Israël: six jours de guerre, cinquante ans de domination

Des soldats célébraient la conquête du mur des lamentations dans la partie est de la ville sainte de Jérusalem au cours de la guerre des Six Jours, en juin 1967.
Photo: Agence France-Presse Des soldats célébraient la conquête du mur des lamentations dans la partie est de la ville sainte de Jérusalem au cours de la guerre des Six Jours, en juin 1967.

L’État hébreu célèbre ce lundi le début de la guerre des Six Jours, qui lui avait permis d’accroître considérablement son territoire. Un demi-siècle plus tard, les premières colonies créées par une minorité de « fous de dieu » sont devenues la norme, et leur idéologie comme leur mépris envers les Arabes se sont répandus dans la société.

En circulant dans la vallée du Jourdain, la partie la plus calme de la Cisjordanie occupée par Israël depuis 1967, bon nombre de touristes s’arrêtent à Kalia Beach, une plage aménagée le long de la mer Morte à quelques centaines de mètres d’une ancienne base de la Légion arabe, l’armée jordanienne défaite par les Israéliens durant la guerre des Six Jours. À part les impacts de balles, les ex-bâtiments militaires sont restés intacts. Mais ils sont vides. Non loin, sur le front de mer, des Palestiniens venus des villages voisins avec leur barbecue et des Israéliens de Jérusalem ou de Tel-Aviv se prélassent sous le même soleil. Mais ils ne se parlent pas. Au mieux, ils échangent un regard. Au pire, ils s’ignorent. Cinquante ans après la fin de la guerre des Six Jours, ni les uns ni les autres n’imaginent sérieusement que l’État hébreu puisse se retirer un jour de ce territoire. Du moins, pas à court ni à moyen terme.

Monnaie d’échange

Pourtant, lorsqu’il a décidé de déclencher ce qu’il présentait comme une « guerre préventive » le 5 juin 1967, le cabinet israélien de la sécurité n’envisageait pas une victoire de grande ampleur sur les pays arabes. Ses stratèges de l’époque n’avaient pas prévu que le « petit pays de 2 millions d’habitants entouré de 200 millions d’Arabes », comme on disait à l’époque, augmenterait sa superficie de plus du double en moins d’une semaine. Rendus publics quelques jours avant la date officielle du 50e anniversaire du début de l’offensive éclair de la guerre des Six Jours, ce lundi, les protocoles secrets des délibérations du cabinet israélien de la sécurité de l’époque (900 pages) confirment que les dirigeants israéliens étaient embarrassés par l’ampleur de leur victoire militaire. Qu’ils ne savaient pas quoi faire avec le désert du Sinaï et la bande de Gaza (pris à l’Égypte), le plateau du Golan (Syrie) et la partie arabe de Jérusalem ainsi que la Cisjordanie (Jordanie). Car si les membres du gouvernement étaient d’accord sur le fait qu’Israël ne restituerait jamais le Golan ainsi que la vieille ville de Jérusalem, dans laquelle se trouve le mur des Lamentations, ils estimaient que les autres territoires occupés pourraient servir de monnaie d’échange dans le cadre de négociations de paix.

C’est pendant cette phase transitoire que sont apparus les premiers colons. Au départ, il ne s’agissait que de quelques dizaines de militants nationalistes religieux exaltés pour qui la victoire, et surtout la « libération » du mur des Lamentations, ressortait d’un miracle annonçant la venue du messie. Lorsqu’ils ont, en mars 1968, créé leur première colonie dans l’hôtel Park, un établissement palestinien d’Hébron « réquisitionné » par eux, ces fous de dieu emmenés par le rabbin Moshe Levinger étaient ultraminoritaires en Israël. Mais le gouvernement, plongé dans ses débats internes sur le sort des territoires occupés, les a laissés faire par négligence ou par lâcheté.

Axe central

Photo: Ahmad Gharabli Agence France-Presse Les colons israéliens sont passés de quelques dizaines à quelque 200 000 dans les «nouveaux quartiers» de Jérusalem.

Après un demi-siècle, ces colons sont passés de quelques dizaines à 450 000 en Cisjordanie occupée et à quelque 200 000 dans les « nouveaux quartiers » de Jérusalem, érigés sur des terres appartenant aux villages palestiniens voisins. Au fil des années, leurs idées ont également pénétré tous les secteurs de la société israélienne, qui est devenue plus religieuse et moins tolérante. Grâce à leurs représentants à la Knesset et au gouvernement, ces colons constituent désormais l’axe central de la vie politique israélienne. Alors qu’ils ne représentent que 8 % de la population, ils occupent de nombreux postes clés au sein de l’armée, de la police et des services de sécurité. De quoi leur permettre d’imposer leur ordre du jour à l’ensemble du pays tout en parvenant à le façonner à leur image.

Que ce soit sur le plan social, politique ou culturel, les idées défendues par les colons se retrouvent en effet au coeur du roman national israélien : pour eux, la Judée-Samarie (la Cisjordanie) n’est pas occupée depuis cinquante ans, mais « libérée ». Quant à ceux qui dénoncent cet état de fait, ils sont au mieux des inconscients, au pire des traîtres. Désormais, l’expression « de gauche » équivaut à une insulte dans de nombreux cercles israéliens. Et les Palestiniens ? Les colons et une partie non négligeable de la classe politique israélienne estiment qu’ils n’ont rien à faire dans les territoires occupés. Que « leur vrai pays est la Jordanie et pas ces zones qu’ils appellent “Palestine” on ne sait trop pourquoi », comme nous le déclarait récemment la députée Likoud (parti nationaliste du premier ministre Benjamin Nétanyahou) Nurit Koren.

« Pourquoi et de quoi se plaindraient-ils ? »

Les Palestiniens n’ont pas l’air de compter beaucoup aux yeux des vainqueurs de juin 1967. Ils forment une réserve de main-d’oeuvre dans laquelle il suffit de puiser au gré des besoins économiques de leur pays. Des travailleurs sans droits, taillables et corvéables à merci, dont quasiment personne n’écoute les revendications. Les médias de l’État hébreu consacrent depuis plusieurs semaines des émissions, des dossiers et des programmes spéciaux destinés à présenter les combats comme une nouvelle épopée quasi biblique. Mais ils ne disent mot des Palestiniens. Pourtant, durant cette guerre éclair, un peu plus de 300 000 ont fui ou ont été chassés en Jordanie. Une dizaine de leurs villages ont été rasés et deux camps de la vallée du Jourdain, dans lesquels survivaient des réfugiés de 1948, ont été évacués de force. Fêtant au début de la semaine dernière, à Hébron, le jubilé de la « libération de la Judée-Samarie », Malachie Levinger (fils du rabbin Moshe Levinger) a montré un bel exemple de ce mépris : « Nous apportons beaucoup aux Palestiniens. Ils travaillent, gagnent de quoi nourrir leur famille et apprennent beaucoup. Pourquoi et de quoi se plaindraient-ils ? nous a-t-il demandé. Ils ont leurs traditions, leurs coutumes claniques et leur religion, personne n’interfère. Ils sont bien avec nous. »

Effets pervers

 

Ex-ambassadeur d’Israël en Afrique du Sud, Ilan Baruch a démissionné pour dénoncer le « hold-up » des colons sur la politique israélienne. Et sur la société en général. « Je suis très troublé par l’immoralité de la relation qui s’est instaurée entre Israël et les Palestiniens après la guerre des Six Jours, nous dit-il. Car l’occupation et ses excès ont corrompu notre mode de vie et de pensée. En traitant les Palestiniens comme il le fait, en érigeant sans cesse des obstacles à la création de leur État, mon pays hypothèque son avenir. Mais s’en rend-il seulement compte ? Je ne sais pas. » Dans une interview accordée et à paraître en fin de semaine dans le quotidien Yediot Aharonot, l’écrivain David Grossman vient lui aussi de dénoncer les effets pervers sur Israël de la colonisation, et donc de la guerre des Six Jours : « Ce pays continuera en tant qu’État démocratique, mais il sera tellement différent de ce que j’aurais voulu qu’il soit que j’aurai du mal à y vivre. »

Baruch et Grossman ne sont pas les premiers à dénoncer le racisme anti-arabe et le sentiment de supériorité qui prévalent en Israël depuis 1967. Avant sa mort en 1994, le rabbin Yeshayahou Leibowitz, sage et philosophe unanimement respecté, avait déjà lancé l’alerte en affirmant que la corruption morale, qui prévaut dans chaque régime d’occupation, finirait par s’étendre à l’ensemble d’Israël. Personne ne l’a entendu, et rares sont ceux qui se rappellent ses enseignements.

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