En France, les étudiants entrent dans la danse

Un manifestant tient une pancarte sur laquelle on peut lire « Destitution : la rue ne cèdera pas » devant un tas de poubelles en feu, alors que le gouvernement a décidé d'aller de l'avant avec sa réforme des retraites.
Photo: Christophe Archambault Agence France-Presse Un manifestant tient une pancarte sur laquelle on peut lire « Destitution : la rue ne cèdera pas » devant un tas de poubelles en feu, alors que le gouvernement a décidé d'aller de l'avant avec sa réforme des retraites.

« On veut dire au gouvernement qu’il y a un peuple et qu’il faut l’écouter. » Lucie n’en démord pas. Étudiante en sciences humaines et sociales à l’Université Paris I, elle est venue soutenir la lutte contre la réforme des retraites. « On veut être utiles et, surtout, dire à Macron qu’on ne peut pas mépriser le peuple comme ça. »

Venue manifester de République à Nation avec sa camarade Lunel, elle fait partie de ces masses d’étudiants qui, contrairement à celles participant aux précédentes manifestations, sont venues grossir les cortèges de cette dixième journée de mobilisation contre l’augmentation de l’âge de départ à la retraite de 62 à 64 ans.

Même si la mobilisation était en baisse en comparaison à celle de jeudi dernier, les 740 000 manifestants (selon le ministère de l’Intérieur) qui ont défilé dans toute la France ce mardi ont été rejoints un peu partout par de nombreux cortèges d’étudiants et d’élèves. Les premières épreuves du Bac étant terminées, entre 400 et 500 lycées auraient été au moins partiellement bloqués dans toute la France, selon le syndicat La Voix Lycéenne. Dès le début de la matinée, plusieurs l’ont été à Nice, à Marseille et à Paris. Même le collège Marcelin Berthelot, une école secondaire de Montreuil, a été paralysé par les élèves. À Rennes, ce sont des étudiants qui ont bloqué la rocade au petit matin même si, dans l’ensemble du pays, seulement 8,37 % des enseignants étaient en grève. Cette mobilisation étudiante explique probablement, contrairement au reste du pays, les excellents chiffres de la mobilisation parisienne évaluée à 93 000 manifestants.

« Je crois que ce qui révolte le plus les jeunes dans cette affaire, c’est la manière dont a été adoptée cette loi, en évitant coûte que coûte le vote de l’Assemblée nationale », dit Théo, un jeune professeur de philosophie venu de Meaux, à 50 kilomètres de Paris. « Ça tranche tellement avec ce qu’on leur enseigne de la démocratie dans nos cours. »

Mobilisation en baisse

Hors de Paris, la mobilisation était en baisse, même si les syndicats la jugeaient plutôt forte pour une dixième journée de protestation. Plusieurs signes de relâchement étaient néanmoins visibles. Mardi, seulement 6,5 % des agents de la fonction publique étaient en grève, soit deux fois moins que jeudi dernier. Les éboueurs de la capitale ont aussi annoncé la fin de leur grève, qui a provoqué des amoncellements de poubelles dans de nombreux arrondissements de Paris.

Même si, la veille, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, avait annoncé la venue d’un millier de Black Blocs à Paris, seuls les heurts traditionnels de fin de parcours ont émaillé le cortège parisien. Il faut dire que 13 000 policiers et gendarmes avaient été déployés, dont 5 500 à Paris seulement, où leur présence est pourtant demeurée discrète pendant l’essentiel de la manifestation. Le 24 mars dernier, le cortège de tête où se trouvaient les leaders syndicaux n’avait pas pu atteindre la fin du parcours, Place de l’Opéra, à cause des échauffourées avec la police.

Parmi les causes de la baisse de la mobilisation, plusieurs pointent les discours catastrophistes du ministre de l’Intérieur. Des syndicalistes, comme la secrétaire confédérale de la CGT, Catherine Perret, n’hésitent pas à accuser le gouvernement de « chercher l’incident » afin de décourager les rassemblements de masse. Lors de la précédente journée de mobilisation contre les retraites, le 23 mars dernier, 441 policiers avaient été blessés dans des affrontements. Même le président de la Conférence des évêques de France s’est alarmé mardi des « violences constatées ».

Photo: Julien de Rosa Agence France-Presse Un gendarme français tenait un lanceur de balles défensif LBD-40 lors d'un face-à-face avec des manifestants, mardi.
Photo: Julien de Rosa Agence France-Presse Alors que la police fait usage de gaz lacrymogènes, un manifestant recouvre son visage d'un foulard pour éviter d'en respirer les fumées. Avec son autre main, il tient une affiche sur laquelle il est possible de lire la devise française avec une légère altération satirique.

Influent dans les milieux étudiants, mais plutôt en froid avec les syndicats, le leader de La France insoumise (gauche radicale), Jean-Luc Mélenchon, est, depuis quelques jours, accusé d’inciter à la violence et aux débordements, ou du moins de ne pas les condamner. Le gouvernement évoque particulièrement les vifs affrontements qui ont fait de nombreux blessés dimanche dernier à Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres, lors d’un rassemblement illégal soutenu par LFI contre la construction d’un bassin de rétention d’eau. « La France ne se mène pas à coups de trique », a répliqué Mélenchon alors qu’il était, mardi, dans le cortège parisien.

Pas de « pause » pour le gouvernement

Les appels à une « pause » de six mois et à une « médiation » lancés dans la matinée par le leader de la CFDT et principal porte-parole de l’intersyndicale, Laurent Berger, se sont butés à une fin de non-recevoir. « On n’a pas forcément besoin de médiation pour se parler, on peut se parler directement », a aussitôt répliqué le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran. Il précise que le président ne recevra pas les leaders syndicaux avant trois semaines, soit après que le Conseil constitutionnel se sera prononcé sur la constitutionnalité de la loi. De nombreux observateurs et éditorialistes n’ont pu s’empêcher de souligner le contraste avec Israël où, face à l’ampleur des manifestations qui durent depuis deux mois, le premier ministre, Benjamin Nétanyahou, vient de suspendre sa réforme de la Justice.

Les syndicats français ont appelé mardi soir à une onzième journée de « grève et de manifestations » le jeudi 6 avril. Peu après cette annonce, la première ministre française Elisabeth Borne a invité les syndicats à une rencontre « lundi ou mardi » prochain, a indiqué le secrétaire général de la CFDT. Un « mail lapidaire », selon M. Berger, qui « ira discuter des retraites », notamment pour défendre sa « proposition de médiation » afin de sortir du conflit. « On a encore besoin d’en discuter en intersyndicale », a nuancé la co-déléguée de Solidaires, Murielle Guilbert, qui veut mettre « des conditions avant de s’asseoir à une table ».

Je crois que ce qui révolte le plus les jeunes dans cette affaire, c'est la manière dont a été adoptée cette loi, en évitant coûte que coûte le vote de l'Assemblée nationale

 

Le Conseil constitutionnel jugera bientôt de la démarche suivie par le gouvernement et de la constitutionnalité de certains articles de la loi adoptée la semaine dernière. Sa décision est attendue le 17 avril. La plupart des experts estiment qu’une invalidation de la loi est peu probable et s’attendent tout au plus à la censure de quelques articles.

« Macron n’a rien appris des gilets jaunes, nous confiait Julien, un électricien de 54 ans qui, incidemment, porte un gilet jaune. Dans dix ans, je ne sais pas dans quelle condition physique je serai et si je pourrai me rendre à 64 ans. » En attendant, quoi qu’il arrive, il promet d’être là lors de la prochaine manifestation, jeudi prochain.

Avec l’Agence France-Presse

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