Yémen : le pays de tous les dangers
Le Yémen est déjà en proie à une guerre civile larvée au nord, à un mouvement séparatiste au sud, à des tribus tentées de temps à autre par l'irrédentisme. Mais ces trois maux risquent de passer bien après un quatrième, le terrorisme inspiré par al-Qaïda, qui a frappé mercredi, une nouvelle fois et à deux reprises la capitale yéménite.
Un Français travaillant pour le groupe énergétique autrichien OMV a été tué et un employé britannique gravement blessé par un garde de sécurité qui a tiré sur eux au siège de la compagnie, dans la banlieue de Sanaa. L'agresseur, un islamiste de 19 ans, a ouvert le feu en criant «Allah ou akbar» (Dieu est grand) avant d'être arrêté. Dans le même temps, un tir de roquette a visé une voiture blindée de l'ambassade de Grande-Bretagne, qui transportait cinq membres de la chancellerie, blessant l'un d'eux. Deux passants ont aussi été touchés. Il s'agit du deuxième attentat perpétré contre des représentants de l'ambassade britannique en six mois.La situation intérieure du Yémen continue-t-elle de s'aggraver? À l'évidence, oui, en dépit de la détermination affichée de Sanaa de lutter contre les réseaux Ben Laden. Ces deux attaques ont d'ailleurs coïncidé avec la visite du directeur politique du département d'État américain, William Burns, venu assurer au président Ali Abdallah Saleh que Washington était engagé à «aider le Yémen à affronter les défis de sécurité posés par al-Qaïda». Fin septembre, le ministre britannique des Affaires étrangères, William Hague, avait souligné que le Yémen allait se révéler un «très grand danger» si la communauté internationale n'empêchait pas son effondrement. Ces deux attentats s'ajoutent à une longue liste d'opérations antioccidentales contre des objectifs militaires et civils depuis 2000. Mais cette branche yéménite, appelée «al-Qaïda dans la Péninsule arabique» (AQPA), a aussi multiplié ces derniers mois ses attaques sanglantes contre les forces de sécurité dans l'est et le sud-est. En janvier 2010, le Yémen a déclaré une guerre ouverte à l'AQPA qui avait revendiqué la tentative avortée d'un jeune Nigérian de faire exploser un avion américain. D'où une série de raids aériens qui se sont révélés surtout meurtriers pour la population.
La fusion
L'AQPA résulte de la fusion, en 2009, des branches d'al-Qaïda au Yémen et en Arabie saoudite. Cette dernière était devenue nécessaire après l'écrasement de la composante saoudienne sous les coups de la police secrète du Royaume à partir de 2006. En revanche, la branche yéménite a pu se développer, profitant du chaos qui règne dans le pays. En octobre 2000, soit un an avant les attentats du 11 septembre, elle avait déjà organisé une audacieuse opération contre le destroyer USS Cole, en mouillage à Aden, tuant 17 marins. Aujourd'hui, l'AQPA est dirigée par Nasser al-Wahayshi, qui fut un proche d'Oussama ben Laden. Le père et la famille de l'homme le plus recherché du monde sont d'ailleurs originaires de la province de l'Hadramaout, dans l'ancien Yémen du Sud.
Depuis fin 2009, les États-Unis considèrent que le Yémen est l'un des foyers les plus actifs du terrorisme islamiste. Il a fallu la tentative ratée d'attentat du 25 décembre contre le vol Amsterdam-Detroit, précédée de peu par l'attaque d'un médecin militaire d'origine arabe sur la base de Fort Hood au Texas. Ce dernier avait été inspiré par l'imam Anouar al-Awlaqi, réfugié dans un endroit inconnu au Yémen. Mais combattre al-Qaïda n'est pas aisé. D'où le dilemme de l'administration Obama: le régime d'Ali Abdallah Saleh n'inspire pas confiance, mais s'engager à sa place n'aboutirait qu'à ouvrir un front de plus, après l'Afghanistan et l'Irak. Avec le risque d'aggraver le problème plutôt que le régler. À Washington, deux options, l'une maximale l'autre minimale, s'affrontent, incarnées respectivement par le Pentagone et la CIA. Le premier prône une aide américaine massive — militaire et économique — à l'État yéménite complètement défaillant. Avec le risque que le président Saleh détourne cette aide à son profit, notamment pour combattre les tribus chiites entrées en dissidence au Nord et les séparatistes du Sud. Déjà, 75 officiers des forces spéciales américaines entraînent l'armée yéménite. La CIA, soutenue par le département d'État, plaide pour une approche plus modeste, limitée à la seule lutte antiterroriste, à l'aide de drones et de commandos spéciaux. Suffisante pour contenir les 500 à 600 combattants d'AQPA, mais pas forcément pour redresser un pays en plein naufrage.