Totalement, fièrement et délicieusement Newfie - Aux armes, musiciens et conteurs!

Dans les nombreux festivals folk qui se tiennent en dehors de la capitale, des formations d’ados font rocker, comme dans la capitale, les violons, les accordéons et les banjos.
Photo: Dans les nombreux festivals folk qui se tiennent en dehors de la capitale, des formations d’ados font rocker, comme dans la capitale, les violons, les accordéons et les banjos.

Alors que les conservateurs fédéraux poursuivent leur massacre à la scie des programmes de soutien à la culture, les tories terre-neuviens prennent la direction inverse. Ils ont doublé le budget du Conseil des arts l'an dernier et ils viennent de confier à un conteur le poste de Directeur du patrimoine intangible. La présidente de la Folks Arts Society, Anita Best, se garde de féliciter trop fort ses élus, mais elle leur lève son chapeau avec un humour noir typiquement newfie. «Quand le diable fait quelque chose de bien, nous devons dire qu'il est un homme bon», dit-elle

Sur le Rocher, Anita Best pourrait être une des leaders — sinon la chef — de la Newfoudland Liberation Army (NLA), si celle-ci existait autrement que sur des t-shirts vendus à la boutique Living Planet de Saint John's. «Ici, si vous voulez pleurer sur votre sort, vous pleurerez sans arrêt. L'omniprésence de la musique et de l'humour dans nos vies a largement contribué à notre survivance», dit-elle.

La NLA du designer mène ses combats avec des guitares, des cuivres, des violons et des accordéons. Elle est en guerre contre toutes les injustices faites à son peuple. La vraie NLA, celle des artistes locaux qu'évoque cette image, est un contingent nombreux, aimé et fortement enraciné au sein de la population.

Dans les magasins de disques du centre-ville, les présentoirs des meilleurs vendeurs sont monopolisés par des noms comme Figgy Duff, Ron Hynes, Jim Payne et Fergus O'Byrne, The Wonderfull Frand Band, The Punthers, Great Big Sea ainsi que Pamela Morgan et Anita Best. Sur la plupart de ces albums, des chansons traditionnelles défilent entrecoupées de créations originales. Certaines, comme Wave over Wave, de Jim Payne, reprise par Great Big Sea, et surtout, surtout, Sonny's Dream, de Ron Hynes, sont aussi connues et chantées par la majorité que le Phoque en Alaska de Michel Rivard l'est par les Québécois.

Quiconque a un jour mis les pieds à Terre-Neuve ou dans une partie de la planète amoureuse de folk a entendu cette chanson. Son refrain donne la parole à une mère dont le mari, un marin, n'est jamais à la maison. Elle supplie son fils de rester auprès d'elle. Sonny, le fils, rêve de partir. La mère sait qu'elle ne pourra le retenir. «Terre-Neuve est une société où, jusqu'à tout récemment, tous les enfants ont été élevés uniquement par les femmes. Les hommes étaient marins, pêcheurs, bûcherons ou mineurs», explique Ron Hynes. Ces propos et leur musique ont parlé aux gens lors de leur création, en 1976, et ils continuent encore d'émouvoir et d'être un incontournable des rassemblements, qu'importe la génération.

La popularité de Sonny's Dream est venue par l'entremise de The Wonderful Grand Band (WGB), cofondé par Ron Hynes en 1978. Pendant ses six ans de vie, WGB a poussé le remue-ménage de la tradition à des niveaux supérieurs à ceux atteints avant eux par un seul autre groupe au Canada, les également Terre-Neuviens Figgy Duff, né au début des années 1970. Ses membres ont les premiers au pays à ajouter de la guitare électrique et de la batterie aux violons et aux accordéons des racines. Ils ont tourné partout au Canada, mais ils ont fait choux gras au Québec.

«Au Québec, les salles de rock nous trouvaient trop folkloriques et les diffuseurs de folklore nous trouvaient trop rock», se rappelle Palema Morgan, chanteuse, multi-instrumentiste et leader de Figgy Duff. Il faudra attendre la Bottine souriante, née en 1976, pour que le Québec accepte un tel mélange des genres.

Selon Anita Best, ces deux groupes, en insufflant un vent de modernité au folklore, ont en fait assuré sa pérennité. Leurs succès ont inspiré des plus jeunes qui, comme Great Big Sea, poursuivent une carrière internationale importante et inspirent à leur tour des centaines d'adolescents qui apprennent, ces jours-ci, le violon et la guitare, entre autres.

«Les traditions meurent quand elles deviennent rigides. C'est le cas, par exemple, des danses écossaises. À mes yeux, le folk, c'est tout autant la tradition que les apports introduits par les plus jeunes ou les autres cultures», dit-elle. C'est cette vision qui a dominé la programmation et l'organisation du 32e Festival folk de Terre-Neuve et du Labrador, qui s'est déroulé à Saint John's le week-end dernier, sous sa présidence.

L'autre hymne national

Il y a une semaine, jour pour jour, Anita Best a inauguré l'événement en chantant a cappella The Ode to Newfoudland, l'hymne national de cet ancien pays devenu 10e province en 1949. C'est ainsi que débute invariablement ces trois journées de prestations et d'échanges, présentées cette année sous le thème Folkie without border. Lire: sans barrière de genre musical, pas plus que de nationalité, d'âge, de sexe ou de religion des artistes.

La musique terre-neuvienne, évidemment, a dominé. À quoi la reconnaît-on? À sa diversité. Si les rythmes irlandais et écossais teintent largement ses mélodies, on y décèle aussi des influences — quand ce n'est pas leur présence à l'état pur — slaves, portugaises, françaises, acadiennes, grecques, américaines et britanniques, entre autres. Terre-Neuve a aussi ses auteurs-compositeurs-interprètes, également reconnaissables... à cette diversité des genres musicaux.

Dans cette île immense qui fut la dernière possession de la France en Amérique, avant d'être colonie britannique et indépendante, en plus d'accueillir sur ses côtes pendant des centaines d'années des marins de toutes nationalités, la culture locale s'est, au fil des ans, forgée de l'intégration d'un peu de toutes ces cultures, sans pour autant les faire disparaître dans leur forme originale. Cette tradition d'ouverture assortie de métissage continue de se perpétuer avec la formation, plus récente, de groupes ska, reggae et manouche. Les Terre-Neuviens ne sont pas Newfies : ils aiment aussi le rock, le heavy metal, le jazz, le blues et la musique classique. «Ils adorent le country», tient à préciser Anita Best.

N'empêche, en se promenant à St. John's, des mélodies locales, qu'elles aient été composées au 18e, au 19e siècle, ou il y a quelques jours, se faufilent toujours par les fenêtres des maisons et des autos et animent de très nombreux bars du centre-ville. Dans les nombreux festivals folk qui se tiennent en dehors de la capitale, des formations d'ados font rocker, comme dans la capitale, les violons, les accordéons et les banjos.

Le Montréalais d'origine Xavier Georges, aujourd'hui coordonnateur du Réseau culturel francophone de Terre-Neuve et Labrador, vit sur l'île depuis six ans. «Partout, et peu importe les générations, les gens écoutent toutes sortes de musique, mais ils reviennent toujours à la terre-neuvienne. Ici, cette musique n'est pas du folklore, c'est un art vivant», confirme-t-il.

Le mal du pays

Vivante aussi est la mémoire de Terre-Neuve le pays et de ses symboles. Son drapeau aux bandes rose, blanche et verte flottait allègrement dans le Parc Bannerman, lieu du Festival. Et après sa clôture officielle, les milliers de festivaliers qui étaient venus célébrer les retrouvailles de Figgy Duff ont entonné en choeur The Ode to Newfoudland.

La veille, ils avaient aussi joué à la chorale pendant l'interprétation de Sonny's Dream par son auteur qui, comme Anita Best, serait certainement aux premiers rangs de la Newfoudland Liberation Army, si celle-ci existait, bien sûr. En plus de faire chanter ses gens, il ne décolère pas des conditions qui ont mis fin à l'indépendance de sa terre natale, en 1949. «Notre pays nous a été volé lors d'un suffrage truqué par les élites canadienne, britannique et terre-neuvienne tenu le 1er avril, le jour des fous», soutient-il.

En 1992, il signait un autre classique, The Final Breath, lauréate du Génie de la meilleure chanson de film au Canada. «Nous avions défié les siècles. Nous vivons les plus vieilles des passions. Rires et misère. Ici, entre le temps et les marées, entre les pleurs et l'allégresse, lies a secret nation», affirme-t-il dans son refrain. Lies peut se traduire par «git», «dort», «se cache» ou «est». Nation par nation, ou pays. À chacun son interprétation. C'est voulu.

Anita Best, qui, en plus de ses multiples présidences, enseigne l'histoire de Terre-Neuve à travers son folklore à l'Université Memorial, ne se prononce pas sur la légitimité ou la légalité des résultats référendaires de 1949. «Légende que ce référendum volé? Chose certaine, plusieurs Terre-Neuviens y croient encore, et la majorité vivent avec la conviction profonde que nous sommes différents des autres Canadiens. En cela et en bien d'autres choses, nous avons plusieurs points en commun avec les Québécois», dit-elle.

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