Chaos mortel dans la «zone verte» de Bagdad

Un partisan de Moqtada al-Sadr montre des balles récoltées dans la foulée des violences qui ont éclaté mardi dans la Zone verte.
Ahmad Al-rubaye Agence France-Presse Un partisan de Moqtada al-Sadr montre des balles récoltées dans la foulée des violences qui ont éclaté mardi dans la Zone verte.

Obus de mortier et tirs d’armes automatiques : la Zone verte de Bagdad a sombré dans le chaos lundi soir, après le « retrait » politique de Moqtada al-Sadr, coup d’éclat du leader chiite laissant libre cours à ses partisans, dont douze ont été tués par balle.

Dans la soirée, au moins sept obus de mortier sont tombés dans ce périmètre ultrasécurisé qui abrite des ministères et des ambassades, a indiqué une source sécuritaire qui n’était pas en mesure de fournir de bilan. On ignorait également l’origine des tirs.

Dans la foulée, des tirs d’armes automatiques résonnaient depuis ce quartier du centre de la capitale, placé sous couvre-feu comme tout le reste de l’Irak.

Selon cette source, des partisans de Moqtada al-Sadr visaient la zone depuis l’extérieur. À l’intérieur se trouvaient des forces « qui ne ripostaient pas ».

Impasse politique

 

L’Irak est dans l’impasse politique depuis les législatives d’octobre 2021, mais la situation a brutalement dégénéré lundi lorsque des centaines de partisans de Moqtada al-Sadr ont envahi le palais de la République, où siège le Conseil des ministres.

Alors que les sadristes investissaient les bureaux, les forces de l’ordre tentaient de disperser d’autres manifestants à coups de grenades lacrymogènes aux entrées de la Zone verte, a affirmé une source de sécuritaire à l’Agence France-Presse (AFP).

Des témoins ont fait état d’échanges de tirs entre sadristes et partisans du Cadre de coordination, rival pro-Iran du camp d’al-Sadr, à cet endroit.

Ainsi, 15 partisans de Moqtada al-Sadr ont été tués par balle et 350 autres blessés, ont indiqué des sources médicales sans plus de précisions. Certains blessés ont reçu des tirs ; d’autres ont inhalé du gaz lacrymogène.

Le leader chiite est très influent, et son aura religieuse et politique a une large portée dans cette communauté majoritaire en Irak.

 

Appels au calme

À Washington, la Maison-Blanche a jugé la situation « inquiétante » et a appelé au calme et au dialogue. La mission de l’ONU en Irak, dont le siège se trouve dans la Zone verte, a appelé toutes les parties à la « retenue maximale ».

Dans la soirée, le couvre-feu instauré plus tôt dans la journée semblait respecté à Bagdad. Les rues d’ordinaire animées étaient vides de toute voiture ou de tout passant.

Mais le chaos a gagné d’autres régions : à Nassiriyah, dans la province de Zi Qar, dans le sud du pays, des sadristes ont envahi le siège du gouvernorat et pénétré dans d’autres bâtiments officiels. Le siège du gouvernorat de Babylone, dans la ville de Hilla, a également été occupé par des partisans de Moqtada al-Sadr, ont indiqué des témoins à l’AFP.

Depuis près d’un an, les barons de la politique ne parviennent pas à s’accorder sur le nom d’un nouveau premier ministre. L’Irak n’a donc ni nouveau gouvernement ni nouveau président depuis les législatives. Pour sortir de la crise, Moqtada al-Sadr et le Cadre de coordination s’accordent sur un point : il faut un nouveau scrutin anticipé. Mais si al-Sadr insiste pour dissoudre le Parlement avant tout, ses rivaux veulent d’abord nommer un gouvernement.

Dans la soirée, le Cadre de coordination a condamné l’« attaque contre les institutions de l’État », tout en appelant les sadristes au « dialogue ». Pour sa part, Moqtada al-Sadr a « annoncé une grève de la faim, jusqu’à la fin des violences », a indiqué un responsable du courant sur les réseaux sociaux.

Rebondissements

 

Al-Sadr n’a cessé de faire monter les enchères ces dernières semaines. Depuis un mois, ses partisans campent aux abords du Parlement et ont même bloqué brièvement l’accès à la plus haute instance judiciaire du pays. Lundi, dans un nouveau rebondissement, il a annoncé son « retrait définitif » de la politique et la fermeture d’institutions liées à sa famille.

Arrivé premier aux législatives avec 73 sièges (sur 329), mais incapable de former une majorité, il avait fait démissionner ses députés en juin, affirmant vouloir « réformer » de fond en comble le système et en finir avec la « corruption ».

Pour Hamzeh Hadad, chercheur invité au Conseil européen pour les relations internationales (ECFR), son annonce de retrait de la politique « n’est pas très claire ». « Dans la tradition sadriste, on peut s’attendre à ce qu’il fasse marche arrière », dit-il à l’AFP. Mais, « et c’est plus terrifiant, on peut penser qu’il donne à ses partisans le feu vert pour faire ce qu’ils veulent, en disant qu’il ne répond plus de leurs actions ».

Samedi, Moqtada al-Sadr avait donné « 72 heures » à « tous les partis » en place depuis la chute de Saddam Hussein en 2003 — dont le sien — pour renoncer aux postes gouvernementaux qu’ils détiennent et laisser « place aux réformes ».

Jusqu’ici, les prises de bec entre les sadristes et le Cadre de coordination n’avaient pas dégénéré en violences. Le Hachd al-Chaabi, d’anciens paramilitaires alliés à Téhéran et intégrés aux forces irakiennes, s’était toutefois dit prêt à « défendre les institutions étatiques ».

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