La guerre en Ukraine déborde en Russie
Les affrontements en Ukraine ont débordé pour la première fois du côté de la Russie cette semaine. Des groupes paramilitaires ont semé la confusion en capturant momentanément une poignée de villages russes au nom d’une « Russie libre ». Kiev a eu tôt fait de se distancier de cette opération militaire spectaculaire menée par des milices d’extrême droite.
Les journalistes étaient conviés mercredi à une conférence de presse pour le moins inusitée dans le nord de l’Ukraine. Des dizaines de microphones se sont tendus vers les porte-parole de deux bataillons russes : la « légion Liberté pour la Russie » et le « Corps des volontaires russes ». Tous deux se sont enorgueillis du « succès » d’une opération conjointe visant à « libérer » la Russie du joug de Vladimir Poutine.
"White Rex" from "Russian Volunteer Corps" and "Caesar" from "Freedom for Russia Legion" gave an interview to more than 100 media representatives from Ukraine and the West in an undisclosed area near the border.
— Anton Gerashchenko (@Gerashchenko_en) May 24, 2023
They stated that their organizations will continue liberating… pic.twitter.com/Xt0Td6vkOU
Cette fanfaronnade repose sur peu de faits avérés. Quelques brèves vidéos montrant des véhicules blindés qui sont surmontés de leur drapeau et qui roulent prétendument en territoire russe ont circulé sur Internet, de même que des photos où des soldats sont posés avec les panneaux marquant la frontière russo-ukrainienne.
Cette tentative de déstabilisation a tout de même eu l’effet d’alerter les autorités russes. Ces derniers ont exprimé leur « profonde préoccupation » à l’égard de ce soulèvement pour ensuite, quelques jours plus tard, qualifier le tout de « situation normale ».
« Quelque 70 terroristes ukrainiens ont été éliminés. Selon les dernières données, aucun civil n’a été tué à la suite des actions du groupe de sabotage et 12 personnes ont été blessées », a précisé le Kremlin dans un communiqué.
Il est « hautement probable » que trois villages russes aient été temporairement occupés, selon une note publique du renseignement britannique.
Qu’importe, le mal était fait dans cet « effort pour discréditer le gouvernement russe en montrant qu’il est incapable de défendre son territoire », observe le spécialiste de la question militaire russe à l’Université d’Ottawa Paul Robinson. Car, « militairement, [cette capture momentanée] n’est pas importante ».

Il y avait là une « bombe informationnelle » qui a détoné comme prévu, s’est félicité le chef de la légion Liberté pour la Russie, qui se présente sous le nom de « Caesar ».
Des explosions secouent régulièrement les régions frontalières russes depuis le début de la guerre, mais il s’agit d’une première incursion de soldats pro-ukrainiens en Russie.
L’appui de la population russe à ces groupuscules demeurera néanmoins « minimal, si petit qu’il ne constitue pas statistiquement une partie mesurable », souligne Paul Robinson, auteur de l’ouvrage Le conservatisme en Russie.
Des groupes d’extrême droite
Kiev s’est rapidement détaché de cette opération menée par des citoyens russes. « L’Ukraine regarde avec intérêt les événements dans la région de Belgorod, en Russie, et étudie la situation. Cependant, elle n’a aucun lien direct avec eux », a gazouillé Mykhaïlo Podoliak, un conseiller du président Volodymyr Zelensky, dès les premières heures de l’incursion.
Ces soldats armés jusqu’aux dents ont pourtant reçu de l’aide des Ukrainiens, a admis le porte-parole de la légion Liberté pour la Russie. L’armée jaune et bleu aurait ainsi fourni des « armes légères, des armes d’artillerie, des véhicules lourds, tout ce dont [ils avaient] besoin ».
Des photos de véhicules blindés américains enlisés lors de cette expédition ont par ailleurs été publiées par le côté russe, sans que leur authenticité ait pu être démontrée. Si l’Ukraine a reçu plus de 500 blindés de la part de Washington, « Caesar » a assuré avoir acheté ceux-là « dans des magasins de guerre ».
L’état-major américain insiste depuis toujours pour dire que ses armes ne doivent pas servir en territoire russe. Un porte-parole américain a mercredi affiché son « scepticisme » par rapport à ces images.

D’autant plus que l’idéologie néonazie traverse ces groupes paramilitaires. Les membres de la légion Liberté pour la Russie « s’ennuient de l’ère tsariste qui a précédé l’Union soviétique » tout en étant « conservateurs et traditionalistes de droite », a répondu son porte-parole à la presse. Un reportage de 2018 du Guardian sur l’autre leader, Denis Kapustin (connu aussi sous le nom de Denis Nikitin), l’avait qualifié de « néonazi russe qui prétend avoir gardé une fois une photographie encadrée de Joseph Goebbels dans sa chambre ».
L’exposition de ces chefs de guerre aux caméras du monde tombe comme une arme à double tranchant pour les Ukrainiens, fait remarquer Paul Robinson. « D’un côté, ça peut miner la crédibilité du gouvernement [russe], mais d’un autre côté, ça peut avoir l’effet de justifier la propagande d’État qui dit que les Ukrainiens sont des néonazis. »
Tandis que l’armée russe anticipe une large riposte ukrainienne, créer la diversion constitue un autre objectif « réussi », a avoué avec un sourire en coin « Caesar » en conférence de presse, tout en promettant de recommencer.
Avec l’Agence France-Presse
Des armes nucléaires en Biélorussie
La Russie met ses menaces à exécution et a commencé à livrer des ogives nucléaires en Biélorussie, voisin de l’Union européenne, a affirmé jeudi le président Alexandre Loukachenko, au moment où l’armée russe est en situation délicate en Ukraine dans l’attente d’une contre-offensive imminente des forces ukrainiennes.
M. Loukachenko, qui était à Moscou jeudi pour un sommet régional, n’était pas en mesure d’indiquer si les armes en question étaient déjà dans son pays, mais a expliqué que son homologue russe, Vladimir Poutine, qui avait brandi cette menace en mars, lui avait dit la veille avoir signé le décret permettant le transfert.
« Le transfert des charges nucléaires a commencé », a déclaré M. Loukachenko dans une vidéo diffusée sur Telegram.
La Russie, de son côté, n’a fait dans l’immédiat aucun commentaire. L’annonce avait été dénoncée à hauts cris par la communauté internationale, les Occidentaux en particulier, d’autant que le dirigeant russe a, depuis le début de son assaut contre son voisin ukrainien en février 2022, évoqué la possibilité d’un recours à l’arme atomique.
Agence France-Presse