Pas de démocratie sous occupation

La démocratie à coups de bombes et de civils tués par milliers, Malalai Joya n'y croit pas. Le Canada devrait se retirer immédiatement de l'Afghanistan s'il ne veut pas demeurer plus longtemps «le complice des crimes de guerre» commis par les États-Unis.
De passage à Montréal, l'ex-députée afghane a martelé à nouveau son message d'hostilité farouche à l'occupation. «Depuis neuf ans, le Canada a fait partie de la mission de l'OTAN, et en ce sens, il a suivi les mauvaises politiques des États-Unis. Non seulement ils ont participé à un simulacre de démocratie, mais ils ont aussi été complices de crimes de guerre. Ils occupent l'Afghanistan sous le couvert des droits humains, des droits des femmes et de la démocratie, alors qu'en réalité, ils supportent les seigneurs de la guerre», a-t-elle lancé.Malalai Joya entretient un profond ressentiment à l'égard du gouvernement d'Hamid Karzai, qu'elle accuse d'être une marionnette à la solde du crime organisé. «Ce gouvernement n'a aucune légitimité, car il n'a pas pris le pouvoir selon de véritables règles démocratiques.»
En Afghanistan, dit l'adage populaire, l'important n'est pas de savoir qui va voter, mais bien qui va conter les votes, illustre-t-elle. Les dernières élections, en août 2009, ont été entachées par des fraudes massives. Même si les indices pointent en sa direction, le président réélu, M. Karzai, a renvoyé la responsabilité aux États-Unis, aux dirigeants de l'ONU et aux observateurs de l'Union européenne.
La plus courageuse
Dépeinte dans les médias internationaux comme «la femme la plus brave» d'Afghanistan, Malalai Joya a dénoncé l'emprise pernicieuse des «seigneurs de la guerre» sur les affaires du pays dès 2003. Au péril de sa vie.
Sa diatribe sur ces guerriers «misogynes» qui ont pris le pouvoir, candidats idéaux à des poursuites pour crimes de guerre, lui a valu à la fois des menaces de mort et un fort appui populaire dans sa province. En 2007, elle a été expulsée du Parlement après l'avoir comparé à un zoo.
Malalai Joya a survécu à cinq tentatives de meurtre, elle change constamment de résidence, et elle s'est résignée à vivre sous la burka, par souci de sécurité. Elle refuse de plier. Le silence politique est le pire des destins. Elle le craint plus que la mort.
Depuis la publication de son autobiographie, Une femme au milieu des seigneurs de la guerre (cosigné par le Canadien Derrick O'Keefe), elle n'a jamais cessé de pourfendre les criminels associés de près, de beaucoup trop près, au gouvernement Karzai.
Dans le cadre de la deuxième conférence Echenberg, portant sur les droits de la personne et les sociétés diversifiées, à Montréal, elle a secoué l'auditoire en affirmant que la situation des femmes n'avait pas progressé d'un iota depuis la chute du régime taliban, en 2001.
Les jeunes filles risquent encore leur vie, voire leur virginité si elles osent fréquenter l'école, affirme Malalai Joya. Les talibans n'ont pas le monopole des exactions. Tout comme les fondamentalistes, les seigneurs de guerre sont responsables «de crimes contre l'éducation», accuse Joya. «Tant qu'il y aura des seigneurs de guerre, on ne peut s'attendre à aucun changement. Il y a des forces démocratiques en Afghanistan, ce sont elles qu'il faut supporter», a-t-elle lancé.
Droits et paradoxe
La conférence Echenberg, organisée par le Centre sur les droits de la personne et le pluralisme juridique, de l'Université McGill, démontre à quel point l'avancée des droits de la personne est complexe. Les frontières disparaissent, la planète se transforme en une boule de cristal sous l'impulsion de la révolution numérique. Détresse, misère, opulence: les injustices ne peuvent plus passer inaperçues. Et pourtant, elles se perpétuent.
Esquissée sur les ruines de l'après-guerre, l'architecture des droits de la personne se heurte au mur de la différenciation. Même leur caractère séculaire est remis en question, a souligné Ranabir Samaddar, directeur du Centre de recherche sur les réfugiés de Calcutta, en Inde. Cet idéal est moins séculaire qu'il n'y paraît, a-t-il rappelé. Il trempe dans les relents du catholicisme et de ses valeurs humanistes telles que distillées par les grands philosophes du XVIIIe siècle. Les revendications autour des droits de la personne ne peuvent être envisagées en faisant abstraction de contextes nationaux. Or, l'héritage chrétien ne passe pas nécessairement comme une lettre à la poste à l'est de Constantinople.
François Crépeau, président de la conférence, ne voit pas dans ce débat un frein à l'expansion des droits de la personne. «Il y a un héritage chrétien très net dans la définition des droits de l'homme. Mais ça ne veut pas dire qu'ils n'ont pas une portée universelle. D'autres traditions peuvent se les réapproprier à leur manière», estime-t-il.
Les droits, aussi fondamentaux soient-ils, font l'objet d'une constante réinterprétation. François Crépeau cite en exemple notre propre réalité. «Il y a 25 ans, la violence familiale n'était pas un problème de droits de la personne. Le sort des gais et lesbiennes non plus, illustre-t-il. C'est parce qu'il y a cette différenciation que les droits de l'homme sont universels. Dans les droits de l'homme, il y a le droit à la différence. Toute la diversité humaine y est exprimée. Elle est considérée comme une richesse à préserver.»