Moscou qualifie d'«imprudente» une mission de maintien de la paix en Ukraine

Moscou a mis en garde les Occidentaux mercredi sur le caractère risqué que pourrait avoir l’envoi d’une mission de gardiens de la paix, sous l’égide de l’OTAN, en Ukraine.
L’idée d’une telle opération militaire doit être officiellement proposée jeudi par la Pologne lors du sommet extraordinaire de l’Alliance qui va se tenir à Bruxelles, en Belgique.
Mais le plan « serait une décision très imprudente et extrêmement dangereuse », a indiqué mercredi le porte-parole du Kremlin, Dmitri S. Peskov, lors d’une conférence de presse téléphonique. « Tout contact possible entre nos militaires et les militaires de l’OTAN peut avoir des conséquences prévisibles difficiles à réparer », a-t-il ajouté, selon l’agence de presse Reuters.
Idée porteuse ? Idée dangereuse ? Pour la professeure de science politique et directrice du Réseau de recherche sur les opérations de paix de l’Université de Montréal, Marie-Joëlle Zahar, il s’agit surtout d’une « idée qui n’a aucune possibilité de voir le jour », dit-elle, en entrevue au Devoir. « La Russie n’acceptera jamais une présence de l’OTAN sur le territoire de l’Ukraine, qui serait perçue comme une menace à sa sécurité nationale. Quant à l’OTAN, elle fait tout pour éviter que ce conflit ne dégénère en troisième guerre mondiale, et elle ne peut pas agir de la sorte sans que cela soit perçu par Moscou comme une déclaration de guerre. »
C’est la semaine dernière, lors de sa visite à Kiev — la capitale ukrainienne, qui est placée depuis un mois sous la pression des bombardements russes —, que le vice-premier ministre polonais, Jaroslaw Kaczynski, a évoqué l’idée d’une mission de paix en Ukraine pilotée par l’OTAN. « Je pense qu’il est nécessaire d’avoir une mission de paix, de l’OTAN ou peut-être d’une structure internationale plus large, mais une mission qui sera capable de se défendre, qui opérera sur le territoire ukrainien », a-t-il indiqué lors d’une conférence de presse tenue conjointement avec ses homologues de la République tchèque et de la Slovénie.
Deux jours plus tard, le porte-parole du gouvernement polonais, Piotr Müller, a précisé que cette mission n’aurait pas pour objectif « d’entrer en conflit direct avec la Russie ». Les gardiens de la paix seraient surtout déployés dans les zones de l’Ukraine qui ne sont pas occupées par les forces armées russes et auraient pour vocation d’envoyer « le signal clair que les crimes de guerre ne seront pas acceptés », a expliqué M. Müller.
Une « absence totale de règles »
Depuis le début de l’invasion russe de l’Ukraine, les armées de Vladimir Poutine ont provoqué la destruction de plus de 1500 bâtiments et infrastructures civils, bouleversant ainsi le quotidien de millions d’Ukrainiens. Parmi ces cibles, on retrouve 23 hôpitaux, 330 écoles, 27 bâtiments à vocation culturelle et 98 à vocation commerciale, dont 11 liés à l’agriculture et l’alimentation, selon un décompte orchestré par le New York Times afin de documenter ce qui pourrait constituer des preuves que la Russie a commis des « crimes de guerre ».
« Ce n’est pas la guerre, c’est un génocide », a déclaré mardi à l’Agence France-Presse la procureure générale de l’Ukraine, Iryna Venediktova. « Les théâtres de guerre ont des règles, des principes. Ce que nous voyons à Marioupol [une ville lourdement frappée par les forces russes], c’est l’absence totale de règles. »
Dans les derniers jours, les accusations voulant que les armées russes aient utilisé des munitions à base de phosphore blanc se sont multipliées en Ukraine. Celles-ci auraient été envoyées notamment sur les villes de Popasna et de Kramatorsk cette semaine. Considérées comme des armes incendiaires, elles peuvent induire une violation des lois internationales lorsque déployées sur des zones densément occupées par des civils.
« Même l’utilisation d’armes chimiques ne pourrait justifier une intervention de l’OTAN en Ukraine sans faire déraper le conflit, dit Mme Zahar. Et c’est pour cela que l’Alliance se contente pour le moment de renforcer ses positions, là où elle peut le faire. »
Par le passé, l’OTAN a effectué des missions de maintien de la paix dans certains pays touchés par des conflits armés, comme le Kosovo et la Bosnie-Herzégovine. Le rôle des troupes était alors d’assurer la sécurité publique, mais aussi d’assister l’aide humanitaire internationale. Ces missions ont cependant toutes été lancées après la fin des conflits militaires.
Mercredi, à la veille de son sommet extraordinaire, l’OTAN a annoncé qu’elle déployait quatre nouveaux groupements tactiques en Bulgarie, en Roumanie, en Hongrie et en Slovaquie afin de renforcer ses défenses contre la Russie sur son flanc oriental. Cela porte à huit les groupements tactiques déployés à ce jour, de la mer Baltique à la mer Noire.
Dans la foulée, le secrétaire général de l’Organisation, Jens Stoltenberg, a évoqué le renforcement du soutien à l’Ukraine « notamment par la fourniture de systèmes de défense aérienne avancés, de systèmes antichars, de différents types d’armes et de munitions ».
Jeudi, les membres de l’Alliance doivent également se pencher sur la possibilité de fournir à l’Ukraine « davantage d’équipements de protection et de défense contre les armes chimiques », alors que la Maison-Blanche craint de plus en plus que le scénario d’une attaque à l’arme chimique par la Russie ne se réalise, en raison de l’embourbement du conflit, après un mois de guerre et de résistance ukrainienne, et surtout des frustrations que cette réalité, non envisagée par Moscou au moment de l’attaque, pourrait générer chez l’homme fort du Kremlin.
Avec l’Agence France-Presse
À lire aussi
- Les allégations d’usage de munitions au phosphore blanc se multiplient
- En vidéo | Un mois après le début de l'invasion, les stratégies de la propagande russe
- De l’imprudence d’une mission de maintien de la paix en Ukraine
- Des inquiétudes pour le patrimoine culturel ukrainien
- Le Donbass, une monnaie d’échange pour mettre fin à la guerre?