Le père français Johannes Rivoire, soupçonné d’agressions sexuelles au Canada, embarrasse sa congrégation

L’ex-députée libérale Mumilaaq Qaqqaq tient une photo du père Johannes Rivoire lors d’une conférence de presse, à Ottawa, le 8 juillet 2021.
Justin Tang La Presse canadienne L’ex-députée libérale Mumilaaq Qaqqaq tient une photo du père Johannes Rivoire lors d’une conférence de presse, à Ottawa, le 8 juillet 2021.

Une demande d’extradition du Canada visant le père Johannes Rivoire, 92 ans, soupçonné d’agressions sexuelles sur des jeunes Inuits entre 1968 et 1970, place dans une situation délicate sa congrégation française : contrainte « d’assumer » cet héritage encombrant, elle réfute vigoureusement l’avoir « dissimulé ».

Dans le salon aux fauteuils désuets d’une maison de Lyon (sud-est), qui abrite le siège français des Oblats de Marie-Immaculée (OMI), le provincial Vincent Gruber, qui fait office de responsable national, l’avoue volontiers : l’affaire Rivoire, « c’est un paquet empoisonné ».

Le sujet est au coeur de la prochaine visite d’une délégation d’Inuits qui se déplace du 12 au 15 septembre à Paris et à Lyon dans l’espoir d’obtenir justice.

Dans le Grand Nord canadien, le cas est vu par beaucoup comme le symbole de l’impunité des agresseurs sexuels au sein de l’Église catholique, surtout depuis le récent « pèlerinage pénitentiel » du pape François au Canada, centré sur les violences perpétrées dans les pensionnats autochtones.

Le nonagénaire, qui vit dans une maison de retraite de Lyon, n’a jamais été inquiété. Visé par une demande d’extradition déposée début août par Ottawa, il conteste toutes les accusations.

L’ordre, qui compte 3700 missionnaires dans le monde, dont 87 en France, dit n’avoir été informé qu’en 2013 de l’existence du premier mandat d’arrêt délivré contre lui… en 1998 au Canada.

Pourquoi et comment, cette congrégation a-t-elle pu ne rien savoir pendant toutes ces années ?

« Dysfonctionnements inexcusables »

« C’est incompréhensible, insensé… Il y a eu des dysfonctionnements inexcusables. Nous n’avons eu aucun document chez les Oblats du Canada. Le gouvernement français n’a pas cherché non plus à informer les Oblats en France. À moins que quelqu’un l’ait su et ne l’ait pas dit… », assure à l’AFP M. Gruber.

« Cela crée la situation d’aujourd’hui, avec le temps qui presse et des victimes face au vide. Tout aurait dû être réglé dès 1998 ! », déplore le responsable, en poste depuis 2014.

M. Gruber sait que cette « situation » expose sa congrégation aux critiques.

L’Ordre a « trop protégé » le père Rivoire, « ceux qui devaient savoir savaient que des questions sérieuses se posaient sur lui », avance M. Devaux, que les Inuits ont contacté pour préparer leur visite. Et de lancer : « personne ne s’est posé la question sur son arrivée à Lyon en catastrophe en 1993 ? », au moment où deux premières plaintes sont déposées contre lui.

Dans un courriel récent à M. Gruber dont l’AFP a eu copie, Kilikvak Kabloona, une représentante inuite, assure qu’en 1993 l’évêque du diocèse de Churchill — Baie-d’Hudson dont dépendait Johannes Rivoire avait été informé de ces plaintes. Et que, « peu de temps après », le missionnaire s’est enfui « avec seulement un sac à dos, probablement sous les instructions » de l’évêque, « afin d’éviter toute publicité négative » aux Oblats.

« Je sais que dans l’Église, des gens ont caché, couvert, exfiltré » des auteurs de crimes sexuels, « mais, que l’on nous croie ou pas, nous n’avons jamais fait ça ! », plaide M. Gruber.

En 1993, après 33 ans de terrain, le père Rivoire quitte le Grand Nord pour Lyon, officiellement pour s’occuper temporairement de ses parents. Il n’y retournera jamais.

Il rejoint le site de Notre-Dame-des-Lumières (sud-est de la France) de 1993 à 2015, et y « fait principalement du jardinage », selon M. Gruber. Mais ce sanctuaire doit fermer et le voici transféré à Strasbourg (nord-est) en 2015, dans une « maison de seniors » gérée par l’OMI.

« Radar »

Il est placé « sous surveillance » lorsque les oblats apprennent qu’il est recherché : « il reste sur notre radar », assure M. Gruber et un signalement est fait au parquet de Strasbourg.

Le religieux revient à Lyon en 2021 pour des raisons de santé et de convenance personnelle.

« On ne peut pas le ligoter et le mettre dans l’avion ! », lance M. Gruber, en assurant l’avoir plusieurs fois exhorté à « aller affronter la justice au Canada ».

Le père Rivoire « conteste énergiquement les faits » et estime « n’avoir de comptes à rendre à quiconque », selon son avocat, Me Thierry Dumoulin. Il a refusé de rencontrer la délégation d’Inuits, comprenant une de ses victimes présumées.

Le père Gruber, lui, recevra le groupe le 14 septembre : « on croit ce que nous disent les Inuits » et « c’est ce qu’on leur dira ».

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