Deux Français sur trois ne souhaitent pas donner de majorité à Macron

Emmanuel Macron s’adressant à la presse, avant son départ pour la Roumanie. 
Photo: Gonzalo Fuentes Agence France-Presse Emmanuel Macron s’adressant à la presse, avant son départ pour la Roumanie. 

La scène avait quelque chose de surréel. Comme le président américain devant Air Force One, Emmanuel Macron, sur le tarmac de l’aéroport d’Orly, s’adressait à la presse devant l’avion présidentiel avant de s’envoler pour la Roumanie. À quelques jours du second tour des élections législatives où se joue sa majorité absolue à l’Assemblée nationale, le président en appelait au « sursaut républicain » afin, disait-il, de « défendre nos institutions face à tous ceux qui les contestent et les fragilisent ». Or, se demandait l’électeur lambda, si « nous sommes à l’heure des choix » et qu’« aucune voix ne doit manquer à la République », pourquoi diable le président prenait-il l’avion au lieu de faire campagne ?

« Sketch à la Trump », a raillé Jean-Luc Mélenchon, dont la Nouvelle alliance populaire, écologiste et socialiste (NUPES) risque de faire élire, selon le dernier sondage Opinion Way, entre 165 et 210 députés (sur 577). Pas de quoi exercer le pouvoir ni devenir premier ministre, comme le proclament ses affiches. Après l’emportement de dimanche soir, l’enthousiasme semble néanmoins être retombé à gauche devant le peu de réserves de voix qui s’offrent à elle au second tour.

Avec 25 % des suffrages au premier tour, la gauche enregistre un de ses plus mauvais résultats à une législative. Elle est même en dessous de plusieurs points de son score à la présidentielle. Il n’empêche que, seul à véritablement faire campagne, le leader des Insoumis semble sur le point de faire élire le principal contingent de députés d’opposition à l’Assemblée nationale. Cela devrait inclure des personnalités connues pour leurs déclarations controversées et leurs appels réguliers à descendre dans la rue, comme Raquel Garrido, Danièle Obono et Alexis Corbière.

Macron en chef de guerre

 

Parti en Roumanie mardi et revenu à Paris dans la nuit de jeudi à vendredi, Emmanuel Macron aura choisi purement et simplement d’enjamber ce second tour qui se déroule dans une atmosphère d’apathie démocratique rarement vue lors d’une élection législative. Dans la classe politique, on soupçonne le président de répliquer la recette de la présidentielle et d’enfiler son costume de chef de guerre à la seule fin de se donner de la hauteur et d’éviter de faire campagne.

Les résultats lui donneront-ils raison ? Toujours selon Opinion Way, le parti présidentiel, rebaptisé Ensemble, serait en voie d’obtenir entre 275 et 305 sièges. La majorité étant de 289, rien ne lui permet donc pour l’instant d’avoir l’assurance qu’il pourra gouverner seul comme ce fut le cas au cours des cinq dernières années. C’est toute l’ambivalence de cette présidentielle puisque, selon un autre sondage Odoxa Backbone Consulting, 70 % des Français ne souhaitent pas qu’il obtienne dimanche une majorité absolue. Élu pour « faire barrage » à la candidate de la droite populiste Marine Le Pen, le président semble « payer » à la législative cette absence de mobilisation autour de son propre programme.

« Les Français ont voté Emmanuel Macron par défaut », écrit la rédactrice en chef de la Revue des deux mondes, Valérie Toranian. « Le score de la [NUPES] et du Rassemblement national aux législatives est une façon d’infléchir leur vote. Par de blanc-seing pour Jupiter. On ne veut pas de cinq ans de règne supplémentaire, enfermé dans une tour d’ivoire. C’est le sens de ce désir de cohabitation qui s’exprimait juste après l’élection présidentielle. »

Reste à savoir si cette volonté s’exprimera dimanche dans les urnes ou simplement par une abstention historique, comme ce fut le cas au premier tour (53 %). Chose certaine, depuis qu’elles se tiennent immédiatement après la présidentielle, on n’avait jamais vu un président ne pas faire un meilleur score aux élections législatives.

« La maison brûle, et Emmanuel Macron regarde ailleurs. L’imaginer dans un train en direction de l’Ukraine ce matin alors que l’extrême gauche est hypermenaçante pour notre pays, c’est une folie », a déclaré le maire de Meaux, Jean-François Copé, partisan d’un « pacte » entre Les Républicains et Ensemble. L’inquiétude est d’autant plus réelle que plusieurs ténors du gouvernement, comme le ministre délégué responsable de l’Europe, Clément Beaune, et celle de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, risquent en cas de défaite de devoir démissionner. Même si elle n’est pas en danger dans sa circonscription du Calvados, la première ministre, Élisabeth Borne, pourrait passer à l’histoire comme étant la plus mal élue de toute la Ve République.

Quelles alliances ?

Les conjectures vont bon train sur les compromis que le président devra faire en cas de majorité relative. Il devra d’abord chercher l’appui de ses alliés naturels que sont François Bayrou, du MoDem, et Édouard Philippe, du parti Horizon. On sait que les relations ne sont pas au beau fixe entre le président et son ancien premier ministre. Si cela ne suffit pas, Emmanuel Macron pourrait être obligé de négocier une entente avec Les Républicains, transformant ces derniers en « faiseurs de roi ». Malgré une rencontre à l’Élysée avec le doyen des LR, le sénateur Gérard Larcher, toute la semaine les leaders de LR ont nié la possibilité d’un accord.

Dernière option, le gouvernement pourrait décider de naviguer à vue en nouant des alliances temporaires au cas par cas, à droite ou à gauche. C’est ce qu’avait fait François Mitterrand de 1988 à 1991, alors que son premier ministre était Michel Rocard.

Même si le fait semble passer inaperçu, cette élection est loin d’être un échec pour le Rassemblement national. Non seulement devrait-il former un groupe parlementaire pour la première fois à l’Assemblée, mais son score a progressé de 5,5 % comparativement à celui de 2017.

De l’agenda du président, on ne sait presque rien, sinon que le 22 juin il s’apprête à lancer les travaux du Conseil national de la refondation. Qualifié de « gadget », de « mascarade » et de « grand blabla » par l’opposition, cet organisme de concertation, qui inclura des représentants des partis politiques, des syndicats et des citoyens choisis au sort, doit travailler sur les principales réformes du quinquennat. Ses initiales se veulent une allusion non voilée au célèbre Conseil national de la résistance qui, en pleine guerre, avait préparé la grande réforme des institutions qui suivit la Libération.

Des airs de fin de règne

 

Le second mandat d’Emmanuel Macron est à peine commencé qu’il a déjà des airs de fin de règne. L’entre-deux-tours a été marqué par le scandale des agressions sauvages au Stade de France. Trois semaines après sa nomination, la première ministre, Élisabeth Borne, qui devait mener cette campagne de l’entre-deux-tours, n’est allée soutenir aucun candidat et semble inaudible. La voix tonitruante de Jean-Luc Mélenchon, pourtant minoritaire dans les urnes, n’a pas eu de difficulté à occuper presque toute la place dans les médias.

« La France va être très difficile à gouverner », conclut le politologue Jérôme Fourquet dans le Figaro Magazine. « On pourrait avoir un second quinquennat immobile, comme celui de Jacques Chirac entre 2002 et 2007 », dit-il. Parmi les raisons de s’inquiéter, on trouve les perspectives économiques qui s’assombrissent, même si personne dans cette campagne n’en a soufflé mot. Sans compter que le président ne pourra pas se représenter dans cinq ans et que sa succession ne tardera pas à être à l’ordre du jour.

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