Gaza et Israël s’accusent mutuellement

Des manifestants palestiniens évacuent un homme blessé lors des affrontements lundi avec les forces israéliennes à la frontière de la bande de Gaza.
Photo: Mahmud Hams Agence France-Presse Des manifestants palestiniens évacuent un homme blessé lors des affrontements lundi avec les forces israéliennes à la frontière de la bande de Gaza.

Au lendemain des violences où plus de 55 Gazaouis ont été tués dans des manifestations suivant le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem, les autorités israélienne et palestinienne se rejettent mutuellement le blâme. Entre les deux, la communauté internationale se contente de condamner les violences, tandis que certains pays arabes se font discrets.
 

Ainsi, d’un côté de la frontière, le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, a fustigé Israël pour son «massacre» dans la bande de Gaza. De l’autre, le premier ministre israélien, Benjamin Nétanyahou, a défendu l’usage de la force pour protéger les siens de l’organisation «terroriste» Hamas. La Maison-Blanche est derrière lui. «Un grand jour pour Israël», a écrit lundi le président Trump sur Twitter.
 

Fallait-il s’en étonner? Julien Bauer, professeur au Département de sciences politiques de l’UQAM, ne se surprend pas de ce scénario post-déménagement et des réactions qu’il suscite. «C’est certain que les deux parties vont vouloir utiliser la situation au maximum», dit-il.

De la même manière, il fallait s’attendre à ce que la communauté internationale se limite à quelques remontrances. L’Union européenne et Londres ont appelé à la retenue, Paris a « condamné les violences ». Pour sa part, le Canada, à travers sa ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, qui s’est dite «très préoccupée» par l’escalade de violence, ne s’est pas plus fermement positionné. «Les autres États considèrent qu’il n’y a pas grand-chose à gagner et plutôt beaucoup à perdre en condamnant trop fortement Israël», avance Pierre-Alain Clément, chercheur résident à l’Observatoire sur le Moyen-Orient de la chaire Raoul-Dandurand. «Cette position ne m’étonne pas. [...] Pour certains pays, notamment européens, c’est difficile de condamner ses propres alliés [en l’occurrence Israël] et il n’y a pas grand-chose à gagner à condamner les Palestiniens.»

 

Un événement symbolique

Quelle portée réelle a et aura à l’avenir ce déménagement de l’ambassade américaine à Jérusalem? Pour la petite histoire, rappelons qu’une loi adoptée par le Congrès américain en 1995, soit il y a 23 ans, promettait le déménagement de l’ambassade des États-Unis dans cette ville sainte très convoitée. Mais celle-ci comportait une clause permettant tous les six mois de retarder ce projet, droit dont tous les présidents américains qui se sont succédé, qu’ils soient démocrates ou républicains, se sont prévalus... jusqu’à ce que Trump décide finalement de passer à l’acte.
 

Pour Julien Bauer, ce déménagement, qui est en d’autres mots une reconnaissance sans équivoque de l’État d’Israël, revêt un caractère «extrêmement important».

«Dans 50, 100 ans, on s’en rappellera, c’est sûr. Les déclarations de Trump, les batailles, les morts seront oubliés, mais on dira que, 70 ans après la création de l’État d’Israël, il y a eu reconnaissance de Jérusalem comme capitale des Juifs par la plus grande puissance du monde», soutient-il.
 

Pierre-Alain Clément est d’avis que le temps déterminera la portée de l’événement, mais a priori, ce n’est que «le soubresaut d’un conflit perpétuel».

«Le niveau de tension est monté d’un cran, mais il n’est de toute façon jamais à zéro. Il y a peu de chance qu’on assiste au début de la 3e intifada, même si la 2e avait commencé après la visite d’Ariel Sharon de l’esplanade des Mosquées. Les Palestiniens sont trop divisés.»

 

La Palestine délaissée?

Quant aux pays arabes, dont plusieurs pays du Golfe sont des alliés des États-Unis, même s’ils condamnent le geste, ils ne sont pas prompts à voler au secours de la Palestine, constate M. Clément.

«Ça fait des décennies, voire depuis la guerre du Kippour qu’aucun État arabe n’a véritablement fait quelque chose pour les Palestiniens», dit-il, évoquant un récent discours du prince héritier d’Arabie saoudite à New York où il laissait tomber les Palestiniens.

«En réalité, les Saoudiens et la quasi-totalité des régimes arabes ont arrêté de soutenir les Gazaouis. On a du mal à voir comment [ces derniers] pourraient rebondir», ajoute-t-il, sur un ton très peu optimiste.
 

Le bilan croissant des victimes des manifestations de lundi a toutefois soulevé des doutes quant à la capacité de M. Trump de conclure un accord de paix au Proche-Orient. «Les États-Unis ont complètement perdu leur aura de neutralité», soutient M. Clément.

Paradoxalement, il avance l’hypothèse que ce fait pourrait bénéficier à la cause, dans la mesure où, les États-Unis ayant perdu toute crédibilité, cela laisse le champ libre à d’autres puissances mondiales qui pourraient parvenir à ramener tout le monde autour de la table pour négocier.
 

Pour le politologue de McGill et spécialiste du Moyen-Orient, Rex Brynen, tout cela ne fait que révéler à quel point le conflit israélo-palestinien s’enlise dans un marécage aux profondeurs insondables. «Ça ne fait que souligner à quel point on n’est pas dans un processus de paix et qu’on se dirige vers un scénario de violence sporadique pour des années, voire des décennies.»
 

Au-delà du transfert de l’ambassade, c’est l’occupation et la colonisation perpétuelles qui sont difficiles, note Pierre-Alain Clément. «Jérusalem est en train de devenir une enclave, ce sont ces avancées sur le terrain qui sont beaucoup plus importantes pour les Palestiniens, qui vont plus les affecter bien plus que cet événement symbolique.»

 

Un sombre bilan

Réagissant vivement à l’inauguration de l’ambassade, des Palestiniens ont manifesté toute la journée de lundi en incendiant des pneus et en lançant des cocktails Molotov et des pierres vers les soldats israéliens postés de l’autre côté de la frontière, manifestations auxquelles ont riposté les chars israéliens par des tirs. Il y aurait eu plus de 2000 blessés, selon les autorités dans la bande de Gaza. Il s’agit de la journée la plus meurtrière du conflit israélo-palestinien depuis la guerre de l’été 2014 dans la bande de Gaza.
 

Le Conseil de sécurité de l’ONU devrait se réunir mardi. Les ONG Amnesty International et Human Rights Watch ont dénoncé un recours injustifié aux tirs à balles réelles, la première fustigeant une « violation abjecte » des droits de l’homme et des « crimes de guerre ».

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