La gauche française déchirée par une série de scandales sexuels

Sous les ors du palais Bourbon, on ne parlait que de ça la semaine dernière, à l’occasion de la rentrée parlementaire. Depuis trois semaines, la saga des scandales sexuels à gauche n’en finit plus de faire la manchette, éclipsant pratiquement toutes les autres nouvelles. Rivalités d’appareils, révélations scabreuses, enquêtes parallèles et tribunaux ad hoc, rien ne semble devoir être évité à ces partis de la gauche radicale, La France insoumise (LFI) et Europe écologie Les Verts (EELV), qui s’étaient toujours fait les champions de la lutte contre les agressions sexuelles.
Ces affaires ont pris une telle ampleur que la semaine précédente, le ministre de la Justice, Éric Dupont-Moretti, est sorti de ses gonds et a cru bon de rappeler tout le monde à l’ordre. « On est en train de créer une justice de droit privé qui n’a strictement aucun sens, dit-il. […] C’est mortifère et délétère pour les grandes institutions qui sont les nôtres, et en particulier pour la justice que je veux défendre. »
Tout a commencé le 14 septembre lorsque Le Canard enchaîné a révélé que l’épouse du député de LFI Adrien Quatennens avait fait une déposition à la police sur des faits supposés de violence conjugale. La nouvelle a eu l’effet d’une bombe. D’autant qu’Adrien Quatennens était jusqu’à tout récemment considéré comme l’un des dauphins présumés du fondateur et chef incontesté de LFI, Jean-Luc Mélenchon.
Il aura fallu attendre plusieurs jours pour que le député de Lille reconnaisse avoir donné, un an plus tôt, une gifle à son épouse, avec qui il était en instance de divorce. Mais l’affaire n’aurait pas soulevé un tel émoi si, au moment où le député se mettait « en retrait du parti », Jean-Luc Mélenchon ne l’avait pas soutenu en louant la « dignité » et le « courage » de son lieutenant. Nouveau tollé à gauche, où l’on a accusé le chef de minimiser les violences conjugales.
Ce qui n’a pas empêché le député Manuel Bompard de soutenir qu’on ne peut pas comparer une gifle « à un homme qui bat sa femme tous les jours ». Cette affaire est la troisième à frapper LFI en moins d’un an, après une plainte pour harcèlement sexuel portée contre le président de la Commission des finances de l’Assemblée, Éric Coquerel, et un signalement interne pour harcèlement et violences sexuelles contre le « journaliste militant » Taha Bouhafs.
Elle est d’autant plus embarrassante que, quelques mois plus tôt, LFI s’était montré intraitable à l’égard d’Emmanuel Macron en l’accusant d’avoir couvert son ministre Damien Abad, accusé de viol par quatre femmes. « À LFI, on n’a pas compris le vent féministe de la société. C’est la première crise interne », a déclaré la députée Sandrine Rousseau (EELV), qui se revendique de l’écoféminisme. Par un curieux concours de circonstances, c’est elle-même qui ouvrira le second chapitre de cette saga.
La traque d’un « coureur » ?
Invitée à l’émission télévisée C à vous pour parler des accusations visant Adrien Quatennens, elle en profita pour rapporter le témoignage d’une ex-compagne du secrétaire général de son propre parti, Julien Bayou, selon qui ses comportements seraient « de nature à briser la santé morale des femmes » avec lesquelles il a eu des relations. L’une d’elles aurait même fait une tentative de suicide.
Ce second coup de tonnerre à gauche en moins de deux semaines provoque aussitôt la démission de Julien Bayou de son poste de secrétaire général d’EELV. Et cela même si, selon le journaliste Patrick Cohen, Sandrine Rousseau a reconnu après l’émission que dans cette affaire, rien n’était « pénalement répréhensible ». De son côté, Julien Bayou évoque une simple « rupture douloureuse et difficile ». Sa démission est néanmoins jugée nécessaire « pour envoyer un signal » aux femmes, dira la vice-présidente du groupe, Sandra Regol.
Contrairement à la précédente, cette deuxième affaire survient sur fond de rivalités politiques. Dans un mois à peine, les courants divergents qu’animent Julien Bayou et Sandrine Rousseau devraient s’affronter pour la mainmise sur le parti. Or, les ambitions de celle qui avait perdu de justesse la primaire du parti il y a un an ne sont pas un secret. Dans la presse comme dans la formation, plusieurs soupçonnent un règlement de comptes.
Mais surtout, l’affaire Bayou met au jour des pratiques jusque-là mal connues au sein du parti. Grâce à une enquête du quotidien Libération, on apprendra en effet non seulement qu’une plainte confidentielle contre Julien Bayou devait être examinée par la cellule d’enquête sur le harcèlement sexuel du parti — une sorte de tribunal interne —, mais qu’un groupe informel enquêtait depuis trois ans sur sa vie sentimentale.
Que lui reproche-t-on ? « Sa réputation de “coureur” », confie à Libération une source anonyme, et le fait qu’« il se met très souvent avec des meufs [femmes] fragiles attirées par la lumière et honorées de sortir avec lui ». Au nom de la « sororité », un groupe WhatsApp est créé aux fins d’échange sur ses relations intimes. Des courriels signés « Les louves alpha » seront envoyés à des proches de Bayou afin, dit-on, de « libérer la parole ». À aucun moment n’est évoqué autre chose que des violences psychologiques. Même si le principal intéressé dit ne pas s’opposer à ces « enquêtes », une de ses anciennes compagnes ne craint pas de dénoncer « une campagne animée par des féministes pour le faire tomber ».
Deux affaires différentes
« Égarements », « délire », les mots ne semblent pas assez forts pour décrire ces méthodes inquisitoriales qui sèment la stupeur dans le parti. « Je considère qu’elles [Les louves alpha] ne font pas partie de mon parti », dira la députée écologiste Karima Delli sur BFM-TV. Selon l’éditorialiste du Figaro Eugénie Bastié, ces méthodes relèvent d’un mouvement féministe qui estime que « le privé est politique » et qui a décidé « de régler le problème par la voie du tribunal médiatique, immédiat et sans appel, au risque de sacrifier quelques innocents ».
De nombreuses voix demandent que l’on distingue l’affaire Quatennens du dossier Bayou. Si, dans le premier cas, on peut considérer qu’on est devant une affaire de violence conjugale (même si certains en contestent l’ampleur), dans le second, on ne sait même pas de quoi Julien Bayou est accusé, écrit Jonathan Bouchet-Petersen dans Libération. « Il n’appartient pas à une cellule d’écoute et encore moins à la justice de s’immiscer sans limite dans les relations psychologiques au sein d’un couple, écrit-il, tant que celles-ci ne sont pas empreintes de coups, d’agressions sexuelles ou d’un harcèlement moral pénalement répréhensible. »
Chose certaine, « la gauche est prise en défaut sur l’un de ses combats les plus emblématiques », souligne Françoise Fressoz. Ces combats dans la boue s’expliquent parce qu’ils se déroulent dans « un parti [EELV] brutalement ramené à ce qu’il est : une coquille fragile qui […] reste en proie à des haines tenaces et à des règlements de comptes peu ragoûtants », ajoute l’éditorialiste du Monde.
« Que se serait-il passé si, toutes choses égales par ailleurs, Julien Bayou avait été une femme ? » demande Peggy Sastre, chroniqueuse du magazine Le Point. Selon elle, la liberté sexuelle « ne va pas sans risques ni responsabilités. À moins de considérer les femmes comme des êtres trop fragiles pour les assumer ».
Pour l’instant, la seule certitude est que la gauche radicale n’a pas fini de pâtir de ces couacs. Selon un sondage Odoxa et Backbone, 64 % des Français estiment que ces affaires ont « décrédibilisé » les partis de gauche. Plus tôt, la Fondation Jean-Jaurès (gauche) avait révélé que pour la première fois, c’est La France insoumise et non pas le Rassemblement national qui était perçu comme le parti le plus dangereux pour la démocratie.