La justice israélienne réclame le limogeage du numéro deux du gouvernement Nétanyahou

La Cour suprême d’Israël a invalidé mercredi la nomination, par le premier ministre Benjamin Nétanyahou, du numéro deux du gouvernement, Aryé Dery, reconnu coupable de fraude fiscale.
À la fin décembre, les députés israéliens avaient adopté à la va-vite un texte, baptisé « loi Dery » par la presse, autorisant l’attribution d’un portefeuille ministériel à un homme jugé coupable d’un crime s’il n’a pas été condamné à la prison ferme. L’objectif de ce texte était de permettre à M. Dery, chef du parti ultraorthodoxe sépharade Shas, deuxième formation de la coalition gouvernementale, de siéger au sein de l’exécutif.
La Cour suprême a annoncé dans un communiqué avoir décidé à une majorité de 10 juges sur 11 « que la nomination du député Aryé Dery au poste de ministre de l’Intérieur et de la Santé ne peut pas être validée ». « Le premier ministre doit le limoger », poursuit la plus haute juridiction du pays, rappelant que M. Dery avait annoncé début 2022 qu’il se retirait de la vie politique après sa condamnation pour fraude fiscale.
Cette mise en retrait était d’ailleurs une condition fixée par la justice pour lui éviter la prison. Mais il a été réélu aux législatives de novembre et nommé au gouvernement mis sur pied fin décembre par M. Nétanyahou avec ses alliés ultraorthodoxes et d’extrême droite.
Débat sur les lois fondamentales
En Israël, où les lois fondamentales font office de Constitution, le pouvoir judiciaire est le seul en mesure de contrôler le gouvernement. Et la « loi Dery » est en fait un amendement à l’une de ces lois affirmant qu’un citoyen inculpé — et a fortiori condamné — ne peut pas occuper un poste de ministre.
Dans leurs attendus, les juges ont critiqué le nouveau texte de loi sans pour autant l’invalider, et ont estimé que la nomination de M. Dery au gouvernement était « en grave contradiction avec les principes fondamentaux de l’État de droit ».
« Nous ferons en sorte de réparer cette injustice par tous les moyens légaux », ont annoncé les chefs des partis de la coalition, dans un communiqué conjoint qualifiant la décision « d’atteinte grave à la démocratie ». Selon son porte-parole, M. Nétanyahou s’est rendu au domicile de M. Dery après celle-ci et lui a dit : « Quand mon frère est en détresse, je viens le voir. »
De son côté, le chef de l’opposition, Yaïr Lapid, a affirmé dans un communiqué que si « Dery n’est pas limogé, le gouvernement sera hors-la-loi, et un gouvernement qui ne respecte pas la loi est un gouvernement illégal ».
Projet de réforme contesté
Le ministre de la Justice, Yariv Levin, a qualifié d’« absurde » la décision de la Cour et déploré que celle-ci « ait choisi de ne pas respecter le choix du peuple ».
M. Levin avait annoncé début janvier un programme controversé de réformes du système judiciaire, qui comprend l’introduction d’une clause « dérogatoire » permettant au Parlement d’annuler à la majorité simple une décision de la Cour suprême.
Cette réforme, qui doit être soumise au Parlement à une date encore inconnue, a été conspuée samedi soir par une foule de quelque 80 000 personnes à Tel-Aviv. Elle vise à accroître le pouvoir des élus sur celui des magistrats et, selon ses détracteurs, met en péril le caractère démocratique de l’État d’Israël.
Si elle était adoptée, elle pourrait être utilisée pour annuler la décision de la Cour concernant M. Dery, voire pour casser une éventuelle condamnation de M. Nétanyahou, qui est actuellement jugé pour corruption dans une série d’affaires.
Figure tutélaire de Shas, parti habitué à faire et défaire les coalitions depuis les années 1980, M. Dery a été ministre dans de nombreux gouvernements. En 1993, la Cour suprême avait déjà exigé qu’il soit limogé alors qu’il était ministre de l’Intérieur, après avoir été mis en examen pour corruption. En 2000, il avait été condamné à trois ans de prison et libéré après avoir purgé les deux tiers de sa peine.
Interrogé par l’Agence France-Presse, Claude Klein, professeur émérite à la Faculté de droit de l’Université hébraïque de Jérusalem, estime que la décision de la Cour suprême ne devrait pas avoir d’impact sur la coalition, « car Shas a trop d’intérêts à y rester ». Mais elle pourrait, selon lui, « accélérer » la volonté du gouvernement de passer sa réforme de la justice.