Un journaliste américain détenu pour «espionnage» en Russie
![Le service fédéral de sécurité russe affirme avoir « déjoué l’activité illégale du correspondant accrédité […] du bureau moscovite du journal américain The Wall Street Journal, le citoyen des États-Unis Evan Gershkovich », qui a été arrêté à Iekaterinbourg, dans l’Oural.](https://media2.ledevoir.com/images_galerie/nwd_1481825_1136282/image.jpg)
La Russie a placé jeudi en détention provisoire un journaliste du Wall Street Journal qu’elle accuse d’espionnage, un cas qui suscite la « préoccupation » internationale. L’arrestation d’Evan Gershkovich survient dans un contexte de répression accrue contre la presse en Russie depuis le début de la guerre en Ukraine.
Les services de sécurité russes, le FSB, ont annoncé jeudi que le reporter avait été arrêté à Iekaterinbourg, dans l’Oural, pour des soupçons d’« espionnage au profit des États-Unis », le Kremlin affirmant qu’il avait été pris en « flagrant délit ».
M. Gershkovich, un reporter américain russophone de 31 ans reconnu pour sa rigueur, a nié les accusations portées contre lui lors d’une audience devant un tribunal de Moscou, selon l’agence de presse étatique russe TASS. Il a néanmoins été placé en détention provisoire jusqu’au 29 mai, une mesure qui peut être prolongée dans l’attente d’un éventuel procès.
Selon TASS, l’affaire a été classée « secrète », ce qui restreint la publication d’informations à son sujet. Seuls détails disponibles à ce stade : le FSB a annoncé avoir « déjoué une activité illégale » en arrêtant M. Gershkovich à une date non précisée.
Depuis le début du conflit en Ukraine, la Russie a voté plusieurs lois assimilant les enquêtes journalistiques sur certains sujets sensibles à de l’espionnage. « La nouvelle législation russe […] permet de mettre en prison pour 20 ans n’importe qui s’intéressant aux affaires militaires », relève ainsi l’analyste russe indépendante Tatiana Stanovaïa, qui dirige le centre d’analyse R.Politik.
Avant de rejoindre le quotidien américain en 2022, M. Gershkovich était correspondant de l’AFP à Moscou et, avant cela, du journal en langue anglaise Moscow Times. Il est d’origine russe, et ses parents résident aux États-Unis.
Condamnations internationales
La Maison-Blanche a fustigé une arrestation « inacceptable », et sa porte-parole, Karine Jean-Pierre, a qualifié de « ridicule » l’accusation d’espionnage. Le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, s’est quant à lui dit « extrêmement préoccupé » par l’affaire.
L’Union européenne, par la voix de son diplomate en chef, Josep Borrell, a condamné cette détention sur Twitter. « Les journalistes doivent pouvoir exercer leur profession librement et méritent d’être protégés. Les autorités russes démontrent une fois de plus leur mépris systématique pour la liberté de presse », a-t-il clamé.
« La Russie a franchi le Rubicon et a clairement signalé aux correspondants étrangers qu’ils ne seront pas épargnés par la purge en cours contre les médias indépendants », a déclaré le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), basé à New York. L’ONG Reporters sans frontières a dit s’« alarmer » de « ce qui semble être une mesure de représailles ».
Sur son site, le Wall Street Journal a appelé à libérer son journaliste et a « démenti avec force » les accusations d’espionnage.
Faisant fi des critiques, le Kremlin a répété que M. Gershkovich avait été pris en « flagrant délit » et a mis en garde contre toute forme de représailles contre les médias russes aux États-Unis.
La nouvelle législation russe […] permet de mettre en prison pour 20 ans n’importe qui s’intéres-sant aux affaires militaires
Interrogée sur un potentiel futur échange avec Washington, la diplomatie russe a jugé le sujet prématuré, appelant par l’entremise de son vice-ministre des Affaires étrangères, Sergueï Riabkov, à « voir comment cette histoire évolue ». Plusieurs Américains sont déjà détenus en Russie, dont l’un, Paul Whelan, purge une peine de 16 ans de prison pour « espionnage » dans une affaire que l’intéressé et Washington jugent montée de toutes pièces.
Le dernier échange remonte à décembre, lorsque la Russie a remis la basketteuse américaine Brittney Griner, détenue pour trafic de drogue, contre la libération du trafiquant d’armes Viktor Bout, incarcéré aux États-Unis.
Si la presse et les journalistes russes critiques du Kremlin sont souvent poursuivis, les journalistes étrangers ont eux été épargnés, Moscou ayant préféré expulser des correspondants et durcir les règles d’accréditation. Des reporters étrangers sont aussi parfois suivis par les services de sécurité lors de leurs reportages, notamment en dehors de Moscou.
Dans ce contexte, de nombreux médias occidentaux ont fortement réduit leur présence en Russie depuis l’entrée des forces russes en Ukraine.