La «révolution des juges» en Égypte - Une lueur d'espoir
Il y a un an, les Égyptiens ont voté sur un amendement constitutionnel selon lequel les élections présidentielles seraient, pour la première fois de leur histoire, tenues entre plusieurs candidats. Cet amendement a été présenté par le gouvernement égyptien et ses supporters comme étant le début d'un important processus de réformes démocratiques.
Cependant, les partis d'opposition et les organisations issues de la société civile ont critiqué cet amendement constitutionnel, jugeant qu'il était essentiellement cosmétique, ne donnant que l'illusion d'un pluralisme politique. En effet, les conditions d'admissibilité aux élections présidentielles sont tellement contraignantes que seul le président Moubarak pourrait se présenter aux élections!Afin de calmer les critiques, le gouvernement égyptien a décrété la suspension temporaire de ces conditions contraignantes, uniquement pour la première élection suivant la réforme, ce qui a permis la tenue de l'élection présidentielle de 2005.
Lors du référendum sur cet amendement constitutionnel, en mai 2005, des manifestants avaient été battus par des agents gouvernementaux avec la complicité de la police égyptienne. Or ces manifestants ne faisaient rien d'autre qu'exprimer pacifiquement leurs réserves sur la volonté du gouvernement d'amorcer un véritable changement des réformes constitutionnelles...
Six mois plus tard, des observateurs locaux et internationaux ont constaté des irrégularités et des fraudes électorales à chacune des trois étapes des élections parlementaires, le tout sur fond de violence et de chaos généré par des agents de l'État dans le but d'intimider les électeurs et de les dissuader de se rendre aux urnes. Au moins 11 citoyens ont péri lors de ces événements.
Au début du mois de mai 2006, le Parlement, contrôlé par le gouvernement, a voté pour prolonger la loi d'urgence en vigueur depuis 25 ans. Le régime prétend que la loi d'urgence est nécessaire pour combattre le terrorisme, mais on ne peut que constater que le régime s'en sert depuis un quart de siècle afin de réduire au silence ses opposants et de les persécuter. Il existe toutefois une lueur d'espoir, baptisée la «révolution des juges».
Depuis le début des années 90, les juges ont exigé, par la voix de leur association officielle, l'indépendance de la justice par rapport au pouvoir exécutif. [...] En 2000, la Cour suprême constitutionnelle a jugé que toute élection parlementaire devrait être tenue, conformément à la Constitution égyptienne, sous les auspices du pouvoir judiciaire. Le gouvernement a utilisé ce jugement à des fins de propagande pour légitimer le référendum constitutionnel et les élections de 2005. Toutefois, dans un rapport rendu public en juillet 2005, les juges ont remis en question les résultats des élections, affirmant que les mécanismes de supervision par les instances judiciaires n'avaient pas été mis en place de façon efficace.
À la suite des élections parlementaires de décembre 2005, quelques juges téméraires ont exigé une enquête sur les incidents de fraude électorale et réitéré leurs exigences de supervision judiciaire complète du processus électoral. Deux de ces juges, Mahmoud Mekki et Hisham Bastawisi, ont lourdement payé leurs demandes: le gouvernement a formellement accusé ces juges de déshonorer le système judiciaire en parlant de fraude et les a envoyés devant un comité disciplinaire, un geste qu'Amnesty International a qualifié de «défi à l'indépendance judiciaire».
Devant cette situation illégale et sans précédent, l'Association des juges a organisé un sit-in dans ses locaux et exigé l'annulation de la décision. Parallèlement, un autre sit-in a été organisé à l'extérieur des locaux de l'Association des juges par diverses associations et personnes. Malgré les arrestations et la brutalité policière, ces activistes provenant d'un vaste éventail d'horizons politiques ont exprimé leur solidarité et leur appui aux juges.
Le 11 mai dernier, lors des premières audiences du comité disciplinaire, la police d'État a violemment réprimé les contestataires qui avaient pourtant usé de moyens pacifiques, indiquant par là que tout soutien aux réformes serait sévèrement puni. Des centaines d'activistes issus de tous les horizons politiques et sociaux, allant des Frères musulmans aux jeunes bloggeurs libéraux venus appuyer les juges, ont été brutalement battus et emprisonnés en vertu de la loi d'urgence. Des journalistes ont également été attaqués et empêchés de rapporter les événements entourant le comité disciplinaire et les manifestations.
Une semaine plus tard, le comité disciplinaire a acquitté le juge Mekki. Quant au juge Bastawisi, il n'a pas pu se présenter lors de la séance finale du comité disciplinaire, ayant subi une crise cardiaque. Il a été réprimandé. D'autres scènes de violence et d'arrestations se sont produites dans les rues voisines du tribunal. [...]
Un an après l'amendement constitutionnel de forme, la scène politique égyptienne n'a pas du tout changé. La loi d'urgence est encore en vigueur, non pas pour prévenir les actes terroristes mais pour étouffer toute dissidence et toute critique.
Heureusement, des Égyptiens, tant en Égypte qu'ailleurs, réagissent. Un mouvement de protestation prend forme de façon graduelle. [...] Nous espérons que ce mouvement naissant persistera mais qu'il restera conscient des dangers d'une éventuelle récupération par certains gouvernements étrangers qui, tout en se disant favorables à la démocratie, appuient des régimes autocratiques et archaïques aux dépens des intérêts du peuple.
* Texte cosigné par Ehab Lotayef, Mohamed S. Kamel, Samaa Elibyari, Nabil A. Malik, Samer Atallah, Hazem Mehrez, Sherif Nashaat, Riham Sayed Omar, Omar Ashour, Denis Kosseim et Samer Hedya.
* Aujourd'hui à midi, le groupe Canadiens-Égyptiens pour la démocratie organise un rassemblement devant le consulat d'Égypte à Montréal en appui aux juges et au mouvement démocratique en Égypte. Des actions similaires auront lieu en même temps en Égypte et dans diverses villes ailleurs dans le monde.