La petite histoire d’un couronnement

La princesse Élisabeth II, au centre, âgée de 11 ans, apparaît sur le balcon du palais de Buckingham après le couronnement de son père, le roi George VI, à droite. À gauche se trouve sa mère, la reine consort Elisabeth, et à droite en avant, sa sœur, la princesse Margaret.
Photo: Archives Associated Press La princesse Élisabeth II, au centre, âgée de 11 ans, apparaît sur le balcon du palais de Buckingham après le couronnement de son père, le roi George VI, à droite. À gauche se trouve sa mère, la reine consort Elisabeth, et à droite en avant, sa sœur, la princesse Margaret.

Très attendu par les uns, boudé par les autres, le couronnement de Charles III fait déjà couler beaucoup d’encre. Des célébrations sont organisées à travers le Commonwealth, et des centaines de milliers de personnes sont attendues à Londres samedi pour l’occasion. L’événement coûtera aussi plus de 100 millions de livres sterling (170 millions de dollars) aux contribuables britanniques. Le Devoir s’est donc demandé : à quoi sert vraiment un couronnement ? Et d’où vient cette tradition ?

Des experts estiment que ces événements grandioses représentent d’importants jalons historiques, essentiellement symboliques, certes, mais qui influent néanmoins sur la perception qu’ont les sujets britanniques de leur souverain.

Les couronnements sont-ils des vecteurs de changements sociaux ou politiques pour autant ? Laurent Colantonio, professeur d’histoire à l’Université du Québec à Montréal, spécialiste de la monarchie, est très clair : « Je pense qu’aujourd’hui, ils ne changent rien. »

Ils s’inscrivent plutôt, selon lui, dans un ensemble de « rituels monarchiques » qui « rechargent le pouvoir d’identification à la couronne et à l’identité britanniques ».

Pour mieux comprendre pourquoi le Royaume-Uni maintient cette pratique millénaire, il convient donc de remonter à ses débuts.

Les origines anglo-saxonnes

Plusieurs ouvrages rapportent que c’est le couronnement du roi Edgar « le Pacifique » à l’abbaye Saint-Pierre de Bath, en 973, qui a jeté les bases des cérémonies telles qu’on les connaît aujourd’hui. Inspiré d’autres rites qui avaient lieu ailleurs en Europe, comme chez les Francs, celui-ci a été mené par son fidèle conseiller, saint Dunstan de Cantorbéry.

Dès lors, le couronnement ne marque pas concrètement le début du règne du souverain, qui correspond plutôt à la mort de son prédécesseur. Célébrée par l’archevêque de Cantorbéry, le chef de l’Église d’Angleterre, la cérémonie permet surtout au souverain de se présenter à son peuple et de prêter serment aux lois anglicanes.

Depuis 1066, tous les couronnements britanniques ont lieu à l’abbaye de Westminster, là où Charles III prêtera lui aussi serment samedi.

Photo: Archives Associated Press Le 12 mai 1937, le roi George VI a été couronné à l'abbaye de Westminster. Après son couronnement, il est monté sur le trône et, fidèles à la tradition, évêques et pairs du royaume ont défilé pour lui rendre hommageen touchant sa couronne ou en embrassant sa joue gauche.

La révolution industrielle et la reine Victoria

Pour M. Colantonio, le couronnement de la reine Victoria en 1838 représente un tournant. « D’importantes réformes adoptées à l’époque font en sorte que la reine n’a presque plus de pouvoir politique. Mais elle demeure la clef de voûte de la monarchie parlementaire. L’événement symbolise son rôle en tant que représentante de l’unité et de l’identité britanniques, de la Britishness . »

Ce couronnement marque également, selon le professeur, un changement de ton par rapport aux précédents. La souveraine, qui n’avait que 25 ans lors de son accession au trône, jouissait d’une popularité « sans précédent » par rapport aux rois d’avant, « plus vieux et mal-aimés ». En outre, l’opulente cérémonie atteste plus que jamais, ajoute-t-il, « de la puissance impériale de l’Angleterre ». « C’est l’époque où le patriotisme se rattache [le plus] à l’Empire. »

On raconte que 400 000 personnes se sont rassemblées dans les rues de Londres pour l’occasion. Un record rendu possible par des trains issus de la révolution industrielle, dont l’Angleterre fut l’un des principaux berceaux.

Damien-Claude Bélanger, professeur d’histoire à l’Université d’Ottawa et spécialiste du rapport des Canadiens à la monarchie, précise que le règne de Victoria a été marqué par différents événements du genre qui ont solidifié son capital de sympathie auprès d’une certaine frange loyaliste de la population canadienne-française. « Des dirigeants comme Wilfrid Laurier ont été invités à son jubilé de diamant en 1897. Fait chevalier, il est ensuite venu au couronnement d’Édouard VII. Ces gens-là étaient attachés à la monarchie », et les processions royales étaient largement médiatisées ici aussi, dit-il.

La reine Élisabeth II à la télévision

Ceux qui ont suivi la série The Crown le savent : le couronnement d’Élisabeth II en 1953 a également marqué les esprits, parce qu’il devient le tout premier à être télédiffusé et radiodiffusé à travers le monde. La cérémonie laisse ainsi présager un vent de renouveau sur l’Empire, qui se remet péniblement de la Seconde Guerre mondiale.

Photo: Intercontinentale archives Agence France-Presse Le carosse royal de la reine Élisabeth II se dirige vers l'abbaye de Westminster, le 2 juin 1953, lors de la cérémonie de son couronnement.
Photo: Archives Associated Press La reine Élisabeth II, assise sur le trône, reçoit le serment de fidélité de l'archevêque de Canterbury, de l'évêque de Durham et de l'évêque de Bath et Wells, lors de son couronnement à l'abbaye de Westminster, à Londres, 16 ans après celui de son père.

« Au moment où elle est couronnée, la reine est la cheffe du Commonwealth. Malgré la décolonisation qui a déjà commencé, elle demeure à la tête d’une dizaine d’États et doit [convaincre] la population de la pertinence de cet étrange concept qu’est le Commonwealth », raconte M. Colantonio. C’est entre autres pourquoi Élisabeth II déclare alors : « Toute ma vie sera consacrée au service de la grande famille impériale à laquelle nous appartenons tous. »

Quel avenir pour Charles III ?

C’est la question qui est sur toutes les lèvres, le roi traversant une période difficile pour la monarchie, marquée par les sorties publiques sulfureuses du prince Harry et une désaffection généralisée du grand public.

M. Bélanger note d’ailleurs une différence notable par rapport au contexte dans lequel la mère de Charles III a été proclamée reine, 70 ans plus tôt : à l’époque, le nationalisme et l’indépendantisme québécois n’inspiraient pas forcément de velléités antimonarchiques. « Maurice Duplessis, qui incarnait un certain nationalisme, a célébré le couronnement en 1953, tandis qu’aujourd’hui, le mouvement indépendantiste est implicitement républicain. »

Nationalistes ou pas, souverainistes ou pas, les Québécois sont par contre aujourd’hui majoritairement indifférents au roi et à son couronnement, explique-t-il.

M. Colantonio rappelle quant à lui que le rôle social de l’événement a beaucoup changé. Plutôt que de personnifier la « sacralité » du pouvoir, il représente une occasion pour les sujets britanniques de se rapprocher « de l’idée de la monarchie, de la célébrité de la famille royale ». « Le pouvoir d’attraction médiatique propre à notre époque est-il aussi fort que le pouvoir symbolique de la reine Victoria ? Probablement pas. Et le couronnement de Charles III va-t-il vraiment marquer les esprits ? Cela reste à voir. »

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