Le gouvernement d’Élisabeth Borne survit de justesse et passe sa réforme

«Vous avez échoué à rassembler», a lancé dans l’hémicycle le député Charles de Courson à Élisabeth Borne (sur la photo). Même si elle s’en tire de justesse, la première ministre sort de cet affrontement plus que fragilisée.
Lewis Joly Associated Press «Vous avez échoué à rassembler», a lancé dans l’hémicycle le député Charles de Courson à Élisabeth Borne (sur la photo). Même si elle s’en tire de justesse, la première ministre sort de cet affrontement plus que fragilisée.

Il ne s’en est fallu que de neuf voix pour que le gouvernement d’Élisabeth Borne soit dissous et que la loi sur les retraites qui divise la France depuis des mois soit renvoyée aux calendes grecques. C’est dans un centre-ville quadrillé par la police que le débat parlementaire s’est clos lundi soir par le rejet serré d’une motion de censure qui visait le gouvernement.

Mais l’adoption de la loi reportant l’âge de départ à la retraite de 62 à 64 ans ne signifie pas pour autant que l’affrontement est terminé, loin de là. Non seulement la contestation pourrait se poursuivre, mais ce vote apparaît comme un véritable désaveu de la première ministre, Élisabeth Borne, dont la survie semble loin d’être assurée.

Faute de majorité à l’Assemblée nationale, le projet de loi avait dû être adopté la semaine dernière par la procédure extraordinaire dite du « 49.3 ». Cet article de la Constitution française permet de se passer du vote des députés, mais oblige le gouvernement à se soumettre à un vote de confiance. La motion de censure présentée par le petit groupe centriste Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (LIOT) n’ayant recueilli que 278 voix sur les 287 nécessaires, les députés ont donc confirmé de justesse l’adoption définitive du projet de loi et la survie de la première ministre, du moins pour l’instant.

Dès l’annonce du résultat, des feux ont été allumés et les premiers gaz lacrymogènes ont retenti dans Paris.

La mobilisation se maintient

Mais est-ce pour autant la fin de la partie ? Pas selon le front commun intersyndical qui, fort du soutien de deux Français sur trois, a programmé une neuvième journée de protestation jeudi prochain.

Même si la mobilisation va en déclinant et que le pays est loin d’être bloqué, on s’attend dès mardi à des perturbations du trafic ferroviaire et aérien. Des perturbations qualifiées de « modestes » par le ministre des Transports, Clément Beaune, mais qui ne le sont pas pour ces Parisiens qui sont, par exemple, privés de ramassage des ordures depuis deux semaines. Des blocages devraient aussi se poursuivre devant les raffineries et sur de nombreux ronds-points.

Photo: Christophe Archambault Agence France-Presse Dès l’annonce du résultat, des feux ont été allumés, comme ici devant l’opéra Garnier, et les premiers gaz lacrymogènes ont retenti dans Paris.

Encouragé par une opinion publique qui ne faiblit pas, le front commun intersyndical mise sur une mobilisation du type de celle qui, en 2006, avait obligé le gouvernement à retirer le contrat première embauche malgré son adoption par l’Assemblée nationale. À la surprise du premier ministre Dominique de Villepin, la mobilisation et le blocage des universités avaient alors jeté jusqu’à trois millions de personnes dans les rues.

L’opposition entend aussi en appeler dès mardi au Conseil constitutionnel afin de faire invalider la loi. Il y a de « forts risques d’inconstitutionnalité de cette loi, non pas tellement sur le fond », déclarait vendredi sur France Info le professeur de droit constitutionnel Dominique Rousseau. Les députés invoquent les mesures d’exception qui ont limité les débats, mais aussi l’inclusion de la loi dans un « projet de loi de financement de la Sécurité sociale ». Une procédure contestée par de nombreux constitutionnalistes.

Les opposants les plus tenaces réclameront dès mardi au Conseil constitutionnel un référendum d’initiative partagée. Cette procédure permettrait de suspendre l’application de la loi pendant neuf mois, le temps de recueillir les 4,7 millions de signatures qu’exige la tenue d’un référendum. Un chiffre énorme, mais qui ne paraît pas tout à fait impossible à atteindre tant la colère semble grande dans la population.

Élisabeth Borne en sursis

« Vous avez échoué à rassembler », a lancé dans l’hémicycle le député Charles de Courson à Élisabeth Borne. Même si elle s’en tire de justesse, la première ministre sort de cet affrontement plus que fragilisée. Toute la classe politique estime que ses jours sont comptés depuis qu’elle a failli à rassembler une majorité de députés du parti Les Républicains (LR, droite traditionnelle) autour du projet de loi. Et cela, malgré un pacte avec leurs principaux dirigeants et des concessions se chiffrant à plusieurs milliards d’euros.

Alors que le leader de La France insoumise (LFI, gauche radicale), Jean-Luc Mélenchon, a appelé à « la censure populaire », la présidente du Rassemblement national (RN, droite populiste), Marine Le Pen, a affirmé que le président de la République devait « remplacer Mme Borne, c’est la moindre des choses […] et présenter aux Français un nouveau gouvernement ».

9 voix
Il s'agit du nombre de voix qu'il manquait pour que le gouvernement d'Élisabeth Borne soit dissous et que la loi sur les retraites qui divise la France depuis des mois soit renvoyée aux calendes grecques.

Les rumeurs de remaniement sont telles que certains observateurs se demandent si Élisabeth Borne ne devra pas quitter son poste avant le 4 avril. C’est à cette date qu’elle dépassera les 323 jours du gouvernement d’Édith Cresson, la seule autre femme à avoir été première ministre sous la Ve République.

« Chiche, Monsieur Macron, allons à la dissolution et demain nous reviendrons plus nombreux. Car plus que jamais, je suis convaincue que nous sommes la véritable alternance », a lancé la porte-parole du RN du haut de la tribune de l’assemblée.

Quelle fin de quinquennat ?

Sans majorité au Parlement, c’est toute la suite du quinquennat d’Emmanuel Macron qui semble aujourd’hui en cause. Même la perspective d’un pacte avec LR, proposé depuis longtemps par l’ancien président Nicolas Sarkozy, apparaît de plus en plus hypothétique tant ce parti semble avoir de la difficulté à rassembler ses troupes, dont près de la moitié a voté la motion de censure malgré des directives contraires.

Après le psychodrame des retraites, on voit mal comment le président pourrait faire adopter les réformes qui sont au programme des prochains mois. Parmi elles, un projet de loi sur la délicate question de l’asile et de l’immigration promet des débats plus que houleux. Quant à la perspective de réformer les institutions de la Ve République évoquée par le président, elle semble totalement hors de portée puisqu’elle exigerait soit une adoption par référendum, soit une majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux chambres.

Après une telle séquence, « le chef de l’État sera sommé de changer de politique […] ou de changer de premier ministre, ou de retourner aux urnes, via un référendum ou une dissolution », a écrit l’éditorialiste du Figaro Guillaume Tabard.

La défiance politique n’a jamais été si élevée en France, selon le politologue Pascal Perrineau, qui cite une récente étude du CEVIPOF révélant que près des deux tiers des Français considèrent que la démocratie ne fonctionne pas bien au pays. Un chiffre qui a progressé de neuf points en deux ans seulement.

Avec l’appui d’à peine 28 % de la population, Emmanuel Macron renoue avec les pires scores de popularité de l’année 2019, pendant la révolte des Gilets jaunes. Dans les couloirs de l’Élysée, on évoquait lundi soir la possibilité d’une adresse à la nation d’ici quelques jours à peine.

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