Pour garder la tête hors de l'eau
Trois semaines après la conférence d'Annapolis, les donateurs internationaux se sont montrés généreux envers l'Autorité palestinienne (AP) lundi, promettant de lui verser environ 7,4 milliards de dollars au cours des trois prochaines années, soit presque autant que toute l'aide obtenue par ce proto-État depuis sa création en 1994.
Réunie à Paris, la conférence des donateurs se voulait une suite économique à celle, plus politique, qui avait eu lieu en banlieue de Washington, au cours de laquelle les participants s'étaient fixé comme objectif de faire naître un État palestinien d'ici la fin de 2008.L'amélioration des conditions de vie des 3,8 millions de Palestiniens vivant dans les territoires occupés est vue comme un préalable à la venue au monde de cet État, qui paraît encore incertaine quatorze ans après les accords d'Oslo mais que le président américain George W. Bush aimerait bien laisser en héritage au moment de quitter la Maison-Blanche.
En même temps, une reprise de l'économie palestinienne ne semble possible que si l'État d'Israël assouplit sans tarder les conditions d'une occupation qui dure depuis quarante ans. C'est la poule qui précède l'oeuf qui précède la poule...
Si les donateurs — Union européenne, États-Unis, Royaume-Uni et Arabie saoudite en tête — ont promis 1,8 milliard de plus que ce que l'Autorité palestinienne réclamait, c'est parce qu'ils ont compris qu'il y va de la survie de cette entité et de la survie politique de son président, Mahmoud Abbas.
Environ 70 % de l'aide promise cette semaine devrait être consacrée au budget de fonctionnement de l'AP, dont les revenus autonomes ont commencé à chuter à partir de 2000, parce que l'économie a été plombée par la violence, les entraves à la circulation, le morcellement du territoire et les dissensions politiques internes.
Les 30 % restants seront surtout consacrés à la création d'institutions, à la construction d'infrastructures et au développement de parcs industriels.
«Le but est d'abord de ne pas voir Mahmoud Abbas et l'Autorité palestinienne faire faillite, et ensuite de garder la tête des Palestiniens hors de l'eau», fait remarquer le politologue Sami Aoun, de l'Université de Sherbrooke.
«C'est une bouffée d'oxygène, mais pas plus. C'est une façon de signifier son appui à Abbas pour qu'il continue dans le processus de paix et de répondre à l'argent qui transite de l'Iran, du Qatar ou des Émirats arabes unis vers le Hamas. Mais les conditions actuelles ne permettent pas de créer une économie moderne», ajoute-t-il.
Afin de recevoir la manne des pays riches, l'Autorité palestinienne a dû se doter d'un plan triennal «de réforme et de développement», qui a reçu la bénédiction de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, deux institutions pour lesquelles son auteur, l'actuel premier ministre Salam Fayyad, a déjà travaillé.
Ingénieur et détenteur d'un doctorat en économie de l'Université du Texas à Austin, M. Fayyad est considéré comme un réformateur qui s'est attaqué à la corruption à titre de ministre des Finances de 2002 à 2005. Il a retrouvé ce poste dans le gouvernement d'union nationale formé à la suite d'une entente entre le Fatah de Mahmoud Abbas et le Hamas en mars 2007, avant d'être nommé premier ministre du nouveau gouvernement formé après la prise de contrôle de la bande de Gaza par le Hamas en juin.
Issu d'un petit parti centriste, n'appartenant donc ni au Fatah ni au Hamas, Salam Fayyad a mis de l'ordre dans les comptes publics. Il a, entre autres, mis fin aux versements de soldes en liquide aux membres des services de sécurité et commencé à réduire une fonction publique devenue pléthorique.
L'Autorité palestinienne a en effet multiplié les emplois gouvernementaux, notamment dans les services de sécurité, afin de compenser les pertes d'emplois dans le secteur privé.
Ce gonflement de la fonction publique pèse lourd sur les finances de l'Autorité palestinienne, dont plus de la moitié du budget est consacré aux salaires.
Après les accords d'Oslo, l'économie palestinienne avait connu des taux de croissance annuels de plus de 8 % entre 1995 et 1999. Mais depuis le déclenchement de la seconde intifada, en septembre 2000, l'activité économique dans les territoires palestiniens a été profondément affectée par l'explosion de la violence, par les fréquents bouclages des territoires et par la multiplication de «checkpoints» et autres obstacles à la circulation. Or l'économie palestinienne, basée sur l'agriculture et les petites entreprises, est totalement dépendante d'Israël pour ses importations comme pour ses exportations.
Selon un récent rapport de la Banque mondiale, le nombre de Palestiniens travaillant en Israël ou dans les colonies de peuplement juives est par ailleurs passé de 116 000 en 2000 à 64 000 cette année.
Le PIB des territoires devrait atteindre cette année environ 3,9 milliards, soit 14 % de moins qu'en 1999. En raison de la forte croissance démographique, le PIB par habitant, lui, a reculé de 40 %. Le taux de chômage s'établit actuellement à 19 % en Cisjordanie et à 33 % dans la bande de Gaza, dont au moins 35 % de la population vit dans une «profonde pauvreté», selon la Banque mondiale.
À deux reprises (soit au début de la seconde intifada en 2000 et après la victoire du Hamas aux élections législatives de 2006), l'État d'Israël a retenu pendant plusieurs mois les revenus douaniers perçus pour le compte des Palestiniens. À cette dernière occasion, les pays occidentaux ont également suspendu leur aide à l'Autorité palestinienne.
Selon la Banque mondiale, si les objectifs du plan de réforme et de développement de Salam Fayyad se réalisent, «cela conduira à une modeste croissance, de l'ordre de 5 % par année, ce qui — étant donné la croissance démographique et la répartition des revenus — aura peu d'impact sur le taux de pauvreté».
Pour atteindre ce taux de croissance de 5 %, il faudra, selon la BM, que la communauté internationale comble le déficit budgétaire de l'Autorité palestinienne pendant trois ans et que l'État d'Israël rétablisse la liberté de mouvement pour les Palestiniens. Si cette dernière condition n'est pas remplie, la Banque mondiale prédit plutôt un recul de 2 %.
Quelques heures après la conférence de Paris, des raids israéliens ont visé des chefs des deux principaux mouvements islamistes dans la bande de Gaza, d'où les roquettes Qassam continuent d'être tirées sur la ville israélienne de Sderot.