La colère gronde contre l'Autorité palestinienne - Les Arabes israéliens sont sous le choc

Jérusalem— Parmi les villes palestiniennes, c'est sans doute dans la petite ville mixte judéo-arabe de Sakhnine, célèbre pour son équipe de football qui remporta en 2004 la coupe d'Israël et dont les joueurs arabes se font régulièrement menacer de mort par les supporters d'extrême droite du Bethar de Jérusalem, que l'on a le plus manifesté. Sans doute n'y-a-t-il pas eu les 150 000 personnes, qu'ont comptées certains témoins, pour défiler le 3 janvier contre «les massacres de Gaza». Néanmoins, selon les observateurs, il y en a eu beaucoup plus que dans les villes de Cisjordanie, comme Ramallah — environ 15 000 — ou Naplouse.
Les manifestants de Sakhnine ont brandi à la fois des drapeaux palestiniens et des bannières noires, couleur du deuil en islam. Ils ont écouté Jamal Zahalka, un député arabe de la Knesset, qui a demandé que Éhoud Olmert, le ministre de la Défense, Éhoud Barak, et le chef d'état-major des armées, Gabi Ashkenazi, soient jugés «pour leur rôle dans la tuerie des civils de la bande de Gaza». Le même jour, des milliers d'autres Arabes israéliens se réunissaient sur le square Rabin, à Tel-Aviv, un lieu hautement symbolique, aux cris de «Barak, Barak, combien d'enfants as-tu tué aujourd'hui?». Même si, au final, les manifestations ont été assez peu nombreuses, la tragédie de Gaza a été un choc pour une population toujours partagée entre deux identités: l'arabe — la «palestinienne», préfère-t-elle dire — et l'israélienne.«Je crois que Gaza a encore davantage affecté les Palestiniens qui vivent en Israël que ceux de Cisjordanie. En tout cas, elle les a rapprochés», estime à Ramallah Moustapha Barghouthi, un député du Conseil législatif palestinien et secrétaire général de l'Initiative nationale, un petit parti qui propose une troisième voix entre le Hamas et le Fatah. À présent, Palestiniens de «l'intérieur», c'est-à-dire d'Israël, et de Cisjordanie se retrouvent dans la même rage à l'égard de Mahmoud Abbas, le président de l'Autorité palestinienne. «Il est coupable, coupable d'avoir qualifié le Hamas de mouvement terroriste, ce qui a donné toute légitimité à l'armée israélienne pour attaquer Gaza», insiste Aouni Zobi, 52 ans, expert en risques pour une compagnie d'assurances de Jérusalem. D'un bout à l'autre de la Cisjordanie, on dit à peu près la même chose: «Abbas a perdu toute crédibilité par ses déclarations. Il n'est plus que le chef d'une agence humanitaire qui ravitaille la population palestinienne. Il doit partir le plus vite possible», dit en contrepoint Barghouthi. Les deux hommes sont aussi d'accord pour condamner, au-delà de Mahmoud Abbas, toute l'Autorité palestinienne.
«On le voit aujourd'hui avec Gaza combien elle n'aura fait qu'affaiblir la position des Palestiniens de l'intérieur [d'Israël]. Elle n'a jamais rien fait pour les intérêts palestiniens alors que nous, les Arabes israéliens, attendions beaucoup d'elle pour renforcer notre position à l'intérieur d'Israël.», insiste Zobi qui regarde pourtant encore l'OLP de feu Yasser Arafat comme un idéal. Dans l'attaque sur Gaza, ce qui frappe aussi ce père de quatre enfants, c'est que cette fois Israël a «engagé une vraie guerre, avec tous moyens que l'on met dans une vraie guerre contre le peuple palestinien». «Ce n'est pas comme l'intifada d'octobre 2000. Là, il s'agissait d'affrontements violents avec la police comme ceux de Nazareth [la police israélienne avait alors tiré sur les manifestants, faisant 11 morts]. Là, on a eu plus de 600 tué en 10 jours». À plus ou moins long terme, Zobi pense que la tragédie de Gaza «affectera d'une manière ou d'une autre tous les Palestiniens, ceux d'ici comme ceux de la diaspora ». Barghouthi croit même qu'elle va provoquer «la mort du vieux mouvement national palestinien», tiré un trait définitif sur les accords d'Oslo et permettre «la naissance d'une nouvelle unité palestinienne» des deux côtés de la «ligne verte», la frontière entre Israël et la Cisjordanie.
D'ores et déjà, à la Knesset, les députés arabes israéliens, souvent divisés, font preuve depuis le début des opérations sur Gaza, d'une unité sans faille.