Le Parti socialiste au bord du gouffre

Un vote entaché de nombreuses irrégularités n’a pas permis de départager qui, entre Olivier Faure (à droite sur la photo), et Nicolas Mayer-Rossignol, l’a véritablement emporté.
Photo: Emmanuel Dunand AFP, photomontage Le Devoir Un vote entaché de nombreuses irrégularités n’a pas permis de départager qui, entre Olivier Faure (à droite sur la photo), et Nicolas Mayer-Rossignol, l’a véritablement emporté.

Depuis une semaine, deux vidéos tournent en boucle sur Internet. Dans la première, filmée à La Courneuve, on voit des gens s’emparer d’une boîte de scrutin et s’enfermer dans une pièce. « Vous n’avez pas le droit de faire ça », lance une militante alors que la porte reste fermée à clé. Dans la seconde, filmée à Pierrefitte, au nord de Paris, on voit des policiers intervenir dans un bureau de vote.

Ces scènes ont été croquées la semaine dernière lors du vote qui devait désigner le premier secrétaire du Parti socialiste. Un vote entaché de nombreuses irrégularités et qui n’a pas permis de départager qui, du premier secrétaire actuel, Olivier Faure, et de son adversaire et maire de Rouen, Nicolas Mayer-Rossignol, l’a véritablement emporté. Tous deux ayant revendiqué la victoire à hauteur de 53 % des voix.

Même si les responsables du parti, après un second dépouillement partiel, ont officiellement déclaré le premier réélu avec 51,09 % des voix contre 48,91 pour son adversaire, la querelle est loin d’être close. Elle devrait se transporter au congrès du parti qui se déroulera ce week-end à Marseille. Un congrès qui pourrait être « sanglant », écrit le journal Le Monde, si, d’ici là, les deux camps ne parviennent pas à un accord politique.

« Un cadavre qui gigote »

Difficile de croire que ce parti, qui n’a plus que 30 députés à l’Assemblée nationale et dont la candidate Anne Hidalgo n’a récolté que 1,75 % des voix à la présidentielle, dirigeait la France il y a six ans à peine. Pour le journaliste de L’Express Olivier Pérou, auteur d’un livre au titre emblématique (Autopsie d’un cadavre, Fayard), le PS n’est plus qu’un cadavre à la renverse. « Mais, c’est un cadavre qui gigote encore, dit-il. Le spectacle offert depuis deux semaines est terriblement affligeant aux yeux des militants. Il rappelle ce que le parti peut faire de pire : ces haines recluses et ces coups bas qui ont jalonné son histoire. »

Par certains côtés, ce qui se passe aujourd’hui fait penser au duel qui avait opposé Ségolène Royal à Martine Aubry au congrès de Reims en 2008. Si des bourrages d’urnes ont eu lieu comme cela avait été dit à l’époque —, aucune candidate n’avait revendiqué la victoire avant que Ségolène Royal ne soit finalement désignée première secrétaire.

Il n’y a pas de désaccords idéologiques fondamentaux au PS, et je ne vois personne parmi les opposants qui serait vraiment prêt à quitter la NUPES. Ce qui se joue essentiellement, c’est l’avenir d’Olivier Faure, qui est perçu comme un obstacle à une éventuelle candidature présidentielle de Carole Delga, par exemple.

Mais, c’était une autre époque, rappelle Olivier Pérou. Le parti comptait alors 233 000 adhérents. Il n’en reste plus aujourd’hui que 40 000. Et encore s’agit-il de chiffres officiels, alors que seuls 20 000 membres ont daigné se manifester à l’occasion de cette élection.

Au coeur des désaccords qui divisent le parti, on trouve la stratégie d’alliance suivie par Olivier Faure, qui consiste à s’abriter au sein de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (NUPES). Cette alliance électorale née au moment des élections législatives, et qui regroupe aussi les écologistes d’Europe écologie-Les Verts (EELV), est largement dominée par la gauche radicale de La France insoumise (LFI) et son leader charismatique, bien que contesté, Jean-Luc Mélenchon.

Sauver les meubles

Si Olivier Faure dit avoir ainsi sauvé les meubles, les élus locaux du parti qui jouent toujours un rôle dans les instances municipales ou régionales supportent mal d’être associés à la rhétorique insurrectionnelle de LFI. D’autant que le gros des électeurs du PS n’est pas parti vers ce parti, mais chez Emmanuel Macron. Les adversaires d’Olivier Faure l’accusent d’être « sous l’emprise idéologique » de Mélenchon, quand ils ne parlent pas de « tutelle » et de « dilution du PS ».

C’est particulièrement le cas dans la région Occitanie, où Nicolas Mayer-Rossignol a obtenu ses meilleurs résultats avec le soutien de la présidente de ladite région, Carole Delga. « Je préfère quinze à vingt députés qui assument leur ligne » plutôt que 30 avec la NUPES, expliquait au Monde le vice-président du Conseil régional, Kamel Chibli.

Selon le journaliste Olivier Pérou, ces désaccords sont malgré tout secondaires. « Il n’y a pas de désaccords idéologiques fondamentaux au PS, et je ne vois personne parmi les opposants qui serait vraiment prêt à quitter la NUPES. Ce qui se joue essentiellement, c’est l’avenir d’Olivier Faure, qui est perçu comme un obstacle à une éventuelle candidature présidentielle de Carole Delga, par exemple. C’est aussi la vengeance d’Anne Hidalgo contre un premier secrétaire dont elle estime qu’il ne l’a pas souvenue à la présidentielle. En fait, les opposants veulent sa tête. »

En face, le premier secrétaire dénonce « le retour des éléphants » et surtout la main invisible de son ennemi juré, l’ancien président François Hollande, qui ne manque jamais d’ironiser en qualifiant Olivier Faure de « leader contesté ». « Sans la NUPES, la gauche aurait disparu au profit de l’extrême droite », dit son lieutenant, porte-parole du PS, Pierre Jouvet.

S’il a exclu la présentation d’une liste commune aux élections européennes en 2024, Olivier Faure caresse le rêve d’une candidature unique à la prochaine présidentielle. Selon lui, « la gauche, et surtout le PS, n’a pas d’autres voies de passage possibles pour 2027 ».

Un « suicide collectif »

Comment un parti aussi fractionné, dont les deux principaux candidats ont même refusé de débattre publiquement, pourra-t-il survivre ? La question est sur toutes les lèvres. Même si le congrès de Marseille risque de confirmer l’élection d’Olivier Faure, qui a le soutien d’une majorité de délégués nationaux, le parti de Jaurès, Blum et Mitterrand semble au bout du rouleau. Peu importe qu’il l’emporte ou non, avec une victoire aussi mince, Olivier Faure « est désavoué moralement et politiquement », estime la sénatrice socialiste Marie-Arlette Carlotti.

« Le PS est dans une impasse », soutient depuis longtemps le vieux militant et ancien député Julien Dray. « La majorité des socialistes est désormais à l’extérieur du parti », a déclaré au magazine Le Point celui que l’on surnomme ici le Baron noir, à cause d’une série télévisée du même nom inspirée de ses péripéties politiques au PS. Selon lui, rien ne sert de s’acharner sur un cadavre. Le moment serait venu « de refonder une grande force socialiste et républicaine, progressiste mais anti-productiviste ».

« On est au bord de la scission, reconnaît Olivier Pérou. La question qui se joue, c’est de savoir si le PS va demeurer une force active ou une sorte de Parti radical de gauche (PRG). Un parti autrefois important qui n’est plus que l’ombre de lui-même. Ce congrès ressemble à un suicide collectif où le seul enjeu semble être de conserver une structure qui rapporte encore de l’argent et possède quelques militants. »

À droite, l’éditorialiste du Figaro Guillaume Tabard pose sensiblement la même question : « L’ancien parti de la cité Malesherbes et de la rue de Solférino arrive-t-il à la fin de son histoire ? » La réponse ne saurait tarder.

À voir en vidéo