El Niño nous réserve un hiver doux et sec

L'Ontario et le Québec devront se débrouiller l'hiver prochain avec des températures plus douces et plus sèches, c'est-à-dire des précipitations inférieures à la moyenne, prévoit Environnement Canada.

Mais cela ne signifie pas que l'hiver prochain sera aussi chaud et aussi sec que l'hiver dernier, qui a battu bien des records, ont immédiatement ajouté les climatologues d'Environnement Canada hier.

En effet, selon Lucie Vincent, mathématicienne au service de climatologie de cet organisme, les températures devraient se situer entre un et deux degrés centigrades sous la normale saisonnière, ce qui est... plus froid que l'hiver dernier. Celui-là s'était en effet retrouvé à quelque cinq degrés sous la normale, une température moyenne qu'on a peu de chances d'atteindre au cours des prochains mois.

Quant à ceux qui rêvent d'un hiver sans grands froids et sans grandes tempêtes, ils devront déchanter. Selon Mme Vincent, en effet, si la «moyenne» hivernale a de fortes chances de se situer sous les normales, cela n'empêchera pas l'occurrence d'épisodes de grands froids et de bonnes tempêtes de neige, typiques de nos régions. Mais il est certain qu'il faudra aller plus au nord, beaucoup plus, dit-elle, pour trouver de grosses quantités de neige et des rivières bien gelées. Que les amateurs de motoneige pensent aux petites annonces!

Les climatologues américains et canadiens se disent certains de l'arrivée d'un nouvel El Niño cet hiver, un phénomène provoqué par l'oscillation du niveau de l'océan Pacifique de l'est vers l'ouest, et vice-versa. Le phénomène, statistiquement récurrent aux sept ans, semble s'accélérer depuis quelques années. Le dernier a eu lieu il y a cinq ans, et on l'a associé à la fameuse tempête de verglas qui avait dévasté la région de Montréal et l'est de l'Ontario pendant plus de deux semaines à l'hiver 1997-98. Le même El Niño («Petit Jésus» en espagnol, appelé ainsi parce que le phénomène démarre autour de Noël) avait aussi aggravé les conditions de sécheresse qui frappaient alors les Prairies en même temps qu'il contribuait à aggraver les incendies qui ravageaient l'Alberta. Les climatologues ont observé qu'au cours des 30 dernières années, les phénomènes apparentés à El Niño sont devenus «plus fréquents, plus sévères, et ont duré plus longtemps». Les quatre derniers ont eu lieu pendant les hivers 1982-83, 1986-87, 1991-92 et 1997-98. Le plus sévère a été celui de 1997-98, suivi de celui de l'hiver 1982-83.

Le phénomène El Niño est provoqué par les vents océaniques qui soufflent dans les régions équatoriales du globe. Ceux-ci poussent généralement les eaux de l'océan vers l'ouest, ce qui fait glisser les eaux plus chaudes en surface du Pacifique vers l'Australie. Les eaux plus froides du fond remontent alors en surface sur les côtes de l'Amérique, engendrant alors momentanément un phénomène contraire, La Niña.

Mais voilà qu'au bout de quelques années, les alizés ralentissent, pour des raisons cycliques qu'on n'a pas encore véritablement élucidées. Les eaux plus chaudes massées du côté ouest du Pacifique entreprennent alors de revenir vers l'est, plus précisément vers l'Amérique du Sud, charriant avec elles une quantité considérable de chaleur qui provoque alors des tempêtes et des pluies diluviennes à la hauteur du Pérou et de l'Équateur. Le phénomène remonte ensuite progressivement vers le nord, au point d'atteindre les États-Unis puis le Canada. Certaines bouffées de chaleur traversent l'Amérique centrale et agissent même sur les températures de l'Atlantique, provoquant un double mouvement d'influence sur la température des régions de l'est du continent.

L'arrivée d'El Niño correspond généralement à des vents plus chauds dans les Prairies canadiennes et américaines, une région qui subit alors généralement un temps plus sec que les vents dominants transportent ensuite de notre côté. Faute de neige au printemps ou en raison de précipitations généralement moins abondantes durant les hivers El Niño, les Prairies commencent généralement sur un mauvais pied la saison printanière des semences. Cette année risque d'aggraver les conditions des cultures, a précisé Mme Vincent, car ce temps surviendra après une année de sécheresse record dans les Prairies.

Dans l'est comme dans l'ouest, prévoient les climatologues, le prochain El Niño «rendra l'hiver plus doux au Canada, ce qui pourrait se traduire par une quantité inférieure de neige et une aggravation des infestations d'insectes et des maladies que les longues périodes de froid tendent à contenir. Des conditions météorologiques plus douces ont des effets négatifs sur les industries du loisir d'hiver au Canada et pourraient aggraver la fonte des routes de glace dans le Grand-Nord canadien, limitant davantage l'accès aux communautés éloignées» reliées par des pistes terrestres. En contrepartie, la facture de chauffage sera moins lourde, les motoneiges seront moins nombreuses et les grandes routes maritimes seront libres de glace plus longtemps, y compris dans le Grand-Nord...

Quant à la possibilité qu'un nouvel El Niño nous vaille une répétition du grand verglas de l'hiver 1998, elle semble plutôt faible car plusieurs conditions météorologiques assez exceptionnelles devraient être réunies, a expliqué Mme Vincent. En effet, il ne suffit pas d'avoir des températures plus près du point de congélation pour qu'il y ait des verglas: il faut aussi d'énormes masses d'air chaud en hauteur et des masses d'air froid de taille équivalente au sol, sans compter des précipitations pendant que les masses sont stationnaires, pour que l'eau qui tombe gèle au contact des objets froids au sol. Ces conditions avaient été réunies en 1998 car la métropole se trouvait sous l'influence d'une masse froide venant de l'Atlantique pendant que, beaucoup plus en altitude, stationnait une énorme masse d'eau chaude venant du sud, qui avait commencé à tomber, accompagnée de tonnerre et d'éclairs en plein hiver.

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