Des églises transformées en nécropoles

Les églises sont vides, les cimetières débordent. L'Écomusée de l'Au-delà propose une solution à l'un et l'autre de ces problèmes en plaçant les urnes funéraires dans les églises. Une idée simple, efficace, peu coûteuse, qui suscite des réactions enthousiastes tant du côté des autorités religieuses que du côté des autorités politiques.

Le ministère de la Culture vient tout juste de commander une étude de faisabilité à l'écomusée, un organisme sans but lucratif de Montréal qui veut «préserver et faire connaître le patrimoine paysager, culturel et historique des cimetières du Québec». L'équipe de spécialistes, comprenant un architecte et un urbaniste, va notamment se pencher sur le cas concret de quatre églises de Montréal visées par les premières installations funéraires.

L'étude doit aussi analyser les impacts économiques et le problème de la gestion de ces nouvelles nécropoles urbaines. Un sondage sera commandé sur le sujet, histoire de jauger l'intérêt de la population. On sait déjà que plus de la moitié des Québécois préfèrent maintenant l'incinération à l'enterrement.

Le diocèse de Montréal appuie la réalisation de l'enquête. Le comité Construction et art sacré de l'archevêché à lui-même proposé les églises à transformer, «présentant des cas de figure différents», selon les documents obtenus par Le Devoir. Il s'agit notamment de deux lieux sacrés du Plateau Mont-Royal: Saint-Jean-Baptiste, «pour le défi que pose sa très grande valeur patrimoniale et son utilisation comme salle de concert», et Saint-Pierre-Clavert, «de bonne valeur architecturale et à l'intense implication communautaire». L'archevêché a déjà annoncé son intention de vendre ou de céder quelques dizaines d'églises du diocèse.

«La solution permet de faire d'une pierre deux coups en sauvant deux patrimoines, celui des cimetières et celui des églises», explique Jean Décarie, consultant en urbanisme, membre du comité chargé de l'étude avec Alain Tremblay, président-fondateur de l'écomusée, Gilles Lavigueur, architecte spécialisé en restauration d'églises, et Yvon Rodrigue, administrateur de complexes funéraires. «L'utilisation des églises permet d'éviter la construction de nécro-dépôts, de mausolées, de condos à cadavres, et en même temps de transférer la fonction de ces grands bâtiments qui défigurent le paysage dans de beaux édifices déjà existants mais menacés de disparaître.»

Jean Décarie est diplômé en géographie et en urbanisme de l'Université de Montréal. Il a travaillé à la Ville de Montréal comme responsable de la politique des parcs, du projet du réseau vert et du projet de mise en valeur du mont Royal. Retraité depuis 1998, il a intensifié son implication dans différents dossiers, dont ceux mis sur pied par les Amis de la montagne, Vélo-Québec, Héritage Montréal et l'Écomusée de l'Au-delà.

Le projet de columbariums en église vient de lui. Il en a lancé l'idée à la fin de la dernière décennie lors d'un colloque sur le mont Royal, organisé par le Centre canadien d'architecture. L'idée a germé et s'est épanouie au fur et à mesure des intérêts suscités de tous cotés. La revue Frontières de l'UQAM, spécialisée dans les études sur la mort, a publié une présentation du projet.

La proposition québécoise serait unique au monde. M. Décarie sera en Belgique, la semaine prochaine, pour l'expliquer en long et en large, tout en la situant dans la longue tradition des rites funéraires en Occident. «Les organisateurs du colloque m'ont averti que la télé s'intéressait déjà à ma présentation», raconte l'urbaniste.

Les hauts personnages de la chrétienté, princes ou évêques, ont longtemps été enterrés dans les cryptes des églises. Certains ont déjà pensé à transformer des églises abandonnées en immense nichoir à urnes. L'originalité (et la richesse) de la nouvelle idée consiste au contraire à installer les vases dans les lieux de culte toujours ouverts, de manière à les redynamiser.

«L'hypothèse de départ propose d'utiliser les bas-côtés, dit M. Décarie. On pourrait installer des étagères pour recevoir les petites boîtes d'un pied carré. Les familles des défunts viendraient se recueillir autour de ces niches, même ceux qui ne sont pas croyants.» Les documents publiés par l'urbaniste envisagent de déposer les vases contenant les cendres des défunts dans des niches ou des casiers discrets dans la nef, les jubés latéraux, les transepts ou même la sacristie, pouvant elle-même servir aux cérémonies de commémoration.

Trois des églises étudiées par l'équipe de l'écomusée maintiennent des services religieux, soit Saint-Jean Baptiste, Saint-Pierre-Claver et Saint-Joseph. L'hypothèse de l'édifice religieux complètement transformé en vaste dépôt d'urnes sera testée en l'église Saint-Vincent-de-Paul, dans le quartier Hochelaga, un édifice qui vient de fermer. «Je suis réfractaire à cette hypothèse, mais on va la tester quand même, dit M. Décarie. En plus, c'est vrai, si l'église est fermée, alors on peut en faire n'importe quoi, des condos ou un columbarium.»

À la limite, toutes les églises de Montréal, peu importe leur confession, pourraient se rallier au programme funéraire. L'étude va aussi examiner les avantages économiques de la proposition. Les coûts funéraires peuvent atteindre des milliers de dollars au Québec, même en cas d'incinération. M. Décarie affirme que sa solution pourrait réduire grandement ces frais, tout en soulignant que l'étude en cours va justement permettre de fournir des données sonnantes et objectives. «Une chose est sûre: on pourrait chambouler le secteur qui, il ne faut pas l'oublier, est en bonne partie sous contrôle américain depuis l'achat de certaines grandes firmes funéraires québécoises.»

La gestion des columbariums en église pourrait aussi profiter aux paroisses. On envisage plusieurs scénarios, allant de la gestion directe par la fabrique à la gestion confiée à un OSBL paroissial, jusqu'au transfert des responsabilités aux cimetières, évidemment de prime abord réfractaires au projet qui leur enlèverait des «clients» et des revenus.

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