En Syrie, un ramadan des plus sanglants

Un jeune Syrien pleure la mort de six de ses frères et sœurs qui ont été tués dans un attentat à la bombe au cours de combats entre les combattants rebelles et les forces gouvernementales syriennes dans la ville de Raqqa, la seule capitale provinciale aux mains des rebelles, samedi.
Photo: Agence France-Presse (photo) Alice Martins Un jeune Syrien pleure la mort de six de ses frères et sœurs qui ont été tués dans un attentat à la bombe au cours de combats entre les combattants rebelles et les forces gouvernementales syriennes dans la ville de Raqqa, la seule capitale provinciale aux mains des rebelles, samedi.

Avec 4 400 morts, le mois de ramadan qui s’est achevé jeudi aura été l’un des plus sanglants depuis le début du conflit en Syrie, au printemps 2011. La tuerie banalisée se déroule dans le huis clos toujours souhaité par que le régime de Damas, bien aidé par les groupes jihadistes. À coup d’enlèvements de journalistes et de menaces contre les travailleurs humanitaires, ceux-ci ont réussi à éloigner les témoins étrangers, en particulier dans le nord.

 

Tout au long de ce mois, le régime et l’opposition ont marqué tour à tour des points ou encaissé des coups, remporté des victoires ou subit des revers sur le terrain. Tous provisoires, dans cette guerre d’usure asymétrique installée dans la durée. L’épisode final aurait été l’attaque au mortier du convoi de Bachar al-Assad, en plein Damas, alors qu’il se rendait à la mosquée pour la prière de l’Aïd. L’opération, démentie jeudi par le gouvernement syrien, a provoqué la panique dans la capitale, où les habitants ont fêté la fin du mois sacré au son du canon et des armes automatiques. Dernier pied de nez de l’opposition : le chef de la Coalition nationale a pu faire tranquillement sa prière dans une mosquée de Deraa, après avoir franchi clandestinement la frontière jordanienne.

 

Intercap

 

Bachar al-Assad avait des accents triomphants, fin juillet, en félicitant ses troupes qui venaient de reprendre la plus grande partie de Homs. Trois jours après, les brigades rebelles du nord exultaient après la conquête de la base aérienne de Minnigh, près d’Alep. L’aboutissement d’une bataille menée depuis huit mois contre l’aéroport d’où partaient les avions qui pilonnaient toute la région qu’ils contrôlent. Le lendemain, l’opposition était accablée quand plus de soixante de ses combattants sont tombés dans une embuscade tendue par l’armée régulière dans les environs de Damas. Ces derniers jours, l’offensive lancée par rebelles à l’assaut du bastion alaouite dans la région côtière de Lattaquié, approchant Qardaha, village natal des Assad marque une escalade aussi provocante que dangereuse. L’opération ne fait pas l’unanimité même parmi les opposants qui craignent des massacres tant redoutés de villageois alaouites par les extrémistes sunnites.

 

« Son objectif est au contraire de briser le plan de partition du pays par l’établissement d’un état alaouite», selon Abou Ibrahim, nom de guerre d’un chef de brigade rebelle locale, joint par Skype. « Il ne s’agit pas pour nous de conquérir la zone mais surtout de perturber le déploiement de l’armée pour qu’elle dégarnisse ses positions dans le nord. » La division de facto du territoire syrien entre une région centrale et côtière sous le contrôle du régime tandis que le nord, l’est et une partie du sud du pays sont dominés par les rebelles est loin d’être figée. Les lignes de front sont mouvantes et chacun des deux camps syriens gardent l’ambition de contrôler l’ensemble du pays, tout comme leurs alliés internationaux et surtout régionaux.

 

Car dans ce conflit où se joue bien plus que l’avenir d’un système politique en Syrie, les grandes puissances occidentales en particulier ont sous-traité le dossier aux acteurs régionaux. Or l’Iran poursuit une stratégie de domination de tout l’espace entre Téhéran et Beyrouth, dit « croissant chiite », auquel s’opposent les pays sunnites Turquie, Qatar et Arabie Saoudite. Cette dernière a repris depuis plusieurs semaines l’initiative. D’abord en rachetant au Qatar la Coalition nationale syrienne, élargie pour affaiblir la prépondérance des Frères musulmans en son sein et désormais présidée par Mohamad Assi Jarba, membre de la grande tribu des Shammar aux ramifications saoudienne et syrienne. Riyad s’est lancé aussi dans un soutien militaire substantiel au commandement central de l’Armée syrienne libre, avec l’aval de Washington et poursuivit une diplomatie du portefeuille jusqu’en Russie. Le chef des renseignements saoudiens Bandar Bin Sultan s’est rendu chez Poutine à Moscou pour l’inviter à lâcher Assad en échange de contrats d’armement de 15 milliards de dollars et de garanties pour le marché du gaz russe en d’un plus grand rôle dans la région. Offre rejetée par Moscou, d’autant moins prêt à abattre sa carte Assad, qu’il croit sa victoire possible.

 

Diplomatiquement, les dernières tensions entre Russes et américains avec l’affaire Snowden vont peser aussi sur le dossier syrien déjà bien négligé. L’annonce par Kerry et Lavrov vendredi à Washington de leur accord pour réunir une conférence de Genève 2 apparait comme un simple rappel qu’une solution politique n’est pas exclue. Encore faut-il amener les belligérants syriens à la table des négociations. Or Assad affiche sa détermination d’en finir par les armes avec les « terroristes » tandis que l’opposition qui exige son départ comme préalable à toute discussion n’a jamais su convaincre qu’elle pouvait offrir une alternative. Ses divisions et l’incompétence de ses principaux représentants ont servi de prétexte légitime à ses alliés occidentaux tout aussi divisés et hésitants de mesurer leur soutien, notamment militaire.

 

« Les positions du régime comme de l’opposition rendent toute solution militaire ou politique illusoire», conclut le rapport de l’International Crisis Group publié fin juin sur le « Conflit en pleine métastases ». « Les alliés de chacune des parties donnent assez pour les faire tenir mais pas pour s’imposer, faisant durer la guerre par procuration aux dépens des Syriens. » Le schéma actuel devrait se poursuivre ainsi. S’il est un seul point sur lequel s’accordent tous les Syriens dans leurs conversations : c’est que le monde entier veut la destruction du pays et encourage la poursuite des combats entre Syriens.

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