À la recherche des survivants après le double séisme en Turquie et en Syrie

Plus de 4300 personnes ont perdu la vie lundi dans le sud-est de la Turquie et en Syrie, dans deux séismes successifs de magnitude 7,8 et 7,5. Et le bilan humain de cet épisode sismique destructeur — le plus important en Turquie depuis 1999 — ne cesse de s’alourdir.

La terre a tremblé une première fois à 4 h 17, heure locale, dans le district turc de Pazarcık, à environ 60 km à vol d’oiseau de la frontière syrienne. Puis elle a de nouveau bougé à 13 h 24, au sud-est de la ville d’Ekinözü.

Survenue en pleine nuit, la première secousse s’est avérée particulièrement destructrice puisque la population n’a pas pu quitter son domicile. D’autres facteurs, comme la puissance du séisme, sa faible profondeur — environ 17,9 kilomètres — et la mauvaise construction des bâtiments dans la région, ont aggravé les conséquences de l’événement, explique la sismologue Fiona Ann Darbyshire, professeure à l’Université du Québec à Montréal.

À titre de comparaison, le choc d’un missile nucléaire envoyé par la Corée du Nord correspond à une magnitude d’environ 5,5, indique Mme Darbyshire. Un séisme de magnitude 7,5 est « 100 fois plus puissant ».

[De nombreux immeubles] se sont effondrés comme des crêpes

 

Malgré un rapide soutien international, l’intervention des secours a tardé après la catastrophe. Des habitants ont tenté de retirer les survivants des décombres à mains nues ou à l’aide de pioches, faute de moyens humains et de matériel de secours.

Selon les plus récents bilans, l’événement a fait 2921 morts en Turquie, et au moins 15 834 blessés, a annoncé dans la nuit de lundi à mardi le vice-président turc, Fuat Otkay. Quelque 4748 immeubles se sont effondrés. En Syrie, au moins 1440 personnes ont été tuées et plus de 3500 blessées, selon les chiffres du ministère syrien de la Santé et des secouristes présents dans les zones contrôlées par les rebelles.

Photo: Can Erok Agence France-Presse Un homme réagit en transportant un corps retrouvé dans les décombres à Adana, en Turquie.

Selon la professeure Darbyshire, il est « fortement probable que ce total va monter ». « Plein de bâtiments ont été fortement endommagés, et [ils cachent] probablement des gens piégés à l’intérieur », a-t-elle indiqué en entrevue au Devoir. L’Organisation mondiale de la santé craint que la catastrophe fasse jusqu’à huit fois plus de victimes que le total déjà annoncé.

Plusieurs répliques sismiques — des tremblements de terre qui surviennent après le séisme principal — sont à prévoir dans les prochains jours et semaines, prévient la sismologue. Ces dernières sont normalement de plus faible magnitude, mais elles peuvent tout de même causer d’importants dégâts — aux bâtiments déjà affaiblis, surtout —, ajoute-t-elle.
 

« Du jamais vu » depuis longtemps

Située sur l’une des principales zones sismiques du globe, la Turquie est régulièrement frappée par des séismes. Mais un tremblement de terre aussi « puissant » et « meurtrier », « c’est du jamais vu », a lancé Edip au téléphone lorsqu’interrogé par Le Devoir.

Réfugié politique — il a quitté la Turquie après le coup d’État de 1980 —, il préfère garder son nom complet secret pour des raisons de sécurité. Il vit depuis en France, avec sa femme et ses trois enfants.

Après les premières secousses, sa famille l’a mis au courant de l’événement ; elle était alors saine et sauve. Mais depuis le second séisme, il n’a plus de nouvelles. « On n’arrive pas à dormir, mais [attendre] des nouvelles ? On n’en a pas… Les lignes téléphoniques sont coupées là-bas », déplore-t-il au bout du fil.

Edip ne se gêne pas pour désigner le gouvernement de Recep Tayyip Erdoğan comme « premier responsable de cette catastrophe ».

Le séisme de 1999, qui avait causé la mort de 17 000 personnes, avait conduit en 2004 à l’adoption de lois obligeant toute nouvelle construction à être davantage résistante aux tremblements de terre. Mais Edip juge que le gouvernement Erdoğan a « fermé les yeux ». « Il a permis aux promoteurs immobiliers de construire n’importe où et n’importe comment. Et là, il y a des centaines de milliers de victimes sous les décombres. Les premiers secours n’arrivent pas. Bref, c’est une catastrophe. »

Photo: Muhammad Haj Kadour Agence France-Presse Une vue aérienne montre des habitants, aidés de tracteurs, à la recherche de survivants dans les décombres de bâtiments effondrés dans la ville de Sarmada, en Syrie.
Photo: Rami al Sayed Agence-France-Presse Des habitants sauvent un petit enfant dans des décombres dans la ville de Jandaris, toujours en Syrie.

La qualité de la construction des bâtiments est en effet primordiale lorsqu’un séisme survient, note Carmen Solana, vulcanologue à l’Université de Portsmouth, en Angleterre. Et « la résistance des infrastructures est malheureusement inégale dans le sud de la Turquie, et particulièrement en Syrie ».

De nombreux immeubles « se sont effondrés comme des crêpes », a indiqué le vulcanologue Bill McGuire, du University College de Londres. « Cela survient quand les murs et les sols ne sont pas suffisamment solidaires, chaque étage s’effondre verticalement sur celui du dessous », ce qui laisse peu de chances de survie aux occupants, a-t-il expliqué. « Il n’est pas rare de voir un immeuble debout sans grands dommages et le suivant complètement aplati à cause d’une construction douteuse ou de mauvais matériaux. »

« Il y a eu des milliers de bâtiments qui se sont écroulés, vous vous en rendez compte ? Des milliers… » déplore Edip.

En Syrie, une vingtaine de combattants présumés du groupe armé État islamique auraient d’ailleurs profité du tremblement de terre pour s’évader de la prison militaire de Rajo, dont les portes et les murs ont été fragilisés par le séisme.

« Les détenus [auraient alors] lancé une mutinerie et […] pris le contrôle de certaines parties de la prison », a indiqué à l’Agence France-Presse une source au sein de l’établissement. L’Observatoire syrien des droits de l’homme, une ONG établie à Londres, a confirmé qu’une mutinerie avait eu lieu, mais a précisé ne pas être en mesure de dire si des prisonniers s’étaient évadés.
 

Soutien international

En soirée, le président américain a lui aussi promis « toute l’aide nécessaire, quelle qu’elle soit ». Joe Biden a également assuré que les équipes envoyées par les États-Unis seraient « déployées rapidement pour soutenir les efforts de recherche et de secours ».

Face à l’ampleur de la catastrophe, des messages de soutien ont afflué des quatre coins du globe. « Le Canada est prêt à offrir de l’aide », a notamment déclaré le premier ministre Justin Trudeau en après-midi, qualifiant de « terribles » les images provenant de la Turquie et de la Syrie.

Le président turc a appelé à l’union et a décrété un deuil national de sept jours. Le gouvernement syrien a quant à lui lancé un appel à l’aide à la communauté internationale.

[Le gouvernement] a fermé les yeux. Ils ont permis aux promoteurs immobiliers de construire n'importe où n'importe comment. [...] Il y a eu des milliers de bâtiments qui se sont écroulés, vous vous rendez compte ? Des milliers...

 

« Nos équipes sont sur le terrain pour évaluer les besoins et apporter leur assistance », a déclaré dans un communiqué le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, en appelant à la communauté internationale.

Le Kremlin, allié de la Syrie, a indiqué que des équipes de secouristes allaient partir pour ce pays « dans les prochaines heures », alors que selon l’armée, plus de 300 militaires russes étaient déjà sur les lieux pour aider aux secours.

La Grèce, malgré ses relations orageuses avec son voisin turc, a promis « de mettre à disposition […] toutes ses forces pour lui venir en aide ». L’Union européenne, de son côté, a activé son « mécanisme de protection civile », et « des équipes des Pays-Bas et de [la] Roumanie sont déjà en route ».

Avec l’Agence France-Presse et La Presse canadienne

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