La Turquie reçoit de l’aide, la Syrie « juste des prières »

Des secours sont arrivés mardi en Turquie. Mais l’aide internationale promise à la Syrie voisine ne passe pas la frontière, délaissant des « centaines de personnes encore sous les décombres ».
« Les Syriens affrontent seuls le régime de Bachar al-Assad, et maintenant, les Syriens affrontent seuls la nature », désespère Mahmoud A., joint par Le Devoir.
Arrivé au Québec en 2018, il est en constante communication avec sa famille encore au pays. « J’ai reçu un appel de ma mère. Elle avait très, très peur [… ] Elle me disait adieu, que l’apocalypse était venue. C’était très dur… vraiment. »
La ville de ses parents, Azâz, à une trentaine de kilomètres au nord-ouest d’Alep, a été complètement détruite par les tremblements de terre. Ils vivent désormais sous une tente, qu’ils ont pu acheter grâce à de l’argent envoyé par Mahmoud. D’après ce que Mahmoud sait, il s’agit de la seule aide qu’ils ont jusque-là reçue.
Un accès difficile
La grande majorité de l’aide internationale passe normalement par la Turquie. Mais la frontière entre les deux pays est fermée, et le seul point d’accès — le passage de Bab al-Hawa, au nord-ouest du pays — n’a pas été épargné par les secousses, a déclaré l’ONU mardi.
S’ajoute un dilemme politique, car ne pas passer par Bab al-Hawa implique pour les pays occidentaux d’envoyer de l’aide à partir du territoire syrien contrôlé par Damas.
Il est également difficile de faire confiance au régime, dit Muzna Dureid, qui est agente de développement pour les casques blancs, une organisation humanitaire de protection civile formée pendant la guerre civile syrienne.
« Toute l’aide humanitaire dont on parle dans les médias et qui est annoncée par les États, c’est pour la Turquie. Et s’il y en a pour la Syrie, elle passe par le régime, qui bombarde les civils dans le nord-ouest [du pays] et utilise l’arme chimique. »
Le premier ministre Justin Trudeau a annoncé mardi une aide financière de 10 millions de dollars destinée à la Turquie et à la Syrie. Mme Dureid attend de savoir, dans les prochains jours, quelle partie de cet investissement sera versée aux organisations locales, qui sont, selon elle, la seule garantie d’une intervention juste dans le nord-ouest du pays.
Elle-même réfugiée syrienne arrivée à Montréal en 2016, elle indique en entrevue au Devoir que la situation y est particulièrement critique.
Les dégâts sont encore plus importants dans ce pays en guerre. Les bâtiments, déjà fragilisés par des bombardements en raison du conflit qui dure depuis plus d’une dizaine d’années, étaient prêts à s’écrouler. Dans le village des parents de Mahmoud, une maison s’est déjà effondrée après le passage d’un camion.
« Il n’y a pas assez d’hôpitaux, pas assez de services pour les civils. C’est une nouvelle crise qui va ajouter beaucoup de souffrance. »
Mahmoud croit lui aussi que le bilan humain en Syrie sera encore plus dramatique qu’en Turquie, puisqu’en raison du manque de matériel, de nombreux civils demeurent bloqués sous les décombres.
« Je ne peux pas décrire mes sentiments. Toute l’aide va à la Turquie, mais la Syrie reçoit seulement des prières », lance-t-il, se disant triste et déçu.
Des réfugiés délaissés
De nombreux réfugiés syriens vivent dans la ville turque de Gaziantep, l’une des plus touchées par les séismes. Mais là-bas aussi, là où l’aide internationale a été déployée, les Syriens seraient délaissés.
« L’aide est vraiment pour les Turcs, pas pour les Syriens », dit Mahmoud au bout du fil. Trois de ses frères et sa soeur, dont la maison a été fissurée par les tremblements, sont maintenant à la rue. Selon lui, l’aide ne soutient pour l’instant que les propriétaires turcs, pas les locataires syriens.
Toutes leurs affaires, dont leurs portefeuilles, sont encore dans leur domicile. Ils attendent désormais l’accord du gouvernement pour pouvoir les récupérer. Rentrer dans une maison qui menace de s'effondrer n’est pas interdit, mais « c’est très dangereux », explique Mahmoud. Alors, il n’y a plus qu’à « attendre ».
Malgré l’importante attention dont font preuve les médias et les gouvernements à l’égard de la Syrie depuis la catastrophe, Mme Dureid n’a pas espoir que le pays regagne une place importante dans les préoccupations internationales, et estime « malheureusement » que cela n’est qu’une « tendance » qui s’essoufflera.
Ces réfugiés devraient pourtant être au coeur des préoccupations, car ils risquent selon elle, la déportation.
Avec Lisa-Marie Gervais