Michelle ma belle... sont des mots qui vont très bien ensemble

« Alors ne vous avisez pas de croire que je suis une personne unidimensionnelle ou qu’une discipline ou qu’un travail [fût-il celui très compliqué de journaliste] soit hors de mes capacités. Je n’aime pas qu’on me mette ou qu’on mette les autres dans une petite boîte parce que ma boîte à moi est grande en mautadit et qu’elle restera ouverte
jusqu’à ce que je meure… » — À propos «des vrais métiers»,Michelle Blanc
On pourra penser que cette rencontre faisait partie des collisions frontales inévitables au chapitre de la superficialité et des contrastes distrayants. Joblo and Michelle, la transexuelle, go shopping on the Main. Michelle me prête son mascara, nous comparons le galbe de nos poitrines respectives (ici, on peut sourire), causons épilation, achetons des bijoux inutiles, rigolons comme deux cégépiennes qui sèchent leur cours de philo pour aller faire une virée en ville, et nous réussissons accessoirement à régler la question du naufrage des médias imprimés entre deux cafés.
Vaste programme. Mais il en faudrait davantage pour effrayer une superwoman qui a complété une maîtrise scientifique en commerce électronique et le propédeutique à la maîtrise en anthropologie sociale, qui a tripé sur la chimie, été videur dans un bar, joueur de football, vendeur de d'aspirateurs, garde du corps, couvreur, bussboy dans un club de danseuses, servant de messe. Elle est aussi devenue lesbienne sur le tard, la seule solution (si on exclut le suicide) à la dysphorie d'identité du genre. Et du genre, on peut dire que Michelle Blanc en a à revendre, même en période de récession.
Si je l'ai approchée, ce n'est surtout pas à titre de symbole de la transexualité au Québec, mais plutôt comme consultante et blogueuse en marketing Internet et stratégie Web. Initialement, je voulais «sauver» mon avenir professionnel, mais j'ai compris après trois heures en sa compagnie qu'il y avait une leçon de vie, juste là, devant mes yeux. Michelle incarne l'adaptation parce qu'elle a la souplesse nécessaire pour tout bousculer, y compris sa garde-robe et l'opinion publique. Au risque de tout perdre, elle s'est trouvée. «C'est pas un trip sexuel, c'est mental!», rappelle celle qui suit des séances d'hypnothérapie pour adoucir sa voix de ténor.
En sa délicieuse compagnie, j'ai saisi comment on pouvait devenir lesbienne en cinq minutes, pourquoi sa blonde a choisi de rester avec Michelle après avoir partagé son lit pendant 15 ans avec Michel. Certaines personnes rendent les changements inspirants et vous font voir la chirurgie esthétique sous un autre jour. L'authenticité est une arme redoutable, la vulnérabilité, en jupe ou en pantalon, aussi. Difficile de ne pas tomber sous le charme de cette femme en perpétuelle transformation pour explorer le thème de la métamorphose (médiatique).
Pour en finir avec le journalisme 1.0
«Est-ce qu'on peut parler d'autre chose que de ma vaginoplastie?», dit-elle en me regardant droit dans les yeux. Ce qui est craquant chez Michelle Blanc tient à la fois à son franc-parler typiquement yang allié à la sensibilité yin. Le mélange des genres? Michelle surfe sur les deux tableaux sans distinction et en multipliant les contradictions, parlant abondamment d'elle puis revenant à des sujets plus proches de sa passion professionnelle.
Alors causons journalisme puisque son futur vagin n'est pas censé nous intéresser. Je l'ai entendue comme conférencière sur le thème «Sauvons le Journal de Montréal» (ici, remplacez le nom du journal par Le Devoir, si vous préférez).
Son analogie entre les fabricants de fouets qui s'opposaient à l'arrivée des automobiles au XIXe siècle et les journaux qui résistent encore au Web m'avait semblée amusante.
«Le journalisme va toujours exister, dit-elle. Mais ça va se transformer. La nouvelle n'aura plus de valeur puisqu'on la retrouve déjà partout grâce au Web. Mais l'analyse, l'opinion, l'enquête, ça, ça va rester. Tout est question de niche. The Economist va encore être là parce qu'il a une niche. Le chroniqueur horticole est probablement celui qui reçoit le plus de courrier dans un journal. En ce moment, on lit les journaux pour les chroniqueurs et les éditorialistes, pas pour savoir si Israël a envahi le Liban. Toi, t'auras aucun problème à rebondir: t'as ta niche. C'est comme pour les agents de voyages: si tu offres des visites de vignobles italiens pour retraités, tu peux t'en sortir; si tu fais Montréal-Toronto, t'es dans la marde.»
Trouver sa passion
Une conférencière un rien baveuse et très recherchée, Michelle parle parfois à des étudiants et leur rappelle que la vie n'est pas une course pour arriver bon premier. «Trouve ce qui te fait tilter! Moi, j'ai trouvé ma passion à 40 ans: le Web. Si t'es passionné par ce que tu fais, tu vas être bon et si t'es bon, ça va être payant.» Pour en revenir au journalisme, celle qui alimente un des blogues les plus influents sur le Web francophone (www.michelleblanc.com), est formelle: «Les journalistes doivent apprendre à dialoguer, à travailler avec la plèbe. Twitter ne va pas les remplacer; ça va plutôt les aider à faire leur job. Et il faut que les employeurs payent les journalistes pour avoir un blogue et gérer les commentaires. Il faut que les journalistes descendent de leur piédestal.»
Lorsqu'on lui parle de la fin des blogues, Michelle hausse un sourcil dubitatif: «Les statistiques disent le contraire, on est encore loin du déclin. Peut-être un jour... mais la philosophie et la prise de parole des citoyens, du Web 2.0, ça va demeurer. Le paradigme qui s'est installé va être là pour longtemps. Les gens qui bloguent sont généralement extravertis et généreux. Et toi, ton marché, ce n'est pas le Québec, c'est la francophonie, ne l'oublie pas!»
Avec Michelle, les horizons s'ouvrent même si elle n'ouvre plus la porte aux dames. Et c'est probablement pourquoi je l'engagerais pour me relooker et repositionner mon entreprise si j'en avais une. Comme tous les visionnaires, Michelle ne se laisse pas arrêter par le consensus ambiant, les étiquettes ou la procédure normée. Elle a déjà une longueur d'avance sur ce qui s'en vient.
Lorsque j'entends la vendeuse demander devant nos cabines d'essayage: «Est-ce que tu vas encore grossir des seins?», je sais qu'elle ne s'adresse pas à moi, mais je me dis aussi que tout est possible. Et qu'on ne sait jamais vraiment qui l'on est tant qu'on n'a pas tout tenté pour le devenir.
Michelle est probablement la plus grande féministe que j'aie rencontrée, consciente de ses droits, menée par ses aspirations, faisant respecter la différence partout où elle passe, sans agressivité, sans faire pitié, sans se prendre trop au sérieux. Et surtout, elle aura pris la défense d'une femme, la seule qui compte vraiment puisque c'est elle, lui donnant le droit d'exister et de porter des soutiens-gorge.
***
cherejoblo@ledevoir.com
***
Assisté: à la première de Cavalia, qui sera présenté jusqu'au 1er juin prochain. Aucune jument dans le spectacle qui regroupe 62 chevaux, dont 42 hongres et 20 étalons. Voilà pour le partage des genres... Sinon, ma deuxième visite aura laissé mon écuyère intérieure sur sa faim. Trop de numéros d'acrobaties, pas assez de chevaux en piste, comme si on ménageait les montures qui ont toutes un remplaçant pour leur permettre de souffler. Mais, bien sûr, comme la première fois, l'impression d'assister à un rare moment de magie entre l'homme et sa plus noble conquête subsiste au-delà des techniques de dressage et de l'effort. www.cavalia.net.
Consulté: Les 5 formes d'intelligence pour affronter l'avenir de Howard Gardner (Odile Jacob). Le père de la théorie des intelligences multiples nous livre une synthèse des cinq formes d'esprit prisées par l'avenir. L'esprit discipliné, l'esprit synthétique, l'esprit créatif, l'esprit respectueux et l'esprit éthique jouent un rôle central dans le monde actuel et prendront encore plus d'importance demain, selon le chercheur de Harvard.
Il différencie d'ailleurs les cinq formes d'esprit des huit ou neuf intelligences humaines: «En réalité, je cherche à vous convaincre qu'il est nécessaire de cultiver ces esprits et à exposer les meilleures méthodes pour y parvenir plutôt que de décrire les capacités de cognition et de perceptions qui sous-tendent ces esprits.».
***
Joblog
Se faire prendre par le ventre
Si un jour je me (re)dirige vers la fiction, ce sera pour enfin dire tout ce que je ne peux pas garder d'une entrevue. Avec Michelle Blanc, il y a eu beaucoup de «off the record». Par souci de protéger sa vie privée, sa blonde, sa famille, elle-même. Et je respecte totalement ce besoin de ne pas tout étaler. Une fille a le droit de dire ou pas, et surtout au moment où ça fait son affaire. Michelle le fait d'ailleurs dans son second blogue, www.femme-2-0.blogspot.com, où elle relate tout son parcours transexuel, «une étape», comme elle le dit si bien.
Avec Michelle, il a été question de courage, «mais c'est pas du courage quand t'as pas le choix de changer, que t'es en dépression sévère et que t'as fondu de 30 livres», et de la difficulté d'imposer le changement autour de soi.
La plus grande surprise, pour moi, a probablement été de me retrouver face à une «femme», une vraie. Pas un gai qui se fabrique un SPM sur mesure et des airs de duchesse exaspérée, pas un homme qui se déguise, pas un travelo, non, une femme forte et vulnérable comme on les aime. Et je lui ai fait beaucoup de peine (je l'ai vu) lorsqu'un «il» m'a échappé en parlant d'elle au photographe. «C'est comme si on me plantait un couteau dans le ventre», dit Michelle.
Elle est repartie en me laissant un contenant de sauce ragu congelée à la pancetta, au foie et au veau (recette de Robert Fresson, photographe culinaire). En voilà une qui sait comment prendre une femme par le ventre...
***
www.chatelaine.com/joblo
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.