Rectifications et précisions à l'égard d'un texte assassin - Un débat mal parti

À la question posée par le journaliste du Devoir Antoine Robitaille: «Pouvez-vous commenter le document du ministère de l'Éducation portant sur le nouveau programme d'histoire?», ma réponse fut limpide: «Je ne le puis car je n'ai pas pris connaissance dudit document.» Et de diriger le journaliste vers un collègue compétent; et de poursuivre la conversation sur un mode amical et décontracté, sans savoir que j'étais enregistré. Force est d'avouer que j'ai été surpris dans ma bonne foi.

Dans son article étonnant par rapport à mon dire, sans doute simplifié parce que relâché, M. Robitaille me présente insidieusement comme consultant du ministère de l'Éducation (MEQ) en m'affublant du titre moins compromettant de «consulté». La frontière est poreuse entre les deux termes. Rétablissons les faits.

Je n'ai joué aucun rôle dans l'élaboration du document de travail du ministère ni sanctionné son contenu par mes remarques critiques. Je ne puis donc servir de caution scientifique ou idéologique à qui que ce soit. J'ai effectivement rencontré, dans mon bureau de l'Université Laval, deux personnes liées à l'élaboration du programme qui voulaient valider leurs vues. Plusieurs autres collègues ont dû être sondés de la même manière. J'ignore à quel point, le cas échéant, mes avis ou positions ont pu influer sur le contenu du document tel qu'il existe maintenant. Il se peut que mes travaux aient inspiré ses concepteurs. Mais je ne me suis jamais prononcé sur la facture de l'ouvrage, ni sur ses tenants ou ses aboutissants.

Quant aux façons dont on se réclame de mes visions ou puise dans mes recherches, elles échappent à mon contrôle.

La reconstruction du passé

Selon M. Robitaille, je «saluerais l'ambition du cours [proposé par le MEQ] d'en finir avec l'histoire misérabiliste du Québec». Il importe de replacer cette affirmation dans un contexte plus large qui lui donne sens, à défaut de quoi elle apparaît incongrue, presque grotesque. Ce contexte est fourni par les travaux que j'ai réalisés depuis plusieurs années sur la conscience historique des jeunes Québécois.

À la lumière de ces recherches, je constate en effet que la vision de l'histoire du Québec qui perdure dans l'imaginaire des jeunes Québécois est prise dans un certain nombre de mythistoires constitutifs de notre identité collective. Amener les élèves à prendre conscience de ces mythistoires, à les critiquer aussi et à découvrir leur limite comme cadre de compréhension du passé, est un objectif auquel je souscris certainement car il respecte les principes de la démarche historienne, laquelle est tout le contraire d'un exercice de rectitude politique. Rappelons ce qui est lapalissade: on ne peut pas faire ce qu'on veut avec la matière du passé...

Une reconstruction cohérente du passé

Cela étant, mes travaux me laissent croire aussi que la mise en place éventuelle d'un programme visant explicitement à sortir les jeunes d'un régime historial donné — ce qui, selon M. Robitaille, est l'objectif visé par le MEQ — ne produira pas les fruits escomptés. L'histoire, en effet, n'est pas un stock de connaissances objectives qu'on transmet ou consomme passivement, sans autre ambition que de vouloir informer ou apprendre. C'est une reconstruction cohérente du passé qui rencontre des finalités identitaires en vue de créer un sens mobilisateur pour le groupe.

Or il n'est jamais simple ou facile de sortir d'une identité enracinée dans un récit particulier de l'histoire. En clair: on n'abandonne pas un récit de soi parce qu'il serait préférable de le faire.

Je ne vois pas demain les jeunes échapper aux matrices historiales du récit accrédité de l'aventure québécoise dans le temps, lequel sombre souvent, et j'ai des masses de données pour le montrer, dans le misérabilisme. Ce récit reprend la trame suivante: nous, les pauvres Québécois victimes de l'autre hier, aujourd'hui et demain, ayant résisté farouchement à notre enfermement collectif, dans l'attente de notre achèvement final. L'historien que je suis est certes en droit de souhaiter une narration plus consistante et plus complexe! Rien à craindre pourtant de voir le récit disparaître: cette histoire est trop puissante dans sa simplicité.

Se situer politiquement

Autre point: pour me situer politiquement, car on ne peut apparemment penser au Québec sans être attaché à la patte du poêle fédéraliste ou souverainiste, M. Robitaille me présente comme un «critique du nationalisme». Je ne peux le nier. Mais il aurait fallu ajouter: du nationalisme bête, quel qu'il soit.

Par nationalisme bête, j'entends ce discours péremptoire sur le monde où tout est réduit au plus simple, où ce qui n'est pas comme soi appartient nécessairement à l'autre, où l'étiquetage précède l'écoute et l'entendement, où l'idéologie primaire fait office d'interprétation savante.

Que le correspondant du Devoir se rassure: je n'ai aucune position de principe contre le nationalisme, qui n'est objectivement ni bon ni mauvais. Ce que je trouve par contre inacceptable, c'est qu'on présente cette idéologie comme allant de soi, obligée, normale, incontournable, naturelle, indépassable ou salutaire comme mode d'être et d'expression politique.

Y a-t-il une leçon à tirer de tout ce brouhaha médiatique et discursif où, de nouveau, la passion s'est emparée de la raison en lui laissant la portion congrue?

Qu'un journaliste veuille de temps en temps jeter des pavés dans la mare et susciter des débats dans l'arène publique par un texte spectaculaire au titre incendiaire, va pour la vente de gazettes. Mais à entendre les propos vociférés sur les ondes des radios, à lire les courriels pourfendeurs qui m'ont été expédiés, le débat que M. Robitaille a amorcé par son article me semble mal parti et ne fera sans doute rien avancer.

Personnellement, je ne tiens pas à être associé à un nouvel épisode de notre psychodrame collectif où la religion revient par la porte de l'histoire. Il est temps de cesser de crier au loup pour éveiller les consciences. À mes yeux, le postnationalisme, c'est aussi ça.

Réponse

Je n'ai pas écrit que M. Létourneau a été «consultant» pour le ministère mais bien consulté, ce qu'il reconnaît. Ensuite, lorsqu'il publie des livres et parfois même des articles, il doit savoir que son lectorat dépasse les tours d'ivoire pleines de «chers collègues». «Il se peut que mes travaux aient inspiré [les] concepteurs» du document de travail, écrit-il. «Il se peut», en effet, et cela m'a même été confirmé. D'ailleurs, lors de notre entretien, M. Létourneau, sans avoir vu le document, a dit se reconnaître dans «l'ambition générale» du nouveau programme.

Antoine Robitaille

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