Un avion russe est abattu par Ankara, provoquant une escalade des tensions
La Turquie a abattu mardi un avion militaire russe qui avait, selon elle, violé son espace aérien à sa frontière avec la Syrie, provoquant une brusque escalade des tensions qui complique les efforts de formation d’une coalition antidjihadiste mondiale.
Ankara avait déjà prévenu Moscou que ses avions survolaient son espace aérien dans le cadre de ses opérations en Syrie.
L’appareil, un chasseur-bombardier de type Sukhoï Su-24, a été abattu par deux F-16 turcs et s’est écrasé dans l’extrême nord-ouest du territoire syrien, au nord de Lattaquié, théâtre depuis plusieurs jours de violents combats entre l’armée syrienne, soutenue par l’aviation russe, et des groupes rebelles.
Les deux pilotes ont pu s’éjecter avant le crash mais, selon l’état-major russe, l’un des deux a été tué avant de toucher le sol, confirmant ainsi des informations de sources proches de l’opposition syrienne. Un responsable gouvernemental turc avait toutefois auparavant indiqué que les deux militaires étaient en vie et que son pays tentait de les récupérer.
Le commandement militaire russe n’a donné aucune information sur le sort du second pilote, mais a indiqué qu’un de ses soldats avait été tué en Syrie lors des opérations héliportées engagées pour tenter de retrouver l’équipage du Su-24.
Le président turc Recep Tayyip Erdogan a justifié le recours à la force par ses forces armées. « Tout le monde doit respecter le droit de la Turquie à protéger ses frontières », a-t-il lancé lors d’un discours prononcé à Ankara.
L’état-major turc a affirmé que le chasseur-bombardier russe avait clairement violé l’espace aérien turc et qu’il en avait été averti « dix fois en l’espace de cinq minutes ». Ces avertissements ont été confirmés par le Pentagone.
Washington confirme
L’armée américaine a appuyé les déclarations des militaires turcs qui affirment avoir mis en garde le bombardier russe à 10 reprises avant de l’abattre mardi près de la frontière syrienne.
« Nous étions en mesure d’entendre tout ce qui se passait, ces [communications] étaient sur des canaux ouverts », a déclaré le colonel Steve Warren, un porte-parole du Pentagone. « Je confirme cela », a répondu le colonel Warren, interrogé sur les dix avertissements évoqués par les militaires turcs.
Le président russe Vladimir Poutine a prévenu de « conséquences sérieuses » sur les relations entre la Russie et la Turquie tandis que la Syrie a dénoncé « une agression flagrante » contre sa souveraineté, suite à cet incident.
De son côté, le ministère russe de la Défense a catégoriquement démenti les allégations d’Ankara, affirmant que son appareil se trouvait « exclusivement dans l’espace aérien syrien ».
Le président américain, Barack Obama, s’est rangé derrière la Turquie, son alliée au sein de l’OTAN, et a défendu son « droit à défendre son territoire et son espace aérien ».
Le président russe Vladimir Poutine a très vivement réagi à la perte d’un de ses avions militaires en dénonçant un « coup de poignard dans le dos qui nous a été porté par les complices des terroristes ».
La Turquie a longtemps été accusée de complaisance à l’égard des rebelles radicaux en guerre contre le régime de Damas mais a récemment rejoint la coalition antidjihadiste.
Son ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a dans la foulée annoncé l’annulation de sa visite prévue mercredi en Turquie dans le cadre des pourparlers engagés à Vienne par les grandes puissances pour esquisser une solution politique au conflit syrien. Il a également déconseillé à ses concitoyens de se rendre en Turquie, une de leurs destinations touristiques favorites. « Le nombre de manifestations de terrorisme sur le territoire turc n’est pas moindre, selon nos estimations, qu’en Égypte », a-t-il justifié.
La retenue
De nombreux responsables internationaux ont invité la Turquie et la Russie à la retenue.
En visite à Washington, le président français, François Hollande, a souhaité que l’on « évite toute escalade ». Le secrétaire général des nations unies Ban Ki-moon a pour sa part plaidé pour des « mesures urgentes pour apaiser les tensions ».
À l’issue d’une réunion extraordinaire convoquée à la demande d’Ankara, le secrétaire général de l’Alliance atlantique, Jens Stoltenberg, s’est déclaré « solidaire » de la Turquie, mais a lui aussi appelé « au calme et à la désescalade ».
Depuis le début de l’intervention militaire russe en soutien au président Bachar al-Assad fin septembre, les incidents de frontière se sont multipliés entre Ankara et Moscou. À deux reprises, des chasseurs turcs avaient intercepté des avions militaires russes engagés en Syrie qui avaient violé leur espace aérien. La tension entre les deux pays s’est encore accrue ces derniers jours après des bombardements russes qui ont, selon Ankara, visé des villages de la minorité turcophone de Syrie.
M. Erdogan a rappelé mardi soir qu’il continuerait à soutenir les Turkmènes de Syrie.
« La Russie a depuis quelque temps tiré sur la corde. Je pense que l’engagement de la Russie en Syrie constitue un défi délibéré à la Turquie […] et à la capacité de la Turquie à jouer un rôle influent dans la région », a commenté Ian Shields, un ancien pilote militaire britannique expert à la Anglia Ruskin University.