Jusqu’à 10 ans de prison pour une publication qui avait récolté moins de 5 «likes»

Victoria Petrova s’est exprimée sur le réseau social russe VK contre la guerre en Ukraine.
Photo: Courtoisie Victoria Petrova s’est exprimée sur le réseau social russe VK contre la guerre en Ukraine.

Ils ont crié leur opposition par milliers durant les premiers jours de la guerre. Mais depuis, la machine répressive russe a fait son oeuvre. Pendant que l’armée russe anéantit l’Ukraine, le régime de Vladimir Poutine achève ce qu’il reste de liberté d’expression au pays des tsars. Certains dissidents russes bravent toutefois les interdits, au péril de leur sécurité. Le Devoir a discuté avec certains d’entre eux ou avec leurs proches. Dernier portrait d’une série de quatre.

Emprisonnée depuis le 6 mai, Victoria Petrova pourrait recevoir une sentence de 5 à 10 ans de prison pour avoir publié un message sur le réseau social russe VK qui condamne la guerre en Ukraine. Une publication qui avait récolté tout au plus cinq « likes », précise son avocate, Anastasia Pilipenko.

La jeune femme — qui ne se décrit pas comme une activiste, mais plutôt comme « une personne qui se soucie des autres » — fait face à des allégations criminelles pour avoir diffusé intentionnellement de « fausses informations » sur les actions menées par l’armée russe en Ukraine.

« La nouvelle loi [interdisant de critiquer l’armée russe et l’invasion de l’Ukraine] a pour objectif de réduire au silence les gens qui s’opposent au discours officiel du gouvernement, dénonce l’avocate en entrevue au Devoir. On nous dit que l’information est “vraie” simplement parce que le ministre de la Défense nous le dit. On ne peut ni la contester ni en discuter. »

Dans son message publié le 23 mars sur VK, Victoria Petrova affirmait que la campagne menée par l’armée russe en Ukraine était contraire au droit international et au droit russe, indique Me Pilipenko.

Pour accompagner cette publication, la jeune femme de 28 ans avait publié des vidéos provenant de médias indépendants russes et de médias internationaux. « Et elle avait écrit à la fin de son message : “Pour vous forger une opinion, regardez ces vidéos et décidez ce que vous pensez de cette guerre.” » rapporte l’avocate.

Cette publication a été effacée deux jours plus tard par le réseau social, « possiblement à la demande des enquêteurs », croit Anastasia Pilipenko.

Surveillée ?

Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine, Victoria Petrova, qui occupait un poste de gestionnaire à Saint-Pétersbourg, avait été arrêtée à deux autres reprises pour avoir participé à des manifestations antiguerres. Elle avait été condamnée à payer une amende pour sa première offense et avait écopé de 10 jours de détention après sa deuxième arrestation.

« Je pense qu’après ces deux événements, ses médias sociaux étaient surveillés. Elle ne cherchait pas à masquer ses opinions », estime son avocate, en précisant que sa cliente a publié plusieurs messages contre le gouvernement et la guerre.

« Elle est devenue une cible facile pour les autorités russes afin qu’elles démontrent que tout le monde peut être poursuivi, pas besoin d’être un journaliste, un activiste ou un défenseur des droits de la personne. »

Le tribunal a refusé que Victoria soit assignée à domicile en attendant la tenue de son procès. Mercredi, le juge a rejeté un nouvel appel soumis par son avocate pour que Victoria soit libérée. La jeune femme restera donc en prison au moins jusqu’au 31 juillet.

« C’est inhabituel [comme décision] », dénonce Anastasia Pilipenko, qui affirme que sa cliente est détenue dans une prison construite avant la révolution russe de 1917. « Au début, elle était dans une cellule avec 17 autres personnes. »

Victoria ne peut recevoir aucune visite, à part celle de son avocate. « Mais malgré tout, elle ne regrette d’aucune manière ce qu’elle a fait. Elle ne voulait pas rester silencieuse. »

Fidèle à ses convictions, Victoria Petrova a fait un discours de sept minutes pour condamner la guerre en Ukraine lors de l’une de ses apparitions en cour, plutôt que de parler de ses conditions de détention, rapporte Me Pilipenko. Un discours qui a été accueilli par les applaudissements des personnes présentes dans l’assistance, ajoute-t-elle.

Expertise linguistique

 

Comme dans d’autres cas similaires, les enquêteurs ont commandé une expertise linguistique afin de déterminer si le message publié par Victoria contient des signes d’animosité ou de haine politique.

« L’issue de son procès dépendra du climat politique russe et international, estime son avocate. Si la guerre se termine, c’est possible que son dossier aille bien. Mais si tout reste comme c’est actuellement, les perspectives ne sont pas très bonnes. »

Une situation d’autant plus inquiétante que la Russie a décidé, début juin, de ne plus respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, où les avocats russes pouvaient soumettre des appels.

Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine, ceux-ci s’exposent d’ailleurs à des représailles lorsqu’ils défendent des activistes antiguerres. Des avocats ont reçu des amendes après avoir pris la parole en cour, mentionne Me Pilipenko.

« Toute personne qui s’exprime contre le régime russe prend des risques, dit-elle. Mais je crois qu’il y a trop d’avocats en Russie pour que le gouvernement agisse contre nous tous. »

Celle-ci rêve néanmoins du moment où la liberté d’expression reprendra ses droits en Russie. « Oui, il y a encore de l’espoir. Sinon, qu’est-ce que je ferais ici ? »

Avec Vlada Nebo



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