Marchés boursiers - Suspense à Wall Street

Les yeux du monde financier étaient tournés hier vers le gouvernement américain avec une seule question: l'indigestion immobilière se soldera-t-elle par une opération de sauvetage? Alors que les deux géants du financement hypothécaire, Freddie Mac et Fannie Mae, continuaient d'agoniser en Bourse, Washington a pour l'essentiel répondu ceci: pas pour l'instant.

Le New York Times a donné le ton de la journée en écrivant hier matin que l'administration Bush travaille sur un plan de mise en tutelle d'un des deux joueurs, voire les deux, si jamais les choses se détérioraient davantage. Convaincus qu'une telle possibilité pourrait ramener leurs actions à zéro, les investisseurs se sont rués, à nouveau, vers la porte de sortie.

La nouvelle dégringolade observée hier clôt une semaine pendant laquelle les investisseurs semblent avoir décidé que Freddie Mac et Fannie Mae souffrent plus que prévu des déboires du secteur immobilier et qu'ils auront besoin de faire appel au marché pour renflouer leurs coffres.

En fin de journée, les deux entreprises ont tenté de limiter les dommages en publiant des communiqués dans lesquels elles affirment qu'elles ne manquent pas d'argent et que, selon Freddie Mac, la spéculation au sujet d'une mise en tutelle «ne reflète pas bien» la réalité.

Mais le mal était déjà fait. Freddie Mac, qui a perdu 45 % de sa valeur depuis lundi, a terminé la séance en baisse de 3 %, à 7,75 $. En début de journée, son action plongeait carrément de 50 %. Quant à Fannie Mae, qui a elle aussi chuté de 45 % sur la semaine, son titre a reculé hier de 22 %, à 10,25 $.

Un pont important

Freddie Mac (Federal Home Mortgage Corporation) et Fannie Mae (Federal National Mortgage Association), créées par décret gouvernemental dans les années 1970 et les années 1930 respectivement, achètent des hypothèques conventionnelles auprès des banques, les remballent et les revendent à Wall Street.

L'objectif de ce mécanisme, qui crée un pont entre les prêteurs et les investisseurs, est de permettre aux banques d'avoir une source d'argent continue pour financer de nouveaux prêts. Ainsi, les deux possèdent ou garantissent près de la moitié des quelque 12 trillions en hypothèques aux États-Unis, d'où la crainte qu'éprouvent certains à l'idée de les voir en crise.

Washington a orchestré un certain nombre d'opérations de sauvetage au fil des ans, sous diverses formes. La dernière en lice est l'acquisition de la banque d'affaires Bear Stearns par JP Morgan Chase en mars, une opération mise en branle avec l'assentiment de la Fed, qui craignait que l'effondrement de Bear ait une incidence sur l'ensemble du secteur financier.

Une loi de 1992 prévoit que si jamais Freddie ou Fannie sombrait en situation de déficit grave, le gouvernement américain pourrait effectuer une mise en tutelle.

«Forme actuelle»

Hier, le secrétaire du Trésor s'est limité à exprimer l'appui de Washington. «Aujourd'hui, notre principal objectif est de soutenir Fannie Mae et Freddie Mac dans leur forme actuelle pendant qu'elles poursuivent leur mission importante», a dit Henry Paulson.

«Nous apprécions les efforts importants du Congrès pour compléter la législation visant à promouvoir la confiance en ces entreprises. Nous maintenons un dialogue avec les organismes réglementaires et ces entreprises», a ajouté M. Paulson, chef de la direction de la banque d'affaires Goldman Sachs de 1999 à 2006.

De son côté, le président George W. Bush a dit que M. Paulson et le président de la Réserve fédérale américaine, Ben Bernanke, «travailleront très fort au sujet de cette question».

Si un scénario de mise sous tutelle rend les observateurs et les marchés nerveux, c'est que la mission des deux entreprises permet de maintenir une pression à la baisse sur les taux hypothécaires.

Le marché résidentiel n'a pas encore fini de purger les excès dont il a été l'objet dans plusieurs régions des États-Unis depuis 2002. Comme c'est le cas de plusieurs établissements qui ont investi dans l'immobilier, Freddie Mac et Fannie Mae souffrent du fait que le nombre de défauts de paiement augmente alors que la valeur des maisons est en baisse.

Catalyseur

Le catalyseur, cette semaine, est venu d'une banque d'affaires de Wall Street. Lehman Brothers a estimé lundi que les deux entreprises manquent si cruellement d'argent qu'elles devront un jour lever environ 75 milliards pour renflouer les coffres. En 2007, Freddie Mac a affiché une perte nette de 3,1 milliards, sa première en plusieurs années. Quant à Fannie Mae, la perte au cours de la même période s'est chiffrée à 2,1 milliards.

«Notre niveau de fonds propres est largement au-dessus de notre minimum obligatoire» et le groupe a même «davantage de surplus de fonds propres qu'à aucun moment de son histoire», a dit le vice-président de Fannie Mae, Chuck Greener, dans un communiqué.

Des observateurs ont dit que Wall Street, encore une fois, se laisse emporter. «Nous avons discuté avec la direction de Freddie ce matin et ils ont indiqué qu'il n'y a eu aucun changement significatif dans leur situation financière au cours du deuxième trimestre», ont écrit des analystes de Citigroup dans une note de recherche reprise par plusieurs médias.

Au minimum, ont précisé les analystes de Citigroup, l'organisme chargé de surveiller Freddie Mac et Fannie Mac, l'Office of Federal Housing Enterprise Oversight, se doit d'exprimer un soutien. «Nous croyons que les choses se calmeront lorsque les autorités réglementaires auront compris le rôle important de ces entreprises, et nous sommes d'avis que la récente liquidation des actions de Freddie et Fannie est exagérée.»

De son côté, le président du comité sénatorial sur les banques, le démocrate Christopher Dodd, a lancé un appel au calme en affirmant lors d'un point de presse que les deux entreprises sont «fondamentalement solides».

Le Devoir

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