Le Comité olympique canadien ouvert au retour des Russes

Le soutien du Canada à l’Ukraine, pays placé par la Russie au coeur d’une guerre d’agression depuis près d’un an, vient de trouver sa première faille : le Comité olympique canadien (COC) se dit en effet « ouvert à explorer » aujourd’hui un possible retour des athlètes russes et biélorusses en vue des prochains Jeux olympiques de Paris, en 2024, même si cette perspective est largement décriée depuis des jours par le gouvernement ukrainien, tout comme par plusieurs de ses alliés. Kiev qualifie d’ailleurs ce possible retour de geste normalisant l’agression et faisant la « promotion de la guerre, de meurtres et de la destruction ».
N’empêche, tout en disant suivre la recommandation faite par le Comité international olympique (CIO) en février 2022 de ne pas inviter les athlètes russes et biélorusses à participer à des compétitions internationales, le COC estime désormais que « la décision d’exclure des athlètes uniquement sur la base de leur nationalité va à l’encontre des principes qui sont au coeur du Mouvement olympique » et se dit désormais prêt « à explorer un parcours conduisant à l’inclusion d’athlètes russes et biélorusses [sous bannière] neutre », à l’approche de la prochaine échéance olympique de 2024, a indiqué cette semaine David Shoemaker, chef de la direction et secrétaire général du COC dans une déclaration transmise au Devoir.
Les Russes doivent participer exactement dans les mêmes conditions que tous les autres athlètes
L’idée de cette réintégration a été mise sur la table par le CIO la semaine dernière. Elle a soulevé l’ire de l’Ukraine, qui, par la voix de son président, Volodymyr Zelensky, a dénoncé vendredi dernier l’« hypocrisie » du Comité international olympique et invité Thomas Bach, son président, à venir visiter Bakhmout, ville dévastée par les attaques russes et un des points les plus chauds actuellement sur la ligne de front. « L’olympisme et les États terroristes ne doivent pas se croiser », a-t-il ajouté dimanche dans son message vidéo quotidien.
La Russie et la Biélorussie, alliée et complice du Kremlin dans la guerre en Ukraine, ont été exclues de la plupart des compétitions internationales depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, le 24 février dernier. Or, Moscou cherche, à l’approche des prochains Jeux d’été, dont l’ouverture est prévue le 26 juillet 2024 à Paris, à rendre cette sanction caduque.
« Les Russes doivent participer exactement dans les mêmes conditions que tous les autres athlètes, a déclaré mardi le grand patron de l’olympisme russe, Stanislav Pozdniakov, cité par l’agence de presse Tass au service du Kremlin. Toutes les conditions et tous les critères supplémentaires ne sont pas les bienvenus, en particulier ceux qui ont une composante politique absolument inacceptable pour le Mouvement olympique. »
Neutralité théâtrale
« Tant que les athlètes ukrainiens ne seront pas capables de s’entraîner en toute sécurité, le retour des Russes et Biélorusses aux Jeux olympiques serait une décision complètement injuste, commente en entrevue au Devoir MacIntosh Ross, spécialiste des questions sociales liées au sport et professeur à l’Université Western Ontario. Le CIO ne doit pas le permettre et créer par le fait même un précédent valable pour toutes les nations : si vous menez une guerre d’agression, vos athlètes ne seront pas autorisés à participer aux Jeux olympiques. Il faut en finir avec cette neutralité théâtrale qui devient surtout de la complicité. Si les Jeux olympiques sont synonymes de paix, le CIO a aujourd’hui la chance de le prouver. »
Rappelons qu’en 2021, les athlètes russes ont participé aux Jeux de Tokyo sous drapeau neutre après que la Russie a été bannie en 2015 du Mouvement olympique pour une fraude généralisée au dopage lors des JO de Sotchi. Dans la capitale japonaise, 45 des 71 médailles remportées par les Russes l’ont été par des athlètes également membres du Club sportif central de l’armée russe, rapportait à l’époque le Conseil international du sport militaire basé à Bruxelles. Or, cette armée est depuis le début de la guerre régulièrement condamnée par la communauté internationale pour les atrocités, les meurtres, les pillages, les viols commis et les frappes d’infrastructures vitales menées contre l’Ukraine.
« Le CIO regarde avec plaisir la Russie détruire l’Ukraine et offre ensuite à la Russie une plateforme pour promouvoir le génocide » des Ukrainiens, a lancé sur Twitter, lundi, le conseiller de la présidence ukrainienne Mykhaïlo Podoliak, tout en visant personnellement Thomas Bach. « Il est évident que l’argent qui achète l’hypocrisie olympique n’a pas l’odeur du sang de l’Ukraine. N’est-ce pas, M. Bach ? » a-t-il ajouté.
Kiev menace de boycotter les prochains Jeux olympiques si les athlètes russes et biélorusses étaient autorisés à y participer, y compris sous bannière neutre, a indiqué le ministre ukrainien de la Jeunesse et des Sports, Vadym Guttsait. Une perspective envisagée également cette semaine par le comité olympique de la Lettonie, république balte venue mercredi poser les bases d’un front commun de pays qui, à l’appel de Volodymyr Zelensky, cherchent à faire pression sur le CIO pour l’inciter à maintenir l’exclusion totale de la Russie et de la Biélorussie lors des Jeux de 2024.
Tant que les athlètes ukrainiens ne seront pas capables de s’entraîner en toute sécurité, le retour des Russes et des Biélorusses aux Jeux olympiques serait une décision complètement injuste
« La décision d’autoriser Russes et Biélorusses à participer aux prochains Jeux [serait] immorale et erronée », a dit le ministre letton des Affaires étrangères, Edgars Rinkēvičs, en marge d’une réunion avec ses homologues de la Pologne, de l’Estonie et de la Lituanie, qui soutiennent Kiev dans sa campagne contre le Comité olympique international. Ensemble, ils menacent également de boycotter le prochain événement olympique.
En 2022, les États-Unis, la Grande-Bretagne, le Canada et l’Australie avaient décidé d’un « boycottage diplomatique » des Jeux d’hiver de Pékin pour protester contre le génocide des Ouïgours orchestré et planifié par le régime autoritaire chinois contre cette minorité turcophone du Xinjiang, au nord de la Chine. La possibilité d’un retour de la Russie et de la Biélorussie dans la compétition n’a pas fait apparaître une telle menace dans ces grandes démocraties. Pour le moment.
Le CIO pourrait décider du sort des athlètes russes et biélorusses d’ici l’été prochain, le comité envoyant habituellement ses invitations officielles aux comités nationaux un an avant le début des compétitions.
Avec l’Agence France-Presse