Les médecins narguent Couillard - Les spécialistes boudent le plan de réduction des délais d'attente

Les médecins spécialistes tentent un nouveau bras de fer avec le gouvernement dans l'espoir d'obtenir la parité avec leurs collègues du reste du Canada. La Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) a décidé de faire un pied de nez au ministre de la Santé, Philippe Couillard, et de bouder son plan de réduction des délais d'attente. Le syndicat invite ses membres à ne pas augmenter la cadence des chirurgies, comme le ministre le leur demande.
Ces derniers jours, le ministre Couillard a distribué à travers le Québec une enveloppe de 50 millions destinée à réduire les listes d'attente pour les chirurgies électives en permettant d'accroître la disponibilité des blocs opératoires. On estime que cette somme pourrait permettre de réaliser 30 000 chirurgies supplémentaires.Les bonnes nouvelles du ministre se heurtent cependant à la colère des médecins spécialistes, qui n'ont toujours pas digéré la loi spéciale fixant leurs conditions de travail. Ils ont encore en travers de la gorge le refus de Québec de leur accorder la parité avec leurs confrères canadiens.
La FMSQ a lancé hier un mot d'ordre à ses membres pour qu'ils n'augmentent pas le nombre de chirurgies et cessent toutes leurs activités bénévoles. On enjoint ainsi aux médecins de ne plus participer à des comités, de cesser de dispenser certaines activités d'enseignement ou de ne plus remplir de formulaires administratifs.
«Ces annonces sont utopiques et ressemblent à un mirage électoral. Cette loi même nous empêche de concrétiser les demandes de M. le ministre», a plaidé le vice-président de la FMSQ, le Dr Louis Morazain.
Le syndicat de médecins prétend s'appuyer sur le texte de la loi adoptée en juin dernier pour justifier son refus d'accroître le rythme des chirurgies. C'est qu'un article interdit à tout médecin spécialiste de «participer à une action concertée par laquelle il cesserait, diminuerait, ralentirait ou modifierait son activité professionnelle». Ce genre de disposition vise généralement à interdire une «grève du zèle».
Selon l'interprétation de la FMSQ, l'interdiction de «modifier» leur activité professionnelle empêche les médecins «d'en faire plus qu'avant». «Il n'y a aucune place dans cette loi pour négocier de nouveaux services, de nouvelles tâches ou même de nouvelles technologies. La loi ne donne aucune marge de manoeuvre. Ce n'est pas ma loi, c'est leur loi», a fait valoir M. Morazain.
La FMSQ se défend d'exercer des moyens de pression. «Ce n'est pas du chantage, nous allons respecter la loi. [...] Si M. Couillard et le gouvernement veulent rétablir le dialogue, ils doivent poser des gestes concrets en regard de la loi et déposer une offre tangible sur les écarts de rémunération», a indiqué M. Morazain.
En lançant ce mot d'ordre, la FMSQ emboîte le pas à l'Association des orthopédistes, qui avait déjà fait savoir au ministre dans une lettre adressée le 20 septembre dernier qu'elle refusait d'accroître le nombre de chirurgies.
Couillard réagit
Le ministre de la Santé, Philippe Couillard a qualifié de «hautement discutable» l'interprétation originale de la loi faite par la FMSQ. Il invite les médecins spécialistes à s'engager dans un processus de médiation, à l'instar de leurs collègues omnipraticiens, afin de définir le rattrapage salarial par rapport à leurs collègues canadiens. Un tel exercice ne pourrait cependant pas aboutir avant 2008, ce qui, pour la FMSQ, équivaut à «pelleter en avant» l'exercice promis depuis 2003.
«Même si, de toute évidence, il y a une petite guérilla qui se joue actuellement, ma porte est ouverte», a déclaré le ministre Couillard.
Il a rappelé la campagne publicitaire du syndicat, qui avait suscité la controverse au printemps dernier, mêlant les délais d'attente et la rémunération des médecins. «C'est totalement incohérent d'avoir fait une campagne publicitaire de plusieurs millions de dollars, basée sur l'accès et le fait de pouvoir travailler plus, et de ne pas y donner suite quand les moyens sont déployés de façon importante», a affirmé M. Couillard.
Le ministre s'est dit confiant que ses ex-collègues accepteront d'emblée de traiter davantage de patients, en dépit du mot d'ordre de leur fédération.
L'annonce de la FMSQ a aussi été critiquée par le Regroupement provincial des comités d'usagers. «Les médecins demandent depuis tellement longtemps d'avoir des heures additionnelles d'opération, je ne vois pas comment on pourrait aujourd'hui dire non à cela», a déploré M. Dumesnil. Cette «chicane sur le dos des patients» se traduira selon lui par des délais d'attente indus pour des personnes en perte d'autonomie.
Les médecins spécialistes ont trouvé davantage d'appuis du côté de leurs jeunes collègues en résidence. «Même si les mesures proposées ne sont pas nécessairement à l'avantage des médecins résidents, nous comprenons leur démarche, rendue nécessaire en raison de l'exaspération et de la morosité qui règnent dans les milieux de formation et de pratique», a déclaré hier la Fédération des médecins résidents du Québec (FMRQ) dans un communiqué. L'organisme, qui s'abstient néanmoins de cautionner le boycottage de certaines activités d'enseignement, a pressé Québec d'entamer de nouvelles négociations avec les spécialistes.