Dialogue de sourds entre l'Iran et les États-Unis

Le Conseil de sécurité de l’ONU a appelé « au dialogue » et à des mesures pour faire cesser les tensions dans la région du Golfe, lundi en fin d’après-midi, au terme d’une journée où les États-Unis ont accentué la pression sur l’Iran, qui a de son côté réclamé la fin de cette « guerre économique » imposée par les Américains.
La déclaration a été approuvée par les 15 membres du Conseil lors d’une réunion à huis clos sur l’Iran tenue à la demande des États-Unis après les attaques menées contre des navires pétroliers et un drone américain ces dernières semaines.
Washington avait annoncé plus tôt dans la journée de nouvelles sanctions « dures » contre l’ayatollah Ali Khamenei et des hauts gradés des Gardiens de la Révolution. Le président des États-Unis, Donald Trump, a signé un décret qui empêche « le Guide suprême, son équipe et d’autres qui lui sont étroitement liés d’avoir accès à des ressources financières essentielles ». Les États-Unis ont également accusél’Iran de vouloir se munir de l’arme nucléaire et d’être un « parrain du terrorisme ». Le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, considéré comme un modéré, est également visé par les sanctions américaines. Le secrétaire américain au Trésor, Steven Mnuchin, a déclaré que le nom de M. Zarif sera mis sur la liste des sanctions « plus tard cette semaine ». Il a ajouté que les États-Unis gèleraient « des milliards de dollars » d’actifs iraniens supplémentaires. De son côté, M. Zarif a écrit sur Twitter depuis Téhéran que l’armée américaine « n’avait rien à faire dans le Golfe ».
Quant à l’ambassadeur de l’Iran à l’ONU, Majid Takht Ravanchi, il a réclamé que les États-Unis arrêtent « leur aventurisme militaire, comme leur guerre économique », afin d’« atténuer les tensions dans l’ensemble de la région du Golfe ». « Vous ne pouvez pas entamer un dialogue avec quelqu’un qui vous menace, qui vous intimide », a-t-il déclaré, ajoutant que le « climat » n’était pas propice à des discussions avec Washington. M. Ravanchi a également déploré le fait que l’Iran s’est vu refuser sa participation à la réunion du Conseil de sécurité, après qu’un drone eut « violé » son espace aérien. Les États-Unis assurent toutefois que l’appareil se trouvait dans l’espace aérien international. Une source diplomatique a confié à l’AFP que la Russie a refusé l’inclusion d’une mention sur la responsabilité d’un « acteur étatique » dans ces attaques, une tentative d’ajout venant des États-Unis.
« Les sanctions ont fait mal à l’Iran »
« Le gouvernement Trump semble avoir priorisé les sanctions à la place d’une approche plus musclée », a constaté Vahid Yücesoy, doctorant en sciences politiques à l’Université de Montréal et chercheur au Centre d’études et de recherches internationales (CERIUM), en entrevue au Devoir. Il estime que Washington a ciblé le Guide suprême, car celui-ci « est l’homme le plus riche d’Iran, le plus puissant du pays », ajoutant que le but des États-Unis est de cibler l’économie iranienne. « Les sanctions ont fait mal à l’Iran. On s’attend à une contraction économique d’à peu près 6 % cette année », a-t-il poursuivi, en qualifiant la situation économique du pays de « très difficile ».
Le président de l’Observatoire sur les États-Unis et fondateur de la Chaire Raoul-Dandurand de l’UQAM, Charles-Philippe David, est d’avis que les sanctions économiques sont l’« outil privilégié » du président américain. « L’une des rares constantes de sa politique étrangère est le recours aux sanctions comme arme diplomatique », a-t-il constaté. Selon lui, Donald Trump a préféré l’établissement de telles sanctions au déploiement d’outils militaires, dans une perspective électorale. « Est-ce que les décisions qu’il prend lui rapportent ou lui coûtent en prévision de 2020 ? C’est une considération omniprésente dans sa prise de décision », a-t-il expliqué.
[L’armée américaine] n’a rien à faire dans le Golfe
Le président américain aurait également autorisé secrètement que soient menées des cyberattaques contre des systèmes de lancement de missiles et un réseau d’espionnage iranien, d’après des médias américains. De son côté, l’Iran a déclaré ne pas avoir subi de dégâts. Selon M. Yücesoy, il est possible que l’Iran riposte avec des outils militaires en ciblant un autre drone américain, mais également par une attaque indirecte dans la région, menée par ses alliés houthis au Yémen ou par le Hezbollah. « Mais chaque fois que l’Iran a recours à une approche musclée, il y a un durcissement des sanctions de la part des États-Unis », a observé le chercheur, qui prédit que le pays risque de faire face à plus de pressions économiques s’il fait usage de la force. « C’est une question de temps pour savoir si le pays est en mesure de souffrir plus de pressions provenant des États-Unis, surtout sur l’économie », a-t-il analysé.
« La question à se poser est : jusqu’à quand et jusqu’où l’Iran est-il en mesure de résister aux États-Unis avec un discours belliqueux ? », a affirmé M. Yücesoy, qui estime que les négociations entre les deux pays reprendront. « Les dirigeants iraniens sont très rationnels. Ils vont peut-être essayer de voir jusqu’où ils peuvent aller avant de choisir les négociations, à la fin », a-t-il expliqué.
De son côté, Charles-Philippe David reste peu optimiste quant à la résolution du conflit entre les deux pays. « Oui, les leaders iraniens sont plutôt rationnels, mais la question qui se pose est [de savoir] si celui à Washington l’est », a-t-il fait remarquer, en n’écartant cependant pas la possibilité d’une résolution diplomatique entre les deux pays. « Ça va être difficile », a-t-il prédit.
Avec l’Agence France-Presse