En Iran, la peine capitale pour faire taire une jeunesse en colère

Un mouvement d’opposition sans précédent appelle à la chute du régime théocratique en place à Téhéran depuis septembre dernier.
Photo: Laurent Cipriani Associated Press Un mouvement d’opposition sans précédent appelle à la chute du régime théocratique en place à Téhéran depuis septembre dernier.

En vie, temporairement. La Cour suprême iranienne a décidé de suspendre mercredi l’application de la peine de mort prononcée par le régime des mollahs contre un jeune manifestant de 19 ans, dans ce pays toujours aux prises avec une vague de soulèvement populaire, 120 jours après la mort de la jeune Mahsa Amini.

La jeune fille de 22 ans a péri entre les mains de la police des moeurs de Téhéran en septembre dernier après son arrestation pour « port de vêtements inappropriés », déclenchant un mouvement d’opposition sans précédent qui appelle à la chute du régime théocratique de Téhéran.

La sentence de Mohammad Boroghani, accusé d’avoir « blessé au couteau un garde de sécurité dans l’intention de le tuer », devait être exécutée cette semaine, quelques jours à peine après la pendaison de deux autres jeunes manifestants. Son avocat a réclamé « un réexamen de la procédure judiciaire pour son client », selon l’agence de presse Mizan Online, et ce, en confrontation avec un régime qui, dépassé par une opposition populaire persistante, semble désormais s’appuyer sur la peine capitale — en particulier face à sa jeunesse — pour faire taire les cris de liberté venant de la rue.

« Cette pratique témoigne de la fragilité du régime dans sa tentative de contenir le mouvement de contestation, dont le degré de mobilisation et l’intensité sur le plan de la participation aux manifestations sont remarquables », dit en entrevue la politicologue Nermin Allam, de l’Université Rutgers, qui scrute les mouvements sociaux iraniens. « Cette opposition est devenue de plus en plus incontrôlable en se propageant au-delà des groupes de femmes qui en ont donné les premières mesures. » 

« Le régime des mollahs espère que ces exécutions vont servir à dissuader les Iraniens à remettre en question sa légitimité et son pouvoir », résume Hussein Banai, spécialiste de la politique iranienne, joint par Le Devoir à l’Université de l’Indiana, aux États-Unis. « Le problème, c’est que les procès fictifs arbitraires à travers lesquels il transmet ces ordres d’exécution risquent d’irriter davantage les Iraniens et de renforcer par le fait même leur opposition au régime. »

Lundi, Téhéran a annoncé la condamnation à mort de trois nouveaux manifestants, portant à près de 43 le nombre d’opposants au régime exposés à la peine capitale depuis le début du soulèvement populaire, selon un récent décompte effectué par le réseau américain CNN. Javad Rouhi — c’est l’un des trois — est exposé à la peine capitale pour « corruption sur Terre », pour « apostasie par profanation du Coran en le brûlant », pour « destruction et incendie de biens publics », mais également pour avoir été « le meneur d’un groupe d’émeutiers » à Noshahr, dans le nord du pays.

Le groupe d’activistes iraniens 1500Tasvir parle pour sa part de 100 personnes exécutées arbitrairement par le régime ou sur le point de l’être, un décompte qui soulève un tollé dans la communauté internationale.

Cette pratique témoigne de la fragilité du régime dans sa tentative de contenir le mouvement de contestation

 

Mardi, le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Volker Türk, a qualifié de « meurtres d’État » ces exécutions orchestrées par Téhéran ciblant les opposants au régime. Il a dénoncé cette exploitation de la pendaison pour « punir les personnes qui exercent leurs droits élémentaires » de participer ou d’organiser des manifestations, a-t-il indiqué par voie de communiqué depuis Genève.

« Je réitère une fois de plus mon appel au gouvernement iranien pour qu’il respecte la vie et la voix de son peuple, qu’il impose un moratoire immédiat sur la peine de mort et qu’il mette fin à toutes les exécutions », a-t-il déclaré.

Humaniser les pertes

Depuis le début du soulèvement, près de 750 personnes ont perdu la vie en Iran à la suite d’exécutions, de torture lors d’interrogatoires ou en tombant sous les balles des forces de l’ordre lors de manifestations organisées à travers le pays, selon l’Organisation des moudjahidines du peuple iranien (OMPI), l’une des composantes de l’opposition au régime des mollahs, actuellement en exil, qui tient à jour une liste nominative de ces « martyrs ».

« Le régime se rend compte que tout ce qu’il a pour essayer d’arrêter ces manifestations, c’est la force et la répression », commente en entrevue l’ex-conseiller en sécurité au bureau du Conseil privé Peter Jones, qui dirige le groupe de réflexion Ottawa Dialogue. « C’est une stratégie qui peut fonctionner un certain temps pour chasser les manifestants des rues, mais c’est aussi un cadre répressif qui vient annuler tout espoir du régime de se présenter à la face du monde comme les représentants légitimes de la volonté du peuple iranien. Bien sûr, pour les extrémistes qui dirigent actuellement le régime, il y a probablement peu de remords à prendre ces mesures. Mais le système iranien a toujours essayé de se présenter comme suivant l’expression de la volonté des Iraniens. » Ce qui ne semble plus être le cas aujourd’hui, selon lui.

Ce décalage entre la répression du régime et les aspirations des manifestants, portées par la voix d’une jeunesse de plus en plus déterminée à mettre fin à la dictature et à la tyrannie religieuse, fait vaciller depuis près de quatre mois le pouvoir iranien sans encore laisser présager le moment de sa chute.

« J’ai tendance à croire qu’un régime autoritaire et brutal comme celui de la République islamique va se battre jusqu’au bout pour se maintenir en vie, et cela va durer probablement encore un certain temps », prédit Hussein Banai.

« Tôt ou tard, lorsqu’il deviendra évident que le seul moyen pour eux de se maintenir au pouvoir passe par la brutalité, des éléments de ce régime vont s’en détacher pour rejoindre le peuple », dit pour sa part Peter Jones. « Mais malheureusement, nous ne pouvons pas savoir combien de temps cela va prendre. Ni, surtout, combien de personnes vont devoir encore souffrir d’ici là. »

Avec l’Agence France-Presse

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