L'histoire sans béquille
L'enseignement de l'histoire au secondaire n'a pas attendu l'année 2006 pour devenir inclusif et pluriel. Dès 1967, après avoir mis au rancart les ouvrages qui avaient jusque-là servi de véhicules aux connaissances historiques, un nouveau programme a été préparé pour les élèves de l'enseignement secondaire.
On a longtemps reproché aux anciens manuels et programmes de présenter les connaissances historiques sous un angle exclusivement religieux. Il ne faudrait pas qu'aujourd'hui (Dieu nous en préserve!) l'on veuille présenter l'histoire sous un angle civique. L'histoire n'a pas besoin de béquille; elle est capable de marcher seule.L'histoire non obligatoire!
Vers la fin de la décennie 1960-70, les enseignants avaient en main un programme renouvelé qui faisait une large place à la présence autochtone en Amérique sans négliger pour autant le développement du territoire. À partir d'un survol géographique et un rappel des grandes découvertes, on y retraçait les principales étapes de l'établissement d'une nation jusqu'à son évolution la plus récente, c'est-à-dire presque à la fin du XXe siècle.
On y faisait mention des événements les plus significatifs et on y retrouvait les personnages les plus marquants, de quelque obédience qu'ils aient été. Et, peu importe la période, on y abordait de nombreux aspects culturels. Aucune question n'avait été délibérément occultée et tous les grands moments vécus en Nouvelle-France, dans les deux Canadas et, finalement, sous le régime fédératif y étaient scrupuleusement signalés.
Le hic cependant, c'est qu'on ne faisait aucune obligation d'inscrire l'étude de l'histoire nationale à la grille horaire de l'enseignement secondaire. Ce n'est qu'en 1974, à la suite d'une lutte acharnée de certains responsables de cet enseignement, dont moi-même, et après l'intervention flamboyante de Claude Charron à l'Assemblée nationale du Québec, que la réussite de l'examen d'histoire est devenue une condition sine qua non à l'obtention du diplôme de fin d'études secondaires.
L'histoire dans l'enseignement
Qu'en est-il de la finalité de l'histoire dans l'enseignement secondaire? Comme toutes les disciplines qu'on y enseigne, l'histoire permet de développer chez l'élève des habiletés intellectuelles. (Doit-on parler de compétences transversales?) Elle permet d'acquérir une méthode de travail et de favoriser l'organisation de la pensée. À partir de sources, l'élève est amené à vérifier, à critiquer (au sens obvie du terme), à évaluer et à juger.
L'histoire fait appel aux manuscrits, aux imprimés, aux documents visuels et sonores, aux témoignages, et, aujourd'hui, Internet peut être mis à profit comme outil pour les chercheurs. L'enseignant bien avisé a souvent recours à ces appuis et sait exploiter d'autres ressources comme la chronologie, la généalogie, la paléographie et l'archéologie, selon la capacité de ses élèves.
Pourquoi demander à l'histoire de faire de l'éducation civique? On ne le demande pas aux autres sciences! La biologie, sous un angle différent, s'intéresse à l'homme «qui est» alors que l'histoire s'intéresse à l'homme «qui a été». On n'a jamais demandé aux enseignants en biologie de parler de citoyenneté.
Il pourrait y avoir des cours spécialement conçus pour l'enseignement du civisme. On a longtemps reproché à l'Église catholique d'essayer d'inféoder les autres disciplines. Il ne faudrait pas tomber dans le même travers!
L'histoire, ses dates, ses héros
Au secondaire, comme à d'autres niveaux, les sciences font appel à la mémoire. La biologie a son lexique, la chimie a ses symboles, la physique et les mathématiques ont leurs formules et l'histoire a ses dates et ses héros, grands ou petits! Il faut des repères pour se situer, en histoire comme dans la vie. Il est bien évident que l'étude du passé ne comprend pas seulement des millésimes. Mais on ne peut les écarter du cours d'histoire sous prétexte de rendre la tâche plus facile à l'élève.
L'histoire ne doit être au service d'aucune idéologie. Mais si vous vivez dans un espace nordique, vous serez obligé de vous adapter au climat. Ce n'est pas en vous mettant la tête dans la neige que vous réchaufferez le reste du corps.
D'abord colonie française, puis colonie britannique, le Canada a obtenu officiellement son «autonomie» en 1931. Il a donc connu la sujétion et la minorisation et, même aujourd'hui, il vit encore sous les symboles de la Couronne britannique: gouverneur général et lieutenant-gouverneur. En retraçant le passé qu'ont vécu nos ancêtres, ce serait leur faire injure que de ne pas rappeler les luttes qu'ils ont menées pour que nous soyons encore un îlot francophone dans ce territoire immense qu'est l'Amérique du Nord, surtout quand on sait qu'une bonne partie de cet espace a été parcouru par des explorateurs français.
Les élèves ont le droit de connaître tous les faits historiques, et bien mal avisé celui qui voudrait leur présenter une histoire aseptisée.
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