Un débat sage et respectueux entre Macron et Le Pen

Ça ne pouvait pas être pire qu’en 2017. La présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen, s’est tirée indemne du traditionnel débat d’entre-deux-tours qui se tenait mercredi soir. À trois jours du second tour de la présidentielle, ce débat l’opposant à Emmanuel Macron apparaissait pour la plupart des Français comme un match revanche mettant en scène les mêmes finalistes que cinq ans auparavant.
Les mêmes ? Pas tout à fait. Du moins, c’est ce que chacun a tenté de prouver tout au long de ces deux heures et demie d’échanges généralement respectueux. Si la présidente du RN n’a pas connu la défaite par K.-O. de 2017, elle a rarement été à l’offensive, sauf à la fin sur les questions de sécurité et d’immigration.
Face à un président pugnace au regard parfois même dominateur, Marine Le Pen a semblé fuir l’affrontement pendant toute la première moitié du débat, évitant même de regarder son adversaire dans les yeux. Face au discours souvent technique d’un président jouant à plein de son statut de chef d’État, notamment sur les questions internationales, la candidate s’est présentée comme « la présidente de la concorde » et « de la paix civile ». « Il faut recoudre la France », a-t-elle martelé à plusieurs reprises. Contrairement à 2017, elle a affiché un sérieux sans faille, jouant surtout de sa proximité avec les électeurs.
« Rabougrir la France » ?
Signe d’un débat plus civilisé qu’il y a cinq ans, à aucun moment Emmanuel Macron n’a qualifié Marine Le Pen d’« extrême droite », comme l’ont fait plusieurs de ses porte-parole depuis deux semaines. Évoquant leurs différends, il a même parlé de « désaccords sincères, respectables ».
Ce qui ne l’a pas empêché de l’attaquer personnellement sur ses sympathies passées avec Vladimir Poutine, rappelant même le prêt que son parti a dû contracter auprès d’une banque russe en 2015 faute de pouvoir se financer en France. Lorsque vous parlez à Poutine, a-t-il lancé, « vous parlez à votre banquier ». « Nous sommes un parti pauvre, mais ce n’est pas déshonorant », a-t-elle répliqué.
Sur un ton désinvolte, le président a accusé Marine Le Pen d’être « une nationaliste qui veut rabougrir la France » et la sortir secrètement de l’Europe. « Vous voulez en sortir toujours, mais vous ne le dites plus. […] Vous mentez sur la marchandise ! » Une accusation à laquelle Marine Le Pen a répondu en affirmant qu’« il n’y a pas de souveraineté européenne, car il n’y a pas de peuple européen. […] Je souhaite que la Commission [européenne] respecte les nations européennes et leurs choix de société. »
L’affrontement a été particulièrement vif sur la politique de l’énergie et l’écologie. « Vous êtes climatosceptique », a lancé un président péremptoire en accusant sa vis-à-vis d’avoir un programme qui « n’a ni queue ni tête ». Dénonçant le « choix catastrophique » des éoliennes, Marine Le Pen a répliqué en accusant le président d’avoir « complètement changé d’avis sur le nucléaire. […] On a perdu 10 ans à déstabiliser une filière nucléaire. »
Dans ce débat, les candidats chassaient surtout des voix à gauche, celles du candidat Jean-Luc Mélenchon, qui est arrivé troisième le 10 avril dernier. Selon plusieurs sondages, les deux tiers de ses électeurs risquent néanmoins de s’abstenir.
Pour les convaincre, Marine Le Pen a défendu le maintien de la retraite à 62 ans et soutenu la création d’un référendum d’initiative citoyenne (RIC), une revendication portée par les Gilets jaunes. Elle a aussi ironisé sur « le Mozart de la finance [qui] a un bilan économique très mauvais et un bilan social qui est encore pire ».
Emmanuel Macron a plutôt tenté de séduire l’électorat jeune et musulman en dénonçant notamment la proposition de Marine Le Pen d’interdire le voile islamique dans l’espace public. « Moi, je suis pour la loi de 1905. Avec moi, il n’y aura pas d’interdiction d’aucun signe religieux dans l’espace public. […] Vous allez créer la guerre civile si vous faites ça. »
« Le sens de la démocratie »
Difficile d’imaginer que cet échange de 2 h 30 ait pu véritablement troubler l’espèce de léthargie qui s’est installée dans cet entre-deux-tours. Comme si, pour l’essentiel, tout semblait joué alors que les derniers sondages semblaient creuser l’avance d’Emmanuel Macron (56 %) contre Marine Le Pen (44 %).
Une enquête réalisée au pied levé par BFM auprès de ses téléspectateurs révèle que 59 % d’entre eux ont trouvé Emmanuel Macron plus convaincant, contre 39 % pour Marine Le Pen. Selon les analystes, jamais un débat télévisé n’a radicalement modifié le résultat d’un scrutin, et il ne devrait pas en aller différemment cette fois-ci. D’ailleurs, en 30 ans, le nombre de spectateurs de ces débats a chuté de moitié, leur audience passant d’environ 30 millions dans les années 1980 à environ 16 millions en 2007.
En conclusion, Emmanuel Macron a affirmé que sa priorité dans les cinq prochaines années sera la jeunesse. « Le seul souverain, c’est le peuple, a conclu Marine Le Pen […]. Il faut retrouver le sens de la démocratie dans notre pays. » Selon OpinionWay, 14 % des électeurs disaient compter sur ce débat afin de déterminer pour quel candidat ils voteraient au second tour, et 12 %, pour savoir s’ils iraient même voter dimanche.
Dans cet échange beaucoup plus sage qu’en 2017, un rare moment de complicité est même apparu. « Nous sommes beaucoup plus disciplinés qu’il y a cinq ans », a ironisé Emmanuel Macron. Et Marine Le Pen de lui répondre en souriant : « Nous avons vieilli. »