Vladimir Poutine et le culte de la guerre froide

Dans son discours à la nation russe, le président Vladimir Poutine a de nouveau attisé le mythe de cet affrontement entre deux blocs.
Maxim Blinov/Sputnik via Associated Press Dans son discours à la nation russe, le président Vladimir Poutine a de nouveau attisé le mythe de cet affrontement entre deux blocs.

Sans surprise, mais avec virulence.

Le discours à la nation livré mardi par le président russe, Vladimir Poutine, avait tout pour rappeler l’époque de la guerre froide, avec ses tonalités ouvertement antioccidentales et, surtout, l’annonce par l’homme fort du Kremlin de la suspension de la participation russe à l’accord New Start sur le désarmement nucléaire. Il s’agit du dernier accord bilatéral existant entre Washington et Moscou qui vise à contrer la prolifération de ce type d’arme. Sa suspension vient cristalliser une rupture de plus en plus franche entre la Russie et les États-Unis, près d’un an après le début de l’invasion russe de l’Ukraine.

Mais si les apparences peuvent évoquer le passé et l’affrontement entre deux blocs, celui de l’Est et celui de l’Ouest, les propos de Vladimir Poutine adressés à son peuple (et au reste du monde) sont surtout venus confirmer mardi le projet nationaliste que l’autocrate russe mène sur le dos de l’Ukraine depuis des années — tout comme la « puissance faible » de son pays sur l’actuel échiquier international, pour reprendre les propos du chercheur russe Fiodor Loukianov.

Et ce, plutôt que le début d’une nouvelle guerre froide, malgré ce que plusieurs analystes aiment pourtant affirmer depuis le début de l’agression russe en Ukraine.

« Parler d’une autre guerre froide, c’est un abus de langage, laisse tomber au bout du fil l’historien Richard Carrier, qui enseigne au Collège royal militaire du Canada. Le monde bipolaire de cette époque s’est arrêté en 1991 [avec l’éclatement de l’Union soviétique]. Nous sommes entrés depuis dans un monde multipolaire où l’affrontement idéologique entre deux blocs a bel et bien disparu et où les systèmes de valeurs sont désormais hétérogènes. »

Employé pour la première fois par George Orwell en 1947 pour décrire l’affrontement indirect entre l’URSS et les États-Unis, le terme « guerre froide » saisit le combat symbolique — et parfois militaire, dans plusieurs pays du globe — qui a opposé pendant plus de 50 ans communisme et libéralisme.

Un symbole et des mots

Mardi, le président américain, Joe Biden, a cherché à garder en vie cette primauté symbolique en décrivant depuis Varsovie, en Pologne, quelques heures après le discours de Vladimir Poutine, l’engagement des États-Unis au sein de l’OTAN et en Ukraine comme le combat du monde libre contre l’autoritarisme. « Notre soutien à l’Ukraine ne faiblira pas, l’OTAN ne sera pas divisée et nous ne nous fatiguerons pas. La lâche soif d’extension territoriale et de pouvoir du président Poutine va échouer », a-t-il déclaré.

La propagande russe cherche également à maintenir en vie l’idée de cette dualité en posant la guerre d’invasion de l’Ukraine lancée par le Kremlin comme un acte de résistance contre une « élite occidentale » qui chercherait à faire disparaître la Russie. Mardi, depuis Moscou, le président russe a d’ailleurs affirmé sans sourciller ne pas combattre « le peuple ukrainien », mais plutôt les « maîtres occidentaux » de Kiev qui l’auraient pris en otage, et ce, en « occupant effectivement le pays ».

En évoquant lui aussi la mythologie de la guerre froide, le Kremlin vise à regagner, « en apparence plutôt qu’en fait, le podium des maîtres du monde dont il s’écroula au début des années 1990 », résumait en 2018 la chercheuse Sophie Momzikoff dans les pages de la Revue Défense nationale. Selon elle, la Russie, qui « n’est plus qu’une puissance régionale dont la mission n’est pas de changer le monde », cherche ainsi à valider dans l’opinion la persistance de la sphère d’influence qu’elle aurait héritée de l’URSS. Même si, finalement, le discours de Vladimir Poutine n’a répété qu’une énième fois son discours nationaliste et populiste articulé au commencement de cette guerre.

« Depuis 1999, il est très difficile de dire ce qui se passe dans la tête de Vladimir Poutine, indique Richard Carrier, mais nous sommes, avec lui, face à un nationalisme russe rustique et même assez banal. Oui, il se montre belliqueux et provocateur en prétendant que les Occidentaux placent le monde au bord d’un conflit plus grand en soutenant l’Ukraine. Mais il n’est pas évident qu’avec ces propos, répétés mardi, il va convaincre le reste du monde de la perspective d’une troisième guerre mondiale. »

C’est que loin d’être l’empire dominant d’un bloc cherchant à imposer son idéologie dans le cadre d’une « nouvelle guerre froide », la Russie est aujourd’hui surtout « presque seule », dit-il, et ce, dans un monde où l’équilibre des forces se joue désormais à trois, entre la Russie, les États-Unis et la Chine.

Une solitude qui vient d’ailleurs d’être entretenue par l’annonce de l’éloignement de Moscou du traité New Start. « [Les Occidentaux] veulent nous infliger une défaite stratégique ; [ils] s’en prennent à nos sites nucléaires », a expliqué l’homme fort du Kremlin, tout en indiquant clairement qu’il ne se retirait pas complètement de ce traité qui arrive à échéance en 2026.

La diplomatie américaine avait déjà indiqué en janvier que la Russie ne se conformait plus ni à la lettre ni à l’esprit du texte. En août dernier, Moscou avait annoncé suspendre les inspections prévues sur ses sites militaires par des Américains. Les inspections russes aux États-Unis ont été arrêtées durant la pandémie et n’ont jamais repris depuis.

Nécessaire diplomatie

Depuis Athènes, en Grèce, où il était de passage, le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, a qualifié de « très décevante et irresponsable » la décision de la Russie et a indiqué que les États-Unis surveillaient attentivement ce que Moscou allait « réellement » faire.

« Mais, bien évidemment, nous restons prêts à discuter avec la Russie sur la limitation des armes stratégiques à n’importe quel moment, indépendamment de tout ce qui se passe dans le monde ou dans nos relations », a-t-il ajouté.

Une ouverture au dialogue et à la diplomatie qui ne donne toutefois qu’un très faible espoir de voir poindre le début de la fin de la guerre d’invasion amorcée il y a un an — et qui, sans être placée au coeur d’une nouvelle guerre froide, n’en demeure pas moins dangereuse pour l’ensemble du globe, estime M. Carrier.

« La seule fin possible passe par un compromis difficile à envisager à cause des propagandes et des positions actuelles. Des deux côtés », dit-il. « Et dans ce contexte, la diplomatie n’est pas à négliger, puisque c’est son absence qui nourrit les discours exagérés », à la rhétorique acerbe, comme celui d’une heure et 45 minutes que Vladimir Poutine a fait entrer mardi dans l’Histoire.

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