforme, c'est donner un sens à l'apprentissage. C'est sortir des livres de français et de maths qui sont fort intéressants, mais qui, tout seuls, n'ont aucun sens», défile-t-il, alors que ses «écuries» — des équipes de trois ou quatre élèves qui ont uni leurs forces pour créer le bolide — agitent l'égoïne et le vilebrequin pour raffiner leur véhicule, qu'il soit camion de pompier, prototype d'un Hummer à six roues ou simple Porsche décapotable.
«Ce que la réforme nous dit, c'est qu'il faut mettre l'accent sur la méthode plutôt que sur la matière», poursuit le jeune professeur. «Quand je lance mes projets, je m'assure d'intéresser mes jeunes et de capter leur intérêt. Après, ça va tout seul.» Alors que les fins d'année sont peut-être plus difficiles pour certains enseignants, l'intérêt des jeunes décroissant au gré des beaux jours, pour M. Stéphane, «ça va tout seul, c'est le projet qui les porte, je ne m'égosille pas devant eux».
Cette année, son éclair de génie l'a dirigé vers la construction automobile. «C'était pour les accrocher, et après, j'ai réussi à intégrer toutes les matières dans le projet Super Bolide», poursuit Stéphane Côté, qui a convaincu ses deux compères enseignantes de 6e année de participer à cette belle folie.
Le discours ronflant sur les compétences transversales, qui a fait l'objet de maintes critiques dirigées à l'endroit du ministère de l'Éducation, n'a rien de perceptible ici. Pourtant, il est là, derrière, et le prof défile pour la journaliste la liste de ces compétences — des «outils de développement et d'adaptation qui servent à comprendre le monde et à guider l'élève dans ses actions», selon le libelle du MEQ —, en confirmant qu'elles font bien partie de son projet.
Les élèves ont exploité l'information, résolu des problèmes, exercé leur jugement critique, mis en oeuvre leur pensée créatrice, utilisé des méthodes de travail efficace, exploité les technologies de l'information, coopéré, communiqué et ont acquis une meilleure connaissance d'eux-mêmes — toutes des compétences transversales —, en construisant un simple petit bolide fait de bois, de carton, de trappes à souris (le moteur!), de métal et de roues de caoutchouc.
Près de 1000 heures de travail acharné sur ordinateur pour le prof, quelque 70 heures pour les jeunes en l'espace de trois mois, et à raison d'une période par jour. «À la fin, ils venaient en grand nombre passer les journées pédagogiques à l'école pour s'avancer!», raconte M. Stéphane, alors que l'absentéisme est pourtant un criant problème à l'école.
Divisés en «écuries» de trois ou quatre membres, ils devaient construire leur bolide de A à Z, concevant les essieux, le chassis, le système de propulsion — fait entièrement à base de trappes à souris —, la carrosserie, la suspension, et le système électrique: certaines équipes ont même réussi à allumer des «hautes» et des «basses» sur les phares avant, en plus de fignoler une manière d'actionner des phares d'arrêt à l'arrière du véhicule au moment où il stoppe son élan.
Ils ont créé une unité monétaire — le «rien» — et formulé des demandes de subvention aux gouvernements pour financer la construction de leur véhicule: une demande au provincial et une autre au fédéral, représentés par les enseignants. «Cher M. Stéphane, Emmanuelle, Gabrielle et moi, Caroline, faisons un projet qui consiste à construire une automobile», écrivent les trois membres de l'équipe Urgence 911 dans leur demande de subvention. «Nous avons choisi de faire un camion de pompier. Malheureusement, pour faire ce magnifique projet, il nous faudra du matériel qui nous coûtera 3040 riens.»
Des demandes peu soignées, bourrées de fautes d'orthographe ou de syntaxe ont été systématiquement retournées aux expéditeurs, note le représentant de l'échelon provincial, M. Stéphane. «Après trois retours, je ne leur donnais que 500 riens pour le projet, peu importe la hauteur de la demande. Voilà une note signifiante, bien plus qu'une note sur un bulletin. Si tu fais des fautes, c'est ton projet qui en souffre directement. La motivation est claire.»
Non seulement ils ont fait des demandes de subvention, mais ils ont aussi émis des actions pour regarnir leurs goussets. À partir de renseignements fournis par l'équipe sur l'évolution de leur projet sur un site Internet conçu par les jeunes, les élèves pouvaient acheter des actions d'une ou l'autre des équipes. «Nos actions ont monté, elles sont rendues à 55 riens», explique avec un sourire de fierté Nicolas Jolicoeur, 12 ans, de l'équipe Hummer JR.
Peu intéressée par les actions, l'équipe d'Urgence 911 n'a pas sauté de joie non plus quand un projet de construction automobile leur a été proposé. «On va faire un bolide?! Ça va être plate!», se rappelle Caroline Morin, 12 ans. «Mais, au bout, c'était vraiment l'fun! J'ai même pas hâte que l'année finisse», ajoute-t-elle, pourtant à trois jours des... vacances d'été.
«Mon système électrique n'est pas tout à fait fini, mais je vais y arriver demain», raconte Gabrielle Bigras, 12 ans, de la même équipe. Urgence 911 a joué d'originalité en choisissant un camion de pompier, alors que la majorité de leurs compères ont opté pour le véhicule tout terrain ou l'auto sport. «On est d'ailleurs en nomination pour l'originalité de notre bolide», ajoute Emmanuelle Chapleau, 11 ans, qui complète ce trio féminin.
Cinéastes en herbe, ils ont réalisé un petit documentaire pour expliquer l'une des étapes de production du bolide. Mercredi soir dernier, lors d'un gala réalisé pour eux seulement, des mentions ont été données à l'ensemble des élèves pour souligner leur travail au cours de ces derniers mois. Ils sont tous repartis avec deux ou trois trophées chacun dans les mains. «C'est le projet qui comptait, pas le résultat. Ils sont tous gagnants», explique Stéphane Côté, qui a été renversé par la persévérance de ses moussaillons.
En fin de gala, le professeur courait de l'avant de la scène, où il remettait quelques trophées, et à l'arrière, où il manoeuvrait un impressionnant système informatique guidant la présentation audio-vidéo de la soirée. Saluant bien bas les efforts fournis par leurs enfants, il s'est adressé à la salle emplie de parents: «J'espère qu'un jour, chez vous, au travail, où que vous soyez, vous vivrez ce que nous avons vécu cette année dans la classe, ce sentiment qui vous envahit et où vous vous dites: "Je ne voudrais être nulle part ailleurs... "»