Le péage pour décongestionner Londres
À Londres, la vitesse moyenne des véhicules est aujourd'hui moins élevée qu'elle l'était à l'époque des carrioles. Prenant le taureau par les cornes, le maire a donc décidé d'encercler sa ville de postes de péage. Mais le temps où Montréal l'imitera est encore loin.
Les automobilistes qui convergent sur la capitale britannique savent que les beaux jours tirent à leur fin. Dans quelques mois, ils devront réévaluer leur mobilité... ou passer à la caisse.Ken Livingston, le maire de Londres, ne souhaite pas voir sa ville disparaître derrière un rideau opaque de pollution. Et en tant que Londonien, il sait de quoi il parle. Il y a exactement 50 ans cette année, Londres s'était retrouvée prisonnière d'un énorme nuage gris. Appelé The Great Smog, ce malheur fut le contrecoup des lourdes émissions polluantes que rejetaient alors résidences et industries.
«Il y a 50 ans, nous pouvions voir ce que nous respirions, et ce n'était pas joli, a rappelé M. Livingston le mois dernier. Un décret du Parlement avait alors été nécessaire pour qu'on puisse nettoyer l'air. Aujourd'hui, la congestion a remplacé la consommation de charbon. La pollution n'est peut-être pas visible à l'oeil nu, mais ses effets, eux, sont clairement ressentis.»
Vous croyez que la congestion routière est lourde à Montréal? Eh bien, elle n'arrive même pas à la cheville de celle qui encombre rues et avenues de la métropole britannique, où la vitesse moyenne de déplacement est maintenant de 17 km/h! Les émissions de gaz à effet de serre sont évidemment à l'avenant.
Lors de son élection à la mairie avec 58 % des suffrages en 2000, Ken Livingston n'avait pas caché son intention de s'attaquer avec vigueur aux problèmes de congestion. Mais personne ne croyait qu'il en ferait autant. Et aussi vite. À la suite de larges consultations et d'une victoire devant les tribunaux, M. Livingston a annoncé il y a quelques mois qu'à compter du 17 février 2003, il en coûtera 5 £ aux automobilistes et aux camionneurs pour entrer dans la région métropolitaine de Londres en semaine. Cela équivaut à 12 $CAN.
«Je considère que le coût de 5 £ est approprié, avait-il alors indiqué, même si, personnellement, j'ai été attiré par l'idée d'imposer un tarif beaucoup plus élevé pour les camions.»
Ainsi, de 7h à 18h30, du lundi au vendredi, personne n'échappera aux péages... ou presque. Puisque l'objectif est de réduire la congestion et de diminuer les émissions de gaz à effet de serre, les propriétaires de véhicules roulant à l'aide d'un carburant alternatif à l'essence auront la chance de ne payer que 10 £ (24 $CAN) par année pour être exemptés de la mesure.
Évidemment, une politique aussi ambitieuse et courageuse n'a pas vu le jour sans remous. Mais le flegme britannique a néanmoins vite pris le dessus, ce que confirment les sondages. Rares sont ceux aujourd'hui qui ne pensent pas que le temps est venu d'agir. Mais en ceinturant le centre de péages? Là-dessus, la population est toujours divisée.
Une révolution
Estimant qu'il ferait autant de mécontents en maintenant le statu quo qu'en imposant des péages, le maire Livingston est allé de l'avant. Résultat: le projet de péages le plus ambitieux au monde. Certes, Oslo et Singapour taxent les automobilistes à l'aide de péages. Mais le territoire couvert par cette mesure dans ces deux villes n'a rien à voir avec celui de Londres: la zone de péages fera 13 km2, un secteur délimité par la gare Victoria à l'ouest, King's Cross au nord, Tower Bridge à l'est et Elephant And Castle au sud.
Tout le long de cette frontière qui demeurera virtuelle, 230 caméras surveilleront les véhicules qui traverseront un des 174 points d'entrée. Les plaques d'immatriculation seront filmées, puis les automobilistes auront 24 heures pour verser les 5 £. Les contrevenants se feront remettre un avis d'infraction de 80 £ (195 $CAN).
Avec une telle mesure, l'administration londonienne souhaite renflouer ses coffres de quelque 130 millions de livres sterling (316 millions $CAN) par an. Cependant, pour les dix prochaines années, la totalité de cette somme sortira aussi vite qu'elle sera entrée puisque celle-ci servira exclusivement à améliorer la desserte des transports en commun.
En outre, le maire espère réduire de 10 à 15 % les embouteillages au coeur de sa ville. Bien que ce taux ne semble pas très élevé, il serait suffisant pour faire une vraie différence sur le terrain, selon les experts. Pour la Ville, cette politique sera qualifiée de réussite si un ou deux conducteurs sur dix abandonnent leur voiture.
Ici, pas comme ailleurs
À Montréal, les autorités sont à des années-lumière d'imposer une telle taxe aux utilisateurs de la route. Malgré les bienfaits de la mesure, le gouvernement du Québec refuse de l'adopter. À la Ville cependant, bien qu'on n'ait pas compétence sur les routes provinciales, on se montre plus ouvert à l'idée.
En entrevue au Devoir il y a quelques mois, le responsable des transports au comité exécutif, Claude Dauphin, disait en effet trouver l'idée attrayante. «C'est intéressant comme proposition, confiait-il. Des postes de péage pour favoriser les transports en commun, personnellement, je ne suis pas contre. [...] C'est une idée vendeuse qui vaut la peine d'être étudiée.»
Mais cette porte n'est pas restée ouverte bien longtemps. Le ministre Serge Ménard s'est rangé à l'avis de son prédécesseur Guy Chevrette, qui était opposé à une mesure aussi draconienne. Il refusait d'installer des postes de péage là où les automobilistes n'ont pas accès à une solution alternative gratuite afin de ne pas pénaliser les banlieusards.
«Montréal, ce n'est pas Londres», a indiqué hier le porte-parole du ministre, Louis-Pascal Cyr. «Nous n'avons ni les problèmes de congestion ni les infrastructures des transports en commun de Londres. Notre priorité, c'est donc plutôt d'agrandir et de perfectionner le réseau de transports en commun. Celui-ci doit être plus fiable, plus confortable et plus économique afin de séduire les automobilistes.»
Luc-Normand Tellier, économiste à l'UQAM, trouve ce laxisme désolant. Déjà, en 1993, il prenait position en faveur des péages dans son livre Vivre Montréal libre! Il juge l'idée aussi intéressante aujourd'hui qu'il y a neuf ans. «C'est tellement logique!, lance-t-il en entrevue. Et encore plus à Montréal qu'ailleurs, en raison de sa situation insulaire. [...] Chaque fois qu'il y a un colloque, l'idée revient, tout simplement parce que toutes les autres solutions ont été écartées pour leur absurdité. Ajoutez un tunnel ou un nouveau pont, les mêmes problèmes de congestion reviendront, c'est évident.»
M. Tellier estime que les péages n'offrent que des avantages. Non seulement ils rapportent financièrement, ce qui permet d'améliorer les transports en commun, ils sont aussi bénéfiques pour l'environnement et contribuent à freiner l'étalement urbain. «Je ne comprends pas pourquoi les écologistes ne poussent pas plus cette idée», a-t-il conclu.