Dix ans après le Québec, l’aide médicale à mourir déchire la France

Une décennie après le Québec et vingt ans après la Belgique, la France s’apprête à ouvrir le débat sur l’euthanasie active. Ce qu’on appelle au Québec l’« aide médicale à mourir » n’avait fait jusqu’ici l’objet d’aucune loi en France, contrairement aux Pays-Bas, à la Suisse, à la Belgique ou à l’Espagne. Lundi, le président Emmanuel Macron a, pour la première fois, rompu ce qui faisait jusque-là l’objet d’un consensus en annonçant qu’une loi sur la « fin de vie » serait présentée à l’Assemblée nationale d’ici la fin de l’été.
Cela fait déjà plusieurs mois que le débat fait rage. De nombreuses personnalités se sont même lancées dans la bataille. Dans L’Obs, les écrivaines Annie Ernaux et Laure Adler, la députée de la gauche radicale (LFI) Clémentine Autain et l’ancienne ministre socialiste Najat Vallaud-Belkacem ont pris publiquement position en faveur de l’euthanasie. À l’opposé, dans un article du Harper’s Magazine, traduit par Le Figaro, l’écrivain Michel Houellebecq a comparé cette pratique au roman de science-fiction de Harry Harrison qui inspira le film de Richard Fleischer intitulé Soleil vert. « Abréger indûment l’agonie est à la fois impie (pour ceux que ça concerne) et immoral (pour tout le monde) : voilà ce qu’ont pensé toutes les civilisations, les religions, les cultures qui nous ont précédées ; voilà ce qu’un prétendu progressisme s’apprête à détruire », écrit-il.
Convention citoyenne
Lundi, Emmanuel Macron recevait à l’Élysée les membres de la convention citoyenne qu’il avait lui-même créée en septembre dernier afin de réfléchir à la question et présenter des propositions au gouvernement. Très critiquée par les opposants à l’euthanasie active, cette convention a réuni 184 membres, dont la majorité tirés au sort, afin de répondre à cette question générale : « Le cadre d’accompagnement de la fin de vie est-il adapté aux différentes situations rencontrées ou d’éventuels changements devraient-ils être introduits ? »
Nous avons fait des lois pour les gens qui vont mourir. Maintenant, on essaie de faire des lois pour les gens qui veulent mourir.
C’est la société d’études et de sondages Harris Interactive qui a sélectionné 150 des 184 membres de la convention censés représenter la société française selon l’âge, le sexe, la région et les catégories socioprofessionnelles. Après s’être réunis neuf week-ends de trois jours, 75 % des membres se sont prononcés en faveur d’une « aide médicale à mourir » qui pourrait aller du suicide assisté (qui consiste, comme on le fait en Suisse, à fournir un cocktail mortel au candidat qui se l’administre lui-même) à une injection mortelle administrée par un médecin. Un membre sur quatre du comité n’a pas souhaité modifier les lois actuelles, privilégiant plutôt leur application pleine et entière par la généralisation des soins palliatifs.
Évoquant « un nouveau modèle français », Emmanuel Macron a mis l’accent sur les digues nécessaires à une telle modification de la loi comme l’expression d’une « volonté libre et éclairée », l’« incurabilité » et l’existence de « souffrances réfractaires psychiques et physiques ». Selon lui, jamais une aide active à mourir ne pourra « être réalisée pour un motif social, pour répondre à l’isolement qui, parfois, peut culpabiliser un malade qui se sait condamné à terme et voudrait, en hâte, programmer l’issue afin de ne pas être une charge pour les siens et pour la société ». Le président exclut l’ouverture d’une telle possibilité aux mineurs et souhaite garantir une clause de conscience aux médecins. Rien n’indique pour l’instant si la loi qui sera déposée au Parlement permettra de formuler des demandes anticipées en cas de « maladie grave et incurable menant à l’inaptitude », comme celle qui se discute actuellement à l’assemblée nationale du Québec.
La loi Léonetti
Ce n’est pas d’hier qu’Emmanuel Macron manifeste son intention de légaliser l’euthanasie. Le 2 septembre dernier, il avait publiquement déclaré son soutien à la comédienne Line Renaud, qui milite depuis longtemps en ce sens, en affirmant que « ça allait changer ». En décembre, le gouvernement a même confié à une commission présidée par l’académicien Erik Orsenna la rédaction d’un petit lexique sur les mots de la fin de vie afin de trouver des synonymes à « euthanasie ». Une commande qualifiée d’orwellienne par certains membres de l’opposition.
Si la France a mis tout ce temps à emboîter le pas à la Belgique et aux Pays-Bas, c’est parce qu’un fort consensus régnait depuis l’adoption à l’unanimité, en 2005, par l’Assemblée nationale de la loi dite Léonetti « relative aux droits des malades et à la fin de vie ». Adoptée au moment où le débat faisait rage en Belgique, la loi française se refusait à franchir la ligne rouge consistant à donner la mort à un patient. Amendée en 2016 pour en clarifier les objectifs, elle « se donne un objectif ambitieux : supprimer la souffrance même si cette action peut entraîner la mort », nous avait alors confié son auteur, Jean Léonetti. En pratique, la loi reconnaît le droit du patient de refuser tout traitement et donne l’obligation au soignant de supprimer la souffrance quitte, par « une sédation prolongée et continue », à plonger le malade dans un coma profond qui entraînerait la mort.

« Nous avons fait des lois pour les gens qui vont mourir. Maintenant, on essaie de faire des lois pour les gens qui veulent mourir », a récemment déclaré Jean Léonetti sur la Radio chrétienne francophone. En annonçant le dépôt d’une nouvelle loi, le président a aussi annoncé « un plan décennal national pour les soins palliatifs et la prise en charge de la douleur ». Le rapport de la convention propose à ce titre 67 mesures à mettre en oeuvre sans tarder. Alors que 26 départements n’ont toujours pas d’unités de soins palliatifs, Emmanuel Macron dit vouloir assurer « un accès effectif aux soins d’accompagnement à la fin de vie », comme le demandent unanimement les membres de la convention.
Pour plusieurs, le changement de position s’est joué en 2016 alors qu’en toute fin de mandat, François Hollande a nommé l’immunologue François Delfraissy, partisan reconnu de l’euthanasie, à la présidence du Comité consultatif national d’éthique qui y était, jusque-là, opposé. Delfraissy a d’ailleurs joué un rôle non négligeable au sein de la convention citoyenne.
Le Parlement divisé
Même si personne ne sait encore ce que contiendra concrètement le projet de loi, le débat s’annonce explosif. En février, 13 associations regroupant plus de 800 000 soignants avaient affirmé dans une tribune qu’« une telle légalisation [de l’aide active à mourir] conduirait inévitablement le législateur à subvertir la notion même de soin telle qu’elle est communément admise aujourd’hui ». Selon les signataires, « la mort n’est pas un soin ». Dix jours plus tôt, dans Le Monde, 500 professionnels de la santé avaient publié une tribune contraire affirmant que « l’aide médicale à mourir est un soin lorsque nous sommes face à une maladie grave et incurable, amenant des douleurs physiques ou psychiques intolérables ».
Plusieurs ont accusé Emmanuel Macron de brandir le débat sur l’euthanasie afin de détourner l’attention de celui contre la réforme des retraites qui se poursuit malgré l’adoption de la loi. Le président a beau appeler à une attitude « transpartisane » et à une « oeuvre de co-construction », sans véritable majorité présidentielle, l’adoption d’une loi sur un sujet aussi sensible pourrait être compliquée. Et cela, même si pour une fois, selon un sondage IFOP, 78 % des Français se disent d’accord avec le président.
Si la porte semble ouverte du côté de la gauche radicale (LFI), ce n’est pas le cas à droite chez Les Républicains et à l’extrême droite chez le Rassemblement national. « Sur les sujets d’éthique, il n’y a pas le choix. Il faut savoir travailler ensemble », a déclaré la députée LFI Caroline Fiat, qui salue le travail de la convention. À droite, le député Bruno Retailleau (LR) a, au contraire, fustigé une « convention citoyenne dont les conclusions étaient connues à l’avance ». Personnellement opposée à une telle loi, la présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen, a affirmé qu’elle favoriserait un référendum sur le sujet. « Si tant est qu’il faille prendre des décisions [à ce sujet], c’est au peuple français de les prendre », dit-elle.