En Ukraine, l’appui financier des Occidentaux s’essouffle

Les États-Unis sont, de loin, le pays qui finance le plus l’aide en Ukraine depuis le début de l’invasion russe, avec un montant de 42,6 milliards d’euros comprenant l’aide militaire, humanitaire et financière.
Photo: Nariman El-Mofty Associated Press Les États-Unis sont, de loin, le pays qui finance le plus l’aide en Ukraine depuis le début de l’invasion russe, avec un montant de 42,6 milliards d’euros comprenant l’aide militaire, humanitaire et financière.

Le temps s’est écoulé depuis le 24 février, date où a commencé l’invasion russe de l’Ukraine. Depuis, les forces ukrainiennes ont repoussé l’ennemi des alentours de la capitale, Kiev, qui a pu souffler un peu. Les combats se poursuivent dans l’est du pays, et la résistance dépend de l’aide de pays majoritairement occidentaux, qui, selon des observateurs, peine à se concrétiser sur le terrain, et dont le financement s’essouffle.

Mercredi, le Kiel Institute for the World Economy, qui est basé en Allemagne et qui compile des données sur les montants d’argent promis à l’Ukraine, notait dans une nouvelle analyse un ralentissement entre le 8 juin et le 1er juillet. « Seules quelques nouvelles promesses ont été ajoutées, et elles étaient moins substantielles », souligne l’Institut.

« Le soutien financier et militaire apporté par d’autres pays à l’Ukraine n’est pas à la hauteur de ce qui est nécessaire pour stabiliser la situation, remarque l’organisme. Globalement, la dynamique des nouveaux engagements s’essouffle. Les armes et les aides financières ne continuent d’être fournies qu’avec de très longs retards. »

Yann Breault, professeur adjoint en études internationales au Collège militaire royal de Saint-Jean, note lui aussi une « perte d’élan dans l’ampleur de l’aide depuis quelques semaines », qui « risque de se poursuivre dans les prochains mois ». « Il y a des incertitudes économiques à l’horizon, on commence à mettre en doute la capacité de soutenir financièrement à long terme les Ukrainiens », dit-il.

Il s’agit également d’une guerre d’usure, comme un règlement rapide semble de moins en moins probable. La fin du conflit par une reconquête du territoire jusqu’en Crimée par les Ukrainiens ou par la signature d’un traité de paix qui reconnaît de nouvelles frontières apparaît irréaliste, pense-t-il. « Ça va empoisonner l’architecture de sécurité probablement pendant les décennies à venir, donc dans ce contexte, il y a un questionnement à l’Ouest quant à l’ampleur du soutien financier qu’on peut se permettre d’offrir aux Ukrainiens », souligne-t-il.

Les États-Unis sont, de loin, le pays qui finance le plus l’aide en Ukraine depuis le début de l’invasion russe, avec un montant de 42,6 milliards d’euros comprenant l’aide militaire, humanitaire et financière. Suivent ensuite les institutions de l’Union européenne, avec 15,7 milliards d’euros, et le Royaume-Uni, avec du financement totalisant 6,2 milliards d’euros.

André Frank, de l’équipe du Ukraine Support Tracker, qui compile les données au Kiel Institute, note une variation des engagements financiers chaque mois. « Il peut y avoir d’autres raisons, ajoute-t-il dans un échange de courriels avec Le Devoir. Comme le fait que les pays ressentent une lassitude à l’égard des dons, ou qu’ils atteignent une capacité de don maximale. Cependant, à l’heure actuelle, nous ne pouvons pas donner de réponse définitive [sur l’essoufflement à long terme des dons] sur la base des données que nous collectons. »

Dominique Arel, titulaire de la Chaire en études ukrainiennes de l’Université d’Ottawa, ne voit quant à lui pas d’essoufflement dans l’immédiat. Il constate, au contraire, que la volonté des politiciens d’aider l’Ukraine semble augmenter, prenant pour preuve le dernier sommet de l’OTAN, tenu fin juin, où les pays membres ont indiqué leur intention de tenir tête à la Russie. « Il y a une recrudescence [du soutien]. Mais, sur le plan logistique, est-ce qu’il y a vraiment un flot de nouvelles armes en Ukraine ? Ça, c’est difficile de le savoir. »

Corruption

 

La principale question pour le moment n’est pas l’annonce de financement, met en garde Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l’Institut de relations internationales et stratégiques, un groupe de réflexion français. Ce serait plutôt « l’acheminement de celui-ci et la formation des militaires ukrainiens ». « D’autre part, les stocks de munitions dans les pays occidentaux sont limités. Il faut déjà se réapprovisionner » avant d’en envoyer en Ukraine, ajoute-t-il.

Des observateurs notent un écart frappant entre l’aide promise et l’aide fournie en Ukraine. « Les livraisons tant militaires que financières sont toujours en deçà de ce dont l’Ukraine dit avoir besoin et de ce qui a été promis au pays », relève le Kiel Institute.

« Certains pays ne divulguent délibérément aucune information militaire, qu’il s’agisse d’engagements ou de livraisons, ce qui entraîne des divergences [entre l’aide promise et distribuée], explique André Frank. D’autres raisons, comme des problèmes de coordination qui conduisent à l’incapacité de livrer ou à des retards de livraison, semblent possibles. »

Le problème réside également dans le fait que les autorités ukrainiennes n’ont pas mis fin à la corruption, qui mine le pays depuis plusieurs années, croit de son côté Yann Breault. « Il y a du matériel livré à l’Ukraine qui se retrouve sur le marché noir et qui est envoyé vers d’autres conflits. Il y a beaucoup de gens qui s’en mettent plein les poches actuellement », soutient-il.

L’Ukraine va-t-elle tenir ?

Dans l’est du pays, les combats continuent de faire rage. Les villes de Severodonetsk et de Lyssytchansk sont tombées aux mains des Russes, qui espèrent prendre le contrôle de tout le Donbass et qui font maintenant une « pause opérationnelle », a constaté l’Institut américain pour l’étude de la guerre (ISW).

Les troupes russes mènent encore des « offensives terrestres limitées et des frappes aériennes, d’artillerie et de missiles sur tous les axes », selon l’ISW. Mais l’institut constate que celles-ci se limitent « à des actions à petite échelle, le temps [que l’armée] reconstitue ses forces et crée les conditions d’une offensive plus grande dans les prochaines semaines ou les prochains mois ».

Considérant l’aide militaire fournie à l’Ukraine et les stocks plus importants d’armes du côté russe, pourrait-on envisager un scénario où les forces russes s’enfoncent plus profondément en territoire ukrainien ? « C’est la question à 100 dollars », répond Yann Breault.

« La Russie n’a pas encore ouvert sa machine de guerre à plein régime, il n’y a pas de mobilisation générale, dit-il. Il y a aussi un grand point d’interrogation sur la capacité des Russes de produire à un rythme suffisant les armes nécessaires pour poursuivre cette guerre. Les avis sont partagés, et il y a un jeu de relations publiques. »

Il est difficile de savoir si le flot actuel d’armes en Ukraine permettra de stopper l’avance russe ou de lancer une contre-offensive ukrainienne, renchérit Dominique Arel. « Personne ne le sait », laisse-t-il tomber.
 


Correction: Le graphique présenté dans ce texte a été modifié pour préciser que les montants évoqués sont en milliards d'euros.

 

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