Des inquiétudes pour le patrimoine culturel ukrainien

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Outre des pertes civiles et militaires sévères, les Ukrainiens sont inquiets de l’avenir de leurs institutions culturelles. Des musées, des bibliothèques, des théâtres, des sites et des monuments historiques ont déjà été détruits, a expliqué au Devoir l’ethnologue Oleksandr Butsenko, chercheur principal à l’Académie nationale des arts à Kiev, à l’occasion d’une visioconférence publique. Sans parler des porteurs du patrimoine vivant, des gens exilés ou même décédés.
M. Butsenko tente de faire le nécessaire pour sauvegarder les biens patrimoniaux. La tâche est énorme. Les moyens manquent. « Il nous faudrait un matériel de protection pour les monuments historiques, pour les œuvres. » Certaines ont déjà été retirées. Mais dans la plupart des musées, les œuvres sont restées sur place, bien que le personnel s’affaire désormais à les mettre à l’abri, autant que faire se peut.
Pour l’ethnologue, la situation n’est pas sans rappeler des éléments d’une guerre culturelle telle qu’en a connu l’Europe lors du conflit de 1939-1945. « Je n’ai jamais pensé qu’il était possible de répéter ça ! » Les musées, comme toutes les autres institutions de la société, ont été pris par surprise. La culture, insiste-t-il, est au fondement de la société ukrainienne, laquelle se compose de plusieurs strates culturelles. En creusant des tranchées, des volontaires ont trouvé des fragments archéologiques, explique-t-il pour l’anecdote, dont une dent de requin de plus de 50 000 ans.
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« La destruction du patrimoine culturel ukrainien, de ses biens et de ses valeurs est une façon d’effacer l’Ukraine en tant qu’État souverain, une façon d’éliminer le passé autant que l’avenir », insiste Oleksandr Butsenko en plaidant pour une aide internationale urgente.
Des cibles ?
Le Devoir lui a demandé si, de son point de vue privilégié d’observateur, il était possible d’affirmer que les destructions culturelles sont ciblées par l’armée russe. « Je ne pourrais dire », affirme-t-il, tout en soulignant que l’agression est d’une puissance inouïe. M. Butsenko précise que « des centres culturels, des théâtres et plusieurs musées ont servi de point de distribution pour fournir les défenseurs en vêtements. Mais pas seulement les centres culturels. Il est très difficile de comprendre toutes ces activités. » Autrement dit, les bâtiments culturels peuvent, en plusieurs cas, dit-il, avoir été pris directement pour cibles. « On ne pourra pas tout reconstruire. » Il s’inquiète, entre bien d’autres choses, pour d’imposants chefs-d’œuvre de l’architecture du Bauhaus.
Quelles ont été les pires pertes à ce jour, concernant le patrimoine culturel ? « Le gouvernement essaie de préserver et d’amasser le plus d’informations sur les pertes. Nous espérons des dons pour protéger les biens. Jusqu’ici, plusieurs églises historiques ont été détruites. Des musées. Des bibliothèques. Des centres culturels. »
Laurier Turgeon, professeur d’ethnologie et d’histoire à l’Université Laval, enchaîne. Ses homologues à Kiev ont besoin de soutiens techniques, dit-il. Le temps presse.
Oleksandr Butsenko espère qu’une fois les collections mises à l’abri, elles pourront être présentées à l’étranger, comme une affirmation de l’existence de l’Ukraine. « Pourquoi pas au Canada ? », demande-t-il.
« Nous avons une journée difficile aujourd’hui [mercredi] à Kiev », explique l’ethnologue, en anglais. « Il y a eu des alertes, mais nous pouvons marcher. » Sa collègue Valentyna Demian, historienne et experte en patrimoine culturel à l’Académie nationale des arts de l’Ukraine, n’a pu, malgré ses efforts, établir la communication avec le Québec dans le cadre de cette rencontre virtuelle, qui a eu lieu à l’initiative de l’Institut du patrimoine culturel et du Centre de recherche Arts-Cultures-Sociétés de l’Université Laval.