Que s’est-il passé au Stade de France lors de la finale de la Ligue des champions?

Ces incidents interviennent au pire moment pour le nouveau gouvernement, nommé il y a un peu plus d’une semaine.
Photo: Christophe Ena Associated Press Ces incidents interviennent au pire moment pour le nouveau gouvernement, nommé il y a un peu plus d’une semaine.

« Soirée du chaos », « Flop de l’organisation », « Hordes de barbares ». La presse européenne n’y est pas allée de main morte pour qualifier les échauffourées qui se sont déroulées samedi dernier lors du match opposant le Real Madrid à l’équipe de Liverpool au Stade de France. Lieu que le tabloïd The Sun de Londres n’hésite d’ailleurs pas à rebaptiser « Stade de Farce ».

Rarement l’image de la France a-t-elle été aussi écorchée à l’étranger. Pagaille, fraudes, entrées au compte-goutte, agressions en série, gaz lacrymogènes, arrestations : ce ne sont là que quelques-uns des incidents qui ont marqué la finale de la Ligue des champions qui se déroulait en Seine-Saint-Denis, une banlieue nord de Paris.

Le soir même des événements, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, n’a pas hésité, sur Twitter, à en imputer la responsabilité aux « milliers de “supporters” britanniques, sans billets ou avec des faux billets [qui] ont forcé les entrées, et parfois, violenté les stadiers ». Selon lui, entre 30 000 et 40 000 personnes munies de faux billets, ou sans billet, ont dû être filtrées à l’entrée du stade, ce qui a provoqué la cohue. La Fédération française de football et l’Union des associations européennes de football (UEFA) évaluent plutôt à « 2800 » le nombre « de faux billets scannés », selon l’Agence France-Presse. Parmi ces 2800 faux billets peuvent figurer de vrais billets ayant été mal activés, précise Pierre Barthélemy, un observateur présent aux abords du stade pour l’association Football Supporters Europe.

Bien que des familles et des personnes âgées se soient plaintes d’une utilisation inconsidérée des gaz lacrymogènes, le préfet de police de Paris, Didier Lallement, a défendu les 6 800 policiers mobilisés pour l’occasion. Ils ont fait l’essentiel, dit le préfet, puisque le match s’est déroulé et que la sécurité a été assurée « sans morts ni blessés graves ».

Le chaos

 

Mais, une fois les témoignages recueillis, il est vite apparu que la réalité était plus complexe. On sait que des milliers de supporters de Liverpool arrivés en retard à cause d’une grève des transports en commun faisaient encore la queue devant les grilles au moment où le match devait normalement commencer. On sait aussi que, puisque plusieurs commençaient à paniquer devant la perspective de rater le début du match, le préfet décida de lever en catastrophe le préfiltrage du RER D pour « éviter un drame », dit-il.

C’est à l’occasion de ce mouvement de foule que, selon la presse française, plusieurs centaines de jeunes des environs se seraient immiscées parmi les supporters pour les détrousser et semer le chaos. « Ce sont des personnes qui ne soutenaient aucune des deux équipes qui ont forcé les accès », a déclaré au magazine L’Obs Pierre Barthélemy de l’association Football Supporters Europe.

Ni les images ni les chiffres d’entrée sur le territoire ne semblent corroborer les « 30 à 40 000 » détenteurs de faux billets dont fait état le ministre de l’Intérieur. Gérald Darmanin a indiqué lors d’une entrevue sur TF1 que 29 interpellations avaient eu lieu dans le stade, dont la moitié concernaient des Britanniques sans billet. Il ajoute que sur les 52 interpellations intervenues hors du stade, il n’y aurait que 12 étrangers, surtout des Maghrébins. Les autres seraient tous Français. Selon plusieurs médias, dont Le Figaro, une grande partie des personnes interpellées étaient des sans-papiers. Une information démentie par le ministre de l’Intérieur.

Londres en colère

 

Le scandale est tel en France et à l’étranger que Gérald Darmanin et sa collègue des Sports, Amélie Oudéa-Castéra, devront répondre mercredi aux questions des membres d’une commission sénatoriale. À Londres, les réactions n’ont pas tardé. Jugeant les images de ces événements « profondément troublantes et préoccupantes », le premier ministre Boris Johnson a exigé que l’UEFA fasse enquête avec les autorités françaises. Présente à Paris, la mairesse de Liverpool, Joanne Anderson, a qualifié les gestes des policiers français d’« absolument dégoûtants ».

La réplique la plus cinglante est venue du président du club de Liverpool, Tom Werner, qui estime que les partisans britanniques « ont été traités comme du bétail ». Il a qualifié d’« irresponsables » les accusations d’Amélie Oudéa-Castéra, qui a incriminé les partisans anglais et qui a soutenu que le club britannique « avait laissé ses supporters dans la nature ».

À moins de deux semaines du premier tour des élections législatives, le président Emmanuel Macron a choisi de garder le silence. Ces incidents interviennent au pire moment pour le nouveau gouvernement, nommé il y a un peu plus d’une semaine. À gauche, le candidat de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, a fustigé « un échec complet de la stratégie policière ». À droite, on incrimine plutôt « la racaille » des banlieues. Une polémique qui ne peut manquer d’égratigner le président, qui avait pris personnellement l’initiative d’accueillir ce match prévu à l’origine à Saint-Pétersbourg. Ce qui explique aussi que les organisateurs n’aient bénéficié que de trois mois de préparation, au lieu d’un an habituellement.

Des événements majeurs à venir

La polémique est d’autant plus vive que le pays attend des millions de visiteurs à l’occasion de la Coupe du monde de rugby, à l’automne 2023, et des Jeux olympiques, à l’été 2024. En haut lieu, on s’interroge sur la capacité du pays et des forces de l’ordre à faire face à un tel défi. « En France, face à une altercation, les autorités ne cherchent pas la désescalade, elles envoient sur le terrain les policiers qui font un usage indiscriminé de leurs moyens », souligne, dans le quotidien Le Monde, le sociologue Sebastian Roché.

Pour d’autres, ces violences sont le symptôme de l’exacerbation des tensions dans la société française. « Les tribunes sont devenues des champs de bataille », écrit dans Le Figaro le professeur de philosophie Robert Redeker, auteur de Sport, je t’aime moi non plus (Robert Laffont). Selon lui, la violence des stades est la même que l’on voit dorénavant dans presque toutes les manifestations syndicales ou politiques.

« La France s’est abonnée à la violence […] les pouvoirs publics l’acceptant comme si elle était rituelle », dit Redeker, qui y voit un effet de l’atomisation de la société française. « Notre pays est de moins en moins un peuple, de moins en moins une nation, de plus en plus une foule d’individus plongés dans l’anomie. »

Sur la radio RMC, un jeune de la Seine-Saint-Denis racontait comment, profitant du chaos, il s’était glissé dans une foule de supporters pour entrer gratuitement dans le stade. Depuis, dit-il, il serait devenu la « star » de son lycée.

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