Stop aux antibiotiques
Il est urgent de restreindre l'usage des antibiotiques au Canada pour contrer un phénomène de résistance qui ne cesse de croître, estime un groupe de scientifiques qui a proposé une série de mesures pour éliminer les sources du problème.
«On doit aujourd'hui doubler les doses des antibiotiques qu'on utilisait jadis pour traiter efficacement une infection, telle qu'une otite moyenne aiguë. Cela coûte deux fois plus cher», précise le Dr François Boucher, pédiatre infectiologue au Centre hospitalier universitaire de Québec, qui a participé à la Conférence nationale sur la résistance aux antibiotiques qui se tenait ce week-end à Ottawa. «Sinon on doit opter pour des antibiotiques plus récents contre lesquels les bactéries n'ont pas encore appris à se défendre. Ces nouvelles molécules possèdent par ailleurs un spectre d'activité beaucoup plus large. Elles peuvent tuer du coup d'autres bactéries de la flore normale [intestinale et cutanée], qui sert à nous défendre.»Pour renverser la vapeur, car il est possible de diminuer cette résistance, les experts ont insisté sur l'importance de restreindre, voire d'éliminer l'usage des antibiotiques dans l'élevage du cheptel destiné à l'alimentation humaine. Car il ne fait plus aucun doute aujourd'hui que l'administration d'antibiotiques dans la ration alimentaire des animaux d'élevage joue un rôle significatif dans la résistance de certaines infections bactériennes chez l'humain.
Un comité d'experts de Santé Canada qui s'est penché sur la question l'a en effet confirmé dans un rapport publié en juin dernier. Lequel rapport a été commandé compte tenu des préoccupations formulées par les pays européens qui ont banni sur leur territoire l'usage des antibactériens dans l'élevage pour ces raisons et qui en conséquence ne désiraient plus importer la viande canadienne en raison des résidus d'antibiotiques qu'elle contient, a précisé le Dr Boucher.
«Au Canada, les antibiotiques sont donnés sans ordonnance au cheptel dans le but d'accélérer la croissance des animaux», poursuit-il. Il en résulte que ces animaux développent des bactéries intestinales qui sont résistantes aux antibiotiques les plus puissants disponibles sur le marché.
Par ailleurs, le comité de scientifiques insiste pour que l'on freine la prescription excessive des antibiotiques dans les cabinets de médecins. «L'emploi inapproprié de ces médicaments pour traiter des infections qui ne sont pas bactériennes, telles que les grippes et les rhumes, est également à surveiller», prévient le Dr Boucher.
Le comité presse donc les médecins de préciser le diagnostic avant de prescrire des antibiotiques. Par exemple, on recommande de procéder à un prélèvement de gorge avant de traiter une amygdalite avec des antibiotiques. «C'est une discipline que les médecins devront adopter», souligne le Dr Boucher.
D'autres mesures devront également être envisagées dans les milieux de garde. La fréquentation des garderies favorise la transmission de souches résistantes. Dans ces centres de la petite enfance, on dénombre deux à trois fois plus de pneumocoques (bactéries responsables d'infections pulmonaires) résistants que dans la population générale, précise le pédiatre. Un des facteurs qui contribuent à cette situation est la consommation d'antibiotiques par 10 à 15 % des enfants de la garderie. «Ces enfants devraient en prendre moins. Et il faudrait également encourager la mise sur pied de garderies plus petites hébergeant des groupes d'enfants plus restreints qui se transmettraient moins les bactéries. Et surtout, il est important de subventionner suffisamment ces lieux afin qu'on y fasse le ménage plus fréquemment, qu'on stérilise [à l'eau de Javel] les jouets au moins une fois par semaine», ajoute-t-il.