Des milliers d’Israéliens manifestent contre la réforme de la justice à Jérusalem

Des femmes portant un costume issu du roman « La servante écarlate » se sont jointes à la manifestation pour signaler leurs craintes de perdre des droits si la réforme de la justice devait être adoptée.
Ahmad Gharabli Agence France-Presse Des femmes portant un costume issu du roman « La servante écarlate » se sont jointes à la manifestation pour signaler leurs craintes de perdre des droits si la réforme de la justice devait être adoptée.

Des milliers de personnes ont manifesté lundi à Jérusalem devant le parlement israélien contre un projet de loi de réforme du système judiciaire susceptible de réduire l’indépendance de la justice.

Dans une mer de drapeaux israéliens bleu et blanc, les manifestants sont restés pendant plus de cinq heures devant le parlement en brandissant des pancartes comme « Sauvons la démocratie israélienne », « Pays en faillite morale » ou « Nous sommes devenus fous ».

En l’absence de chiffres de la police, les médias israéliens ont estimé la foule à plusieurs dizaines de milliers de personnes, ce qui représente une forte mobilisation à l’échelle d’Israël. De nombreux manifestants sont venus en famille, a constaté un journaliste de l’Agence France-Presse (AFP).

La compagnie ferroviaire publique a mis en place un service de trains supplémentaires tout au long de la journée entre Tel-Aviv et Jérusalem compte tenu de l’affluence attendue sur la ligne.

Plusieurs centaines de personnes ont manifesté également à Tel-Aviv contre la réforme, a constaté un photographe de l’AFP.

À Jérusalem, les contestataires ont crié leur mécontentement alors que la Commission des lois a voté une partie des dispositions présentées par le gouvernement du premier ministre Benjamin Nétanyahou, ouvrant la voie à un vote en première lecture.

Pendant le débat, des altercations ont eu lieu entre des députés issus du parti centriste Yesh Atid opposés à la réforme et le président de la commission parlementaire Simcha Rothman, du parti d’extrême droite Sionisme religieux, qui défend la réforme.

« Effondrement constitutionnel »

« Honte ! Honte ! » ont scandé les députés de l’opposition présents. Une vidéo de la chaîne parlementaire a montré trois députés, dont deux qui s’étaient assis par terre, saisis par des gardes et conduits vers la sortie.

Les organisateurs du mouvement de contestation considèrent que la réforme met en péril le caractère démocratique de l’État d’Israël et ont également appelé à une grève nationale lundi.

M. Nétanyahou est revenu au pouvoir fin décembre en prenant la tête d’un des gouvernements les plus à droite de l’histoire d’Israël, issu d’une alliance entre son parti, le Likoud (droite), des partis d’extrême droite et des formations ultraorthodoxes juives.

Le projet de réforme de la justice a été annoncé par le ministre de la Justice, Yariv Levin, début janvier. Depuis lors, des dizaines de milliers de personnes manifestent contre ce texte, principalement à Tel-Aviv, mais aussi à Jérusalem ou Haïfa.

Le projet vise à accroître le pouvoir des élus sur celui des magistrats et limiterait considérablement la capacité de la Cour suprême à invalider des lois et des décisions du gouvernement.

Une « disposition de dérogation » permettrait ainsi au Parlement d’annuler à la majorité simple une décision de la Cour suprême, que M. Nétanyahou et ses alliés jugent politisée.

M. Nétanyahou est lui-même jugé pour corruption dans plusieurs affaires. Si elle était adoptée, la réforme pourrait être utilisée pour casser une éventuelle condamnation, avancent ses détracteurs.

Dimanche soir, le président israélien, Isaac Herzog, s’est adressé à la nation dans un discours télévisé et a appelé au dialogue, estimant que le pays était « au bord de l’effondrement constitutionnel et social ».

« Réforme fondamentale »

« Il est possible de parvenir à un consensus », a-t-il déclaré, proposant de suspendre le processus législatif en cours afin de mener des discussions entre les différentes parties.

Mais M. Levin a déclaré qu’il n’avait pas l’intention de retarder la législation.

Tout en se disant prêt à mener des pourparlers avec l’opposition, il a affirmé que les discussions ne devaient pas être utilisées « pour retarder ou empêcher cette réforme fondamentale du système judiciaire ».

Le combat contre la réforme « ne cessera pas », a affirmé sur Twitter le chef de l’opposition, Yaïr Lapid.

« Un gouvernement extrémiste et corrompu menace de détruire le pays à une vitesse record », a-t-il déclaré lundi lors d’une conférence de presse conjointe avec des dirigeants de partis de l’opposition après que la commission des lois a voté en faveur des dispositions de la réforme.

« Si cette loi passe, c’est la fin de l’ère démocratique de ce pays », a-t-il poursuivi, ajoutant qu’il n’était « pas trop tard pour [l’]arrêter » et exhortant les députés à ne pas adopter la réforme.

La présidente de la Cour suprême, Esther Hayut, a, elle, fustigé une « attaque débridée » contre la justice.

Quelles sont les propositions ?

Voici les principales dispositions prévues par la réforme du ministre de la Justice, Yariv Levin, qui pourrait être soumise à un vote en première lecture dans les jours qui viennent.

« Disposition de dérogation »

Les pourfendeurs de la Cour suprême estiment qu’elle a interprété de façon erronée les lois fondamentales d’Israël, qui font office de Constitution, et qu’en invalidant des lois, elle a abusé de ses pouvoirs. Le gouvernement veut faire adopter une disposition dite « de dérogation » qui permettrait au Parlement, avec un vote à la majorité simple, d’annuler une décision de la Cour suprême. Les opposants à cette mesure estiment qu’elle donnerait un pouvoir quasi absolu au Parlement. Si elle était adoptée, elle pourrait être utilisée pour casser une éventuelle condamnation de M. Nétanyahou, jugé pour corruption dans une série d’affaires.

Nomination des juges

Les juges de la Cour suprême sont actuellement nommés par un groupe de juges, de députés et d’avocats du barreau, sous supervision du ministre de la Justice. La réforme propose de retirer les avocats de ce panel, où siégeraient à leur place deux citoyens, en plus d’un ministre. La Knesset (Parlement) organiserait également des audiences publiques au sujet des nominations.

Caractère « raisonnable » d’une décision

La Cour suprême a invalidé le 18 janvier la nomination d’Arié Dery comme ministre de l’Intérieur et de la Santé, arguant qu’il avait été reconnu coupable de fraude fiscale et qu’il n’était donc pas « raisonnable » qu’il siège au gouvernement, bien qu’aucune loi ne l’en empêche depuis le vote, en décembre, d’un amendement taillé à sa mesure pour lui permettre d’intégrer l’exécutif. M. Nétanyahou a été contraint de le démettre de ses fonctions, mais a critiqué la décision des juges, qu’il a accusés d’ignorer « la volonté du peuple ». Le gouvernement souhaite empêcher les juges d’invoquer le caractère « raisonnable » dans de telles circonstances.

Conseillers juridiques

Le gouvernement souhaite également réduire l’influence des conseillers juridiques au sein des ministères. Leurs recommandations sont citées par les juges de la Cour suprême lorsqu’ils statuent sur la bonne conduite du gouvernement. Le ministre de la Justice souhaite qu’elles soient clairement considérées comme des avis non contraignants. Pour les détracteurs de cette disposition, il s’agit d’une autre façon pour le gouvernement Nétanyahou d’affaiblir le pouvoir des fonctionnaires.



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